Par le passé, des parents ont déjà obtenu la condamnation de l’État pour un défaut de prise en charge.
Mais selon l’Unapei, c’est la première fois qu’une procédure judiciaire d’urgence est conduite pour obtenir une place dans un établissement.

Dans la voix de Marie-Claire Loquet, on sent à la fois de la lassitude et de la colère. « Avec mon mari, nous n’arrivons plus à faire face. Mais si nous agissons, c’est d’abord pour notre fille, qui n’a pas la vie qu’elle mériterait d’avoir. À 19 ans, on a quand même le droit à un minimum de vie sociale, à avoir des activités et des amis. Le droit de ne pas rester cloîtrée 24 heures sur 24. »

Marie-Claire Loquet est la mère d’Amélie, une jeune femme de 19 ans atteinte d’une maladie génétique très handicapante : le syndrome de Prader-Willi. Vendredi 27 septembre, ses parents ont engagé une procédure de référé-liberté devant le tribunal de Cergy-Pontoise, en région parisienne. « Ce recours est notre dernière chance d’obtenir une place pour notre fille dans une structure adaptée », explique Marie-Claire Loquet. Cette action est soutenue par l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei). « C’est un tournant, explique son directeur général, Thierry Nouvel. C’est la première fois qu’une procédure judiciaire de ce type, en urgence, est menée par des parents. S’ils obtiennent gain de cause, d’autres familles vont suivre. »

« On doit donc être à côté d’elle, en permanence »
Le syndrome de Prader-Willi est une maladie rare qui touche un nouveau-né sur 20 000 environ. À la naissance, les enfants souffrent notamment d’une diminution très importante de leur tonus musculaire. Certains, comme Amélie, peuvent également être atteints de troubles autistiques et envahissants du développement. « Il existe aussi certains troubles sévères du comportement alimentaire qui poussent les personnes à être en constante recherche de nourriture », explique Marie-Claire Loquet. « Par exemple, notre fille avale tout ce qui lui tombe sous la main, que ce soit du papier, du savon, de la lessive, de l’eau de Javel… On doit donc être à côté d’elle, en permanence, de jour comme de nuit », ajoute-t-elle.

Au départ, Amélie est allée à l’école maternelle avec un rythme adapté à son handicap. Lorsqu’elle a eu 7 ans, en 2001, elle a obtenu une place dans un institut médico-éducatif (IME). Elle y allait durant la journée et rentrait le soir chez elle. En 2009, cet établissement a décidé de ne plus l’accueillir que le matin. « Mon mari travaille de nuit et rentre se coucher à 10 heures. Là du coup, il était obligé de se lever trois heures plus tard pour aller la chercher », raconte Marie-Claire Loquet. En 2010, cette assistante de gestion a dû arrêter de travailler pour s’occuper d’Amélie. L’année suivante, la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) a estimé qu’en raison de son état, la jeune fille, bientôt majeure, devait être orientée vers une maison d’accueil spécialisée (MAS).

« Cette famille, épuisée psychiquement, est en danger »,
Tout en maintenant Amélie au sein de son IME, ses parents ont alors cherché une place en France mais aussi en Belgique. « On a fini par trouver un établissement là-bas. En mai 2012, nous y avons amené Amélie à 13 h 30. Le lendemain, à 7 heures du matin, ils nous ont dit qu’ils ne pouvaient plus la garder. Cela a été dramatique à vivre pour elle. Cela faisait des semaines qu’on la préparait à ce départ qui la rendait anxieuse. Et elle a été traumatisée d’être mise à la porte aussi vite. »

En septembre 2012, nouvelle mauvaise surprise. L’IME annonce aux parents d’Amélie qu’il n’est plus en mesure d’accueillir leur fille. Depuis un an, la jeune femme vit donc chez eux en permanence. « Il y a vraiment urgence à agir car cette famille, épuisée psychiquement, est en danger », souligne Thierry Nouvel, en précisant que le tribunal de Cergy devrait rendre une décision dans un délai très court, peut-être même dès lundi 30 septembre.

Ce n’est pas la première fois que des parents sans solution pour leur enfant handicapé vont en justice pour faire valoir leurs droits. Au début des années 2000, l’Unapei avait ainsi soutenu cinq familles qui avaient saisi les tribunaux car ils ne trouvaient pas de place en IME. « Un de ces dossiers est allé jusqu’au Conseil d’État qui, en 2009, a rendu une décision importante en estimant que, dans ce cas précis, l’État avait une obligation de résultat et pas seulement de moyens », indique Hélène Le Meur, responsable du département des droits à l’Unapei.

Une action pour obtenir une structure d’accueil
Mais ces recours en responsabilité permettent seulement aux familles d’obtenir réparation de leur préjudice. « Elles font condamner l’État, ce qui est déjà une bonne chose. Mais ces actions mettent des années à aboutir et ne permettent pas d’obtenir une place en établissement », ajoute Danièle Langloys, la présidente de l’association Autisme France.

C’est donc là que se situe la nouveauté de l’action engagée par la famille Loquet : avec cette procédure en référé, elle ne cherche pas à faire condamner l’État mais à obtenir rapidement une structure d’accueil pour Amélie. « Il est certain qu’à l’avenir, ces actions vont se multiplier. On sent en effet une envie très forte de beaucoup de familles d’aller en justice pour faire valoir les droits de leurs enfants », assure Danièle Langloys.

source : lA CROIX
par PIERRE BIENVAULT