ADR D’Haeyer

La religiosité néo-pentecôtiste africaine gagne du terrain chez les migrants, notamment les plus jeunes, accompagnés ou non. Entre le soutien spirituel essentiel et la dérive sectaire, la frontière est parfois ténue.

Pour ses dix ans, le Centre d’information et d’avis sur les organisations sectaires (CIAOSN) a réuni une série de spécialistes autour du thème de « la religiosité néo-pentecôtiste africaine ». Depuis quelques années, le Centre reçoit un nombre croissant de demandes d’informations sur les églises pentecôtistes africaines installées en Belgique. « Des personnes directement concernées s’inquiètent, par exemple, qu’un proche ait changé de comportement depuis qu’il fréquente une église pentecôtiste », explique Anne-Sophie Lecomte, analyste au service d’étude du CIAOSN. De quoi interpeller les chercheurs sans pour autant que ces demandes constituent un « baromètre du sectarisme » ou qu’elles témoignent de la nocivité de ces églises. L’objet du colloque n’était donc pas de trancher la question des éventuelles dérives sectaires mais bien d’engranger des informations, de confronter les connaissances et d’aborder les pratiques à l’étranger.

{{En Europe aussi}}

Une partie significative de la journée était consacrée à l’imaginaire de « l’enfant sorcier » et à la « traduction pratique de cet imaginaire dans les églises de réveil installées en Belgique ou ailleurs en Europe ». L’anthropologue Philippe De Boeck est venu rappeler la situation dramatique des enfants accusés de sorcellerie en République démocratique du Congo et le rôle des églises de réveil1. Si ces églises, fortes de leur succès, ont ouvert des « succursales » un peu partout dans le monde, et notamment à Bruxelles, on peut aisément penser que les esprits malins, eux aussi, ne se sont pas cantonnés aux frontières du continent africain. « Les accusations de sorcellerie à l’égard des enfants existent également en Europe, à Bruxelles, Paris ou Londres », confirme l’anthropologue.

Si des exorcismes tragiques – comparables à des séances de torture – ont émaillé les pages de faits divers il y a quelques années, le phénomène des accusations de sorcellerie reste très difficile à appréhender chez nous. Il appartient au domaine de l’intimité des familles ou des églises. Et l’on peut penser que la plupart des « séances de délivrance » ne sont pas accompagnées de violences mais s’effectuent plutôt au travers de prières ou d’un jeûne. « Je reçois effectivement moins de familles où l’enfant est accusé de sorcellerie, que par le passé », confirme par ailleurs l’ethnopsychiatre Philippe Woitchick. « Mais cela signifie-t-il que le phénomène a disparu ou que les familles n’osent plus en parler ? En outre, quand une famille est confrontée à la sorcellerie, elle va prioritairement voir un pasteur, pas un médecin. Nos données sont donc biaisées. »

En Grande-Bretagne, la problématique a fait l’objet d’études visiblement plus poussées au point de donner naissance au projet « Violet », mis en place début 2005 pour répondre à une série de faits de maltraitance d’enfants suite à des « désenvoûtements ». Dans de nombreux cas, les familles appartenaient à des mouvements pentecôtistes. « Si le phénomène existe en Grande-Bretagne, comme il existe dans de nombreux pays africains, nous n’avons aucune raison de penser qu’il ne touche pas aussi la Belgique », reconnaît Anne-Sophie Lecomte. « L’objet de cette journée était justement de nous éclairer sur les pratiques de terrain et d’entendre les parties prenantes. »

Les parties prenantes en question ont apporté des réponses contrastées. Alors que Philippe De Boeck plaidait pour le « dialogue » afin d’essayer de comprendre les ressorts d’un phénomène qui touche des dizaines de milliers d’enfants toutes classes sociales confondues, le Conseil administratif du culte protestant évangélique entendait se démarquer complètement des pasteurs « exorcistes » : « Même s’il n’y a pas de dommage physique, comment évaluer le dommage moral ? Nous n’avons absolument rien à voir avec ces mouvements et nous n’avons aucune complaisance à l’égard de ces pratiques. Elles doivent être combattues ! », ont martelé les co-présidents Guy Liagre et Francis Renneboog.

{{Les Mena, des ouailles idéales}}

La plupart des intervenants ont pourtant relevé peu de conduites problématiques concernant les mouvements néo-pentecôtistes installés en Belgique. Ils ont en revanche mis l’accent sur les aspects positifs : pour des personnes en situation de détresse, sans papiers, sans ressources, sans famille proche, les groupes de prières apportent réconfort et soutien spirituel. Ils socialisent, favorisent une certaine forme d’intégration, voire offrent des aides directes, matérielles. Pour des jeunes confrontés à la petite délinquance ou aux assuétudes, les groupes de prières peuvent également avoir un effet bénéfique en donnant du sens à leur mal-être et en leur offrant des pistes spirituelles pour en sortir, à travers l’étude de textes bibliques et le respect du culte.

Néanmoins, si l’objectif premier de ces églises est de « sauver des âmes », les méthodes de recrutement posent question. « Par définition, les églises évangélistes veulent évangéliser, c’est l’une de leurs premières missions, ce qui explique leur prosélytisme. Elles cherchent surtout à toucher les personnes qui se trouvent dans les centres pour demandeurs d’asile et, plus particulièrement, les jeunes. Les personnes en situation irrégulière, notamment les mineurs étrangers non accompagnés (les Mena), sont sensibles aux promesses qu’on leur fait. On leur dit par exemple que la prière leur permettra d’obtenir plus rapidement des papiers », explique Anne-Sophie Lecomte.

Pour Claude Fonteyne, tuteur et fondateur de l’association Aide & Assistance aux tuteurs de Mena, il est clair que de nombreux jeunes, qu’ils soient ou non accompagnés, sont dans des groupes de prières pentecôtistes. « Mais il est très difficile de savoir s’il y a des pratiques sectaires. D’une part, parce que les jeunes ne nous en parlent pas, cela fait partie de leur intimité. D’autre part, nous devons absolument respecter la liberté de culte et ces églises jouent certainement un rôle positif dans le soutien psychologique et affectif des jeunes. A contrario, quand un Mena a un comportement qualifié de ‘ déviant ‘ par les responsables de l’institution qui l’héberge, il est envoyé chez un psy. Ce n’est pas forcément la réponse la plus adaptée… »

Si les tuteurs se préoccupent avant tout des aspects pratiques et vitaux – le logement, la santé, la scolarité, la régularisation – de leurs pupilles, il arrive effectivement que des questions d’ordre religieux viennent compliquer la situation. Mais en l’occurrence, elles émanent rarement des membres des églises néo-pentecôtistes. « Depuis quelques temps, avec les Mena venant de pays comme l’Irak ou l’Afghanistan, nous rencontrons de grosses difficultés. Leurs pratiques religieuses peuvent être très radicales et cela n’est pas sans poser problème pour leur intégration, ou dans leur attitude vis-à-vis des femmes, par exemple. »
1. À ce sujet, voir le rapport d’Amnesty International :
www.amnestyinternational.be/doc/article205.html

Alter Echos n°254 – Actualités du 20/06 au 04/07/08