Initiative privée aux appuis haut placés, l’Agence des médecines complémentaires et alternatives pourrait, six mois après sa naissance, muer en agence gouvernementale.

Le projet inquiète ceux qui, en pleine pandémie, y voient l’institutionnalisation de pratiques non éprouvées, voire dangereuses. Enquête, par Thomas Rabino.

Rares sont les associations promises à pareil destin. Le 19 septembre 2020 émergeait l’Agence des médecines complémentaires et alternatives (A-MCA), née du constat que quatre Français sur dix et 60 % des malades du cancer recourent aux médecines dites douces, parallèles, complémentaires et parfois alternatives. De plus en plus reconnues, l’hypnose, l’ostéopathie ou l’acupuncture voisinent avec 400 thérapies d’un marché en pleine croissance, oscillant entre bienfaits non scientifiquement prouvés (faciothérapie, homéopathie, naturopathie, reiki…) et charlatanerie (biomagnétisme, instinctothérapie, ondobiologie, néochamanisme…).

Prudence

C’est dans ce contexte que l’A-MCA s’est d’abord donné pour objet de « favoriser la réflexion, l’expérimentation, l’action et la formation en faveur de l’intégration cohérente, structurée et sécurisée des médecines complémentaires et alternatives ». Une cause embrassée par huit députés (Agir, LREM, PRG), qui viennent de déposer une résolution invitant le gouvernement à institutionnaliser les missions de l’A-MCA. « Sur cette agence, je dis prudence », nous glisse Georges Fenech, ancien président de la Mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), récemment nommé au conseil d’orientation de cette dernière. L’ex-député redoute du « lobbying », à l’unisson de Charline Delporte, présidente du Centre national d’accompagnement familial face à l’emprise sectaire : « En trente ans de bénévolat, je n’ai pas cessé de voir des “guérisseurs” pousser à leur légitimisation ».

Parmi les fondateurs de l’A-MCA, citons sa directrice, Véronique Suissa, psychologue et auteure en 2017 d’une thèse sur l’évaluation de l’impact des médecines complémentaires et alternatives (MCA) chez les patients atteints de cancer, dont la conclusion évoque les « bénéfices multiples » de thérapies plus ou moins douteuses. On notera ainsi que l’un des praticiens remerciés par la chercheuse est « médium ».

Groupe de pression ?

À ces ambiguïtés s’ajoute un livre publié en 2019, codirigé par Véronique Suissa et titré Médecines complémentaires et alternatives : pour ou contre ? Regards croisés sur la médecine de demain1, dans lequel les dangers de certaines thérapies occupent environ 10 % de l’ensemble, le reste des 400 pages les présentant sous un jour plutôt positif. Parmi ces contributeurs suspectés d’entrisme figure par exemple le Pr Jacques Kopferschmitt, chargé de mission sur les thérapies complémentaires au CHU de Strasbourg, mais aussi membre du controversés mouvement anthroposophique à peine critiqué dans l’ouvrage. Or les adeptes de l’anthroposophie estiment que le gui présenterait « une forte potentialité curative » contre le cancer… au point, parfois, de renoncer à des traitements conventionnels pourtant vitaux.

« On n’est pas censés se renseigner sur le CV de nos contributeurs », s’irrite Véronique Suissa, non sans citer la caution offerte par huit pages signées d’un membre de la Miviludes. « notre discours de neutralité dérange, ajoute la psychologue. Une même pratique peut être bénéfique dans un cadre et déviante dans un autre, d’où la nécessité d’ouvrir le débat et d’encadrer. » Cyril Vidal, président de l’association FakeMed, désapprouve : « Suissa part du constat qu’il y a une demande pour ces thérapies et qu’il faut organiser la filière, cela ferait perdre de l’argent public avec des choses qui ne fonctionnent pas, sans parler des dérives sectaires. » Du côté de la Miviludes (dont 41 % des signalements ont trait à la santé), on voit dans la promotion de l’A-MCA « un nouveau coup porté à la Mission », que la ministre déléguée à la Citoyenneté qui en a la charge, Marlène Schiappa, dit vouloir pourtant « renforcer ».

