« Depuis votre article du 30 novembre, ça n’arrête pas ! » Jean-Pierre Delord, le maire de Bugarach, sourit. « Tenez, écoutez mes messages ». Il tend son téléphone portable. Entre un ou deux administrés quêtant des conseils pratiques, et une touriste qui a retrouvé un trousseau de clé, le reste des appels émanent de journalistes, français et étrangers. De partout ! « Laurent Ruquier m’a réveillé à 5 h 30 du matin pour son émission ‘Bonjour monsieur le maire ‘, sur Europe 1. Je n’ai pas répondu ». Il l’appelait pour cette soi-disant fin du monde qui, selon des théories occultes, épargnera le village le 21 décembre 2012.

« Et maintenant, ce sont les journalistes d’une télévision italienne qui veulent venir visiter les cavités du pic de
Bugarach ! Un de leurs collègues de la presse écrite, de ‘La Stampa’ je crois, les a d’ailleurs devancés. Il est venu en taxi depuis la gare de Carcassonne pour rédiger un article sur cette histoire d’apocalypse ».

Montagne sacrée.
Toute personne qui souhaite en savoir plus doit pianoter sur internet : les gourous pullulent sur la toile. Ils la tissent de théories dans lesquelles viennent s’empêtrer les naïfs, les curieux et les amateurs d’irrationnel : « L’autre jour, avec les conseillers municipaux, en sortant d’une réunion, là, juste devant la mairie, une femme débarquant de je ne sais où nous a demandé : ‘Où se trouve la montagne sacrée ?. ‘On a tous rigolé ! ».

Parmi les appels reçus, le plus surprenant provient d’un Indien du Canada anglais. Dans un français approximatif, il a averti le maire de sa venue à la tête d’un groupe : « Nous arriverons à bord de deux bus. Nous venons vérifier les calculs du calendrier Inca ». Goguenard, J.-P. Delord hausse les sourcils : « Il se trompe : c’est le calendrier Maya qui annonce la fin de notre ère ».

Dresser la liste des médias désormais branchés sur ce petit village des Corbières serait fastidieux. Et les promeneurs bizarres ne se comptent plus. En fait, Bugarach relève de plus en plus du genre comique tant les anecdotes drolatiques s’accumulent.

« Lors d’une réunion, le sous-préfet m’a conseillé de ne plus parler à qui que ce soit, afin de calmer le jeu. Ce n’est pas la peine. Les fans de la fin du monde viennent d’eux-mêmes ! Ils s’informent par internet ».

Festival de l’utopie.
Si ça continue, Bugarach deviendra plus célèbre que la Cité de Carcassonne. Même la grotte de Lourdes risque d’écoper : « L’autre jour, une femme m’a dit qu’elle n’était plus stérile depuis qu’elle s’était promenée sur le pic, car peu après, elle est tombée enceinte ».

Certes, il n’y a que la foi qui sauve. Mais contrairement au christianisme, l’« oculto-neuro-Bugarachisme » pourrait présenter un certain avantage : beaucoup d’appelés et… beaucoup d’élus ! Ce qui posera un problème d’hôtellerie…

« Tant qu’ils viennent par groupes de trois ou quatre, ça va, c’est gérable ». Mais le maire n’ose pas imaginer dix mille « inspirés » éparpillés par monts et par vaux environnants. « En fait, pour calmer les esprits, je me demande si je ne vais pas organiser un Festival de l’Utopie où chacun viendra exposer ses lubies, fantasmes et autres théories. Je ferai barrer la route aux entrées du village, comme ils font pour Toques et Clochers, voilà ». Il faudra prévoir des caveaux de dégustation psycho sidéraux et des points de restauration énergétiques… Et un poster géant de Groucho Marx étendu le long des parois du pic ! Au point où on en est…

B. C.
MIDI LIBRE / lundi 7 mars 2011