La jeune femme, née à Paris dans une famille d’origine africaine chrétienne, ne sort qu’intégralement voilée et gantée, ce qui lui a déjà valu plusieurs contraventions. Dans la chambre de son fils de 12 ans, un livre sur le Prophète, un autre sur les ablutions à effectuer avant la prière constituent les seules distractions du jeune garçon.
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Contraint par sa mère de se rendre à la mosquée cinq fois par jour, l’élève, aujourd’hui en CM2, a été déscolarisé durant toute l’année 2013. « Elle ne voulait pas qu’il aille à la piscine avec les filles, qu’il entende parler d’accouchement ou de sperme à l’école. Elle a plusieurs fois évoqué son intention de partir en Afrique ou en Arabie saoudite », rapporte une source proche du dossier.

Le 12 mars, le tribunal correctionnel de Chartres a condamné la jeune mère de 27 ans à six mois de prison avec sursis et à une « obligation de travailler ». Le procureur a estimé que cette attitude n’avait « rien à voir avec la religion » et a dénoncé une « dérive sectaire ».

Depuis quelques mois, des familles confrontées à une radicalisation religieuse de ce type dans leur entourage prennent contact avec la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), qui a « lancé l’alerte » au niveau interministériel. De même, l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (Unadfi), constate une « poussée exponentielle » des cas enregistrés dans ses antennes locales.

« PHÉNOMÈNE RÉCENT ET CROISSANT »

Dounia Bouzar, auteur d’un récent ouvrage intitulé Désamorcer l’islam radical (Les Editions de L’Atelier, 224p., 20 euros), qui tente depuis des années de démontrer que « ces parcours de désocialisation relèvent plus d’une instrumentalisation du religieux que de l’islam », assure, elle, être en relation avec une trentaine de familles ayant un « enfant endoctriné ». Elle vient de créer un centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam, pour aider les travailleurs sociaux à faire la distinction entre ce qui relève « de la liberté de conscience et ce qui s’apparente àune dérive sectaire, à une souffrance ».

Face à ce « phénomène récent et croissant », selon la Miviludes, et alors que les services de renseignement s’inquiètent du départ de plusieurs centaines de jeunes Français vers la Syrie, chacun se félicite d’une prise de conscience, mais les analyses divergent encore. « Emprise mentale » pour les associations, « radicalisation religieuse », voire « dérive islamiste » pour les autorités, les réponses oscillent entre approches sociale, judiciaire et policière.

Les appels reçus à la Miviludes interviennent surtout pour s’inquiéter d’un changement de comportement chez des jeunes filles. « Ce sont des familles de culture musulmane ou non, pieuses ou non, qui voient en quelques mois, leur enfant se couvrir des pieds à la tête », confirme Serge Blisko, président de la Miviludes. Jusqu’à présent, les familles témoins d’une radicalisation religieuse liée à une dimension politique se taisaient ou, plus rarement, se tournaient vers la justice ou la police.

« Les cas qui nous arrivent ne relèvent pas tous de cela, explique M. Blisko. Parfois, la crainte concerne un départ à l’étranger pour un mariage, ou une rupture avec le cadre familial, avec les études. Les jeunes filles refusent certaines pratiques alimentaires ou affirment à leurs parents qu’ils vivent dans le faux. Les familles, dont certaines n’ont aucune attache religieuse, sont désemparées. »

« MALAISE »

Mais la Miviludes semble tout aussi désarmée. D’autant qu’elle se montre réticente à voir dans ce phénomène de « radicalisation » « des dérives sectaires, proprement dites ». M. Blisko souligne en effet la « liberté de religion et de conversion même quand le choix se porte sur un islam rigoriste », évoquant des « crises d’adolescence ».

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« On n’a pas l’impression d’avoir affaire à des gens malades ; la plupart du temps, il n’y a pas de troubles à l’ordre public, et on n’est pas non plus face à des exigences financières, explique-t-il, en référence à quelques-uns des critères qui fondent les pratiques sectaires. On constate une emprise mentale par le biais de personnages troubles sur Internet, mais il est difficile de se battre contre des ombres et les réseaux sociaux. »

« Il y a, en ce qui concerne l’islam, un malaise à apprécier la dimension religieuse ou pas d’un comportement », reconnaît Catherine Picard, présidente de l’Unadfi, qui pointe la frilosité des pouvoirs publics à s’emparer du problème sous cet angle. «Dans un pays laïc, ce n’est le rôle d’aucune autorité publique de dire : “Je ne reconnais pas le visage de l’islam dans ces pratiques”», défend M. Blisko.

Une posture que regrette Mme Bouzar, d’autant que les religieux ne sont pas non plus d’une grande aide, assure-t-elle. «Le discours officiel a longtemps validé ces ruptures comme un produit de l’islam. On disait aux parents : “Votre enfant est devenu musulman, voire plus musulman que vous.” Or, quand un jeune vous dit qu’il y a le diable à l’école, on n’est pas face à une conversion; on a affaire à de l’endoctrinement, à un enfant en danger. De leur côté, les imams répugnent à apparaître comme des juges de conscience en disant ce qu’est le “bon islam”. De toute façon, quand on envoie un imam vers ces jeunes, cela ne marche pas. »

« RENDEZ-NOUS NOS ENFANTS »

La tentation de dédouaner l’islam de toute responsabilité dans ces processus de rupture existe donc bien. Mme Bouzar invite « les religieux à réfléchir pour savoir où mettre le curseur entre liberté de conscience et conscience captive. Un débat sur l’islam, sur ses textes, sur la séparation entre politique et religieux est aussi nécessaire, mais c’est un autre sujet ».

En attendant, la Miviludes se félicite que des associations commencent à organiser la prévention et l’accueil des familles et que ces dernières cherchent à se faire entendre. Quelques mois après les meurtres commis par Mohamed Merah en mars 2012, le ministre de l’intérieur, Manuel Valls, avait assuré qu’il pariait sur la « mobilisation de la société » et la vigilance des familles pour lutter contre « l’extrémisme ».

Le 9 avril, plusieurs familles devraient lancer une pétition, intitulée « Rendez-nous nos enfants », pour alerter les pouvoirs publics et l’opinion. Et surtout, faire revenir Assia, une petite fille de 23 mois, partie à l’automne 2013 en Syrie avec son père, à l’insu de sa mère.

source : Le Monde.fr | 24.03.2014 à 12h15 • Mis à jour le 24.03.2014 à 12h24 | Par Stéphanie Le Bars

http://www.lemonde.fr/societe/article/2014/03/24/des-familles-s-inquietent-de-derives-sectaires-liees-a-l-islam_4388591_3224.html