Serge Guérin, professeur en sociologie et président de l’A-MCA, lui, se veut rassurant : « notre finalité, c’est une lutte contre ces dérives et contre les médecines alternatives », jure cet ancien conseiller régional EELV proche de Nicolas Hulot et promoteur du « care », concept anglo-saxon promouvant une sorte d’altruisme sociétal. Au duo Suissa-Guérin s’ajoute enfin le chirurgien Philippe Denormandie, conseiller médical de l’A-MCA, membre du jury de thèse de Suissa et père de l’actuel ministre de l’Agriculture.

C’est néanmoins le ministère de la Santé qui ouvrait ses portes aux colloques de Suissa & Co, dont les soutiens comptent des médecins et des élus locaux, une dizaine de députés, six anciens ministres, dont Xavier Bertrand et Myriam El Khomri, ou encore le directeur général de la santé, Jérôme Salomon. Et, en janvier, Brigitte Macron recevait Véronique Suissa à l’Élysée.

L’A-MCA serait-elle un efficace groupe de pression ? Sa directrice nie, assurant au passage avoir « ignoré quels députés allaient signer cette résolution », dont les termes reprennent souvent au mot près la communication de l’agence. Hasard ? Sur les huit signataires, la moitié fait partie des « experts politiques de l’A-MCA ». Ses fondateurs pourraient-ils tirer profit d’une institutionnalisation ? Une tribune assassine, récemment publiée dans le Figaro et signée par un collectif de médecins, d’universitaires et d’associatifs, répondait par l’affirmative en appelant à ne pas laisser « un lobby de pseudo-médecines devenir une agence gouvernementale », ajoutant que « M. Denormandie est directeur des relations santé de la mutuelle MNH, et [que] M. Guérin dirige le master directeur des établissements de santé à l’Inseec », leader français de l’enseignement supérieur privé où s’est tenu un colloque de l’A-MCA.

Par ailleurs, le nom de Véronique Suissa apparaît sur la page Internet de l’université Paris-VIII proposant un diplôme d’études supérieures universitaires (Desu) de « pratique de la méditation de pleine conscience ». Conséquence de la loi Pécresse sur l’autonomie des universités, ce type de cursus a priori incongru, et ici facturé de 2 800 à 4 800 €. Plus étonnant, ses 120 heures de cours sont encadrées par la société Asperia Care, filiale de l’Institut européen des politiques publiques. Son propriétaire ? Un certain Emir Deniz, ex-élu proche de Benoît Hamon et entrepreneur signalé par la Cour des comptes au parquet de Paris pour des malversations liées à des formations de coaching politique payées par de l’argent public. « Je n’ai jamais enseigné dans ce Desu », réagit Véronique Suissa. Contactée par Marianne, la directrice de la formation de Paris-VIII « confirme la présence de Mme Suissa dans l’équipe pédagogique de cette formation » où interviennent d’autres piliers de l’A-MCA. Cet imbroglio renvoie-t-il à ce que Georges Fenech décrit dans son livre Gare au gourous2 comme « infiltration des fake médecines », dénoncée dès 2013 par une commission d’enquête sénatoriale ? « Dans les facultés on délivre des diplômes offrant un vernis institutionnel à une charlatanerie présente jusque dans les hôpitaux », déplore l’ex-magistrat. Et demain, une agence gouvernementale pourrait peut-être faire de même à plus grande échelle…

1.Avec Serge Guerin et Philippe Denormandie (dr.), Michalon, 422 p., 24 €.

2. Gare aux gourous, Santé bien-être, Enquête sur les dérives thérapeutiques d’aujourd’hui, éd. Du Rocher, 270 p., 18 €.

L’A-MCA est présidée par Serge Guérin sociologue et dirigée par Véronique Suissa psychologue. Le chirurgien Philippe Denormandie en est le conseiller médical.

Source : Marianne, Santé Actu, 16 au 22 avril 2021.