Ce « bien-être » est recherché par tous, mais les moyens parfois proposés pour y parvenir s’avèrent un concentré de manipulations brisant des vies et des familles. Le New Age entre dans un nouvel age.
Comment des personnes instruites, des instituteurs, des cadres, acceptent-ils l’idée que l’hyperactivité de leur enfant traduit son appartenance à une race d’anges envoyés par les habitants d’une planète lointaine ? Pourquoi des personnes longtemps rationnelles avant leur grave maladie, en viennent à croire qu’un petit bonhomme à lunettes va leur résorber la tumeur par l’imposition de ses mains, les yeux plissés par une concentration mystique ? Et si toutes ces névroses qui rongent un individu trouvaient une origine dans les sévices sexuelles subies dans une prime enfance longtemps oubliée et rappelée par un psychothérapeute persuasif ? Des gens sans antécédents psychologiques y croient dur comme fer. Pourquoi de respectables connaissances, des amis, des membres de la famille, offrent-ils corps et âme à des thérapeutes aux pratiques exotiques ?
Pourquoi ? Pour mieux être. Physiquement, moralement, psychologiquement, socialement. Pour exister, pour survivre, pour fuir, pour refuser, pour se venger… D’innombrables raisons avec comme quête ultime le bien-être. Une porte d’entrée qu’ont rapidement ouverte les mouvements sectaires. On estime qu’à Marseille, 5 à 8 000 personnes fréquentent plus ou moins assidûment un acteur du domaine de la santé ou du bien-être dont les pratiques non reconnues présentent des dérives sectaires. Le grand retour de la pensée magique et la croyance que les miracles pourraient être une alternative possible à des méthodes thérapeutiques conventionnelles.
Le corps médical en général dans le département reste assez peu disert concernant les méfaits des dérives sectaires de petites officines que le Groupe d’étude des mouvements de pensée en vue de la prévention de l’individu (GEMPPI) relève de plus en plus. L’institution qui garantit le respect de la déontologie, l’Ordre des médecins des Bouches-du-Rhône, par la voix de son président, Henry Zattara reconnaît tout de même « la fréquence de deux ou trois affaires par an d’exercice illégal de la médecine présentées devant le procureur de la République ». Cependant il ajoute, « nous savons aussi qu’il existe d’authentiques praticiens, qui détournent leurs patients sur des élucubrations millénaristes ou autres. » De telles pratiques sont sans aucun doute plus ardues à appréhender et à relever au grand jour. Et pour cause. Par définition, les victimes, manipulées, ne portent pas plainte. Deux plaintes seulement ont été déposées en 2007 sur le département des Bouches-du-Rhône. Toujours en fin d’une procédure de divorce, au moment du partage des enfants.
Controversé aussi le profil des victimes. « D’après ce qui émerge dans la littérature et les affaires d’abus, je ne pense pas qu’il faille être particulièrement crédule ou limité intellectuellement, il n’y a pas de lien entre santé mentale et subjugation sectaire. La Scientologie par exemple se développe dans les couches aisées de la société. Cela correspond à la convergence d’un état émotif, de besoins existentiels où encore à la recherche d’une réponse que les pratiques allopathiques ne sont pas à même de fournir », souligne le Dr Eric Kania, psychiatre membre du conseil d’administration du GEMPPI.
Et il n’y a pas que les faiblesses provoquées par un coup dur de la vie. « On a tous des défauts, poursuit Didier Pachoud, le président du GEMPPI, de l’égocentrisme, un besoin de reconnaissance qu’un manipulateur peut exploiter pour vous faire aller sur une planche savonnée que l’on voulait éviter. »
Si les gourous ont un réel pouvoir, c’est bien celui de la manipulation. Pas de magie, d’énergie ou autre hypermnésie, seulement une grande maîtrise de la psychologie sociale, plus d’une cinquantaine de techniques bien rationnelles pour manipuler totalement son prochain. Et bien souvent maîtrisés en autodidacte.
« L’argent et le pouvoir, la domination, l’adoration sont les motivations de ces gourous, assure Didier Pachoud. Mais c’est pour certains d’entre eux, aussi une reproduction de traumatismes vécus ». Briseurs de vie, de familles, en toute bonne foi.
Les victimes d’hier deviennent les bourreaux d’aujourd’hui. Beaucoup de ses escrocs thérapeutes sont en effet d’anciens adeptes de ces grandes sectes qui ont décliné au début du millénaire. Ils se sont mis à leur compte.
Les témoignages recueillis par le GEMPPI en attestent. Et dans la région Paca plus qu’ailleurs, la tendance est au primitif, synonyme de pureté originelle.
« Un vétérinaire de quarante ans vient de demander le divorce après vingt ans de vie commune et deux jeunes enfants, rapporte Didier Pachoud. Sa femme, après le choc de la mort de son père, est devenue une adepte du Rebirth ». « Renaissance » en anglais, le Rebirth consiste à se séparer des problèmes liés au jour de notre accouchement. En psychothérapie de groupe, une respiration particulière provoque l’hyperventilation collective que les accolades réciproques ordonnées par le thérapeute accentuent. La scène est grotesque. Le résultat cauchemardesque. Rebirth et kinésiologie (le praticien lit avec ses mains sur votre peau la mémoire de votre vie et de celle de vos ancêtres) ont persuadé la femme du vétérinaire qu’elle a subi des sécices sexuelles de son oncle dans son enfance. « Ma femme s’est alors totalement repliée sur elle ». La famille est brisée. Aucun trouble à l’ordre public, pas de plainte. Elle continue ses séances de Rebirth.
Le Dr Eric Kania prend très au sérieux la technique de faux souvenirs induits par des pseudo thérapeutes. « C’est un phénomène que l’on voit paraître en France après les Etats-Unis. Par des techniques d’autosuggestion on persuade telle ou telle personne d’avoir vécu des mauvais traitements, de viols, d’abus sexuels par quelqu’un faisant figure d’autorité : souvent un des parents proches, le père, un enseignant ». De cette manière le manipulateur en distillant la discorde dans le groupe calomnié entend s’accaparer la victime et en tirer profit.
Didier Pachoud : « On a tous des défauts qu’un manipulateur peut exploiter pour vous faire aller sur une planche savonnée que l’on voulait éviter. »
Ici c’est un fils (41 ans) qui après des séances de psychogénéalogie à Marseille, suite à une rupture sentimentale, qui accuse père et mère de l’avoir violé. Là c’est une prof de collège qui suit une simple psychothérapie, sur divan et qui se découvre des attouchements perpétrés par son père dans son adolescence. Une manipulation dite de la communication émotionnelle, l’appel aux émotions pour court-circuiter la raison logique. Tout le monde y est plus ou moins vulnérable.
Didier Pachoud montre une multitude de témoignages, de proches comme de victimes de certaines de ces pratiques à dérives sectaires. « Le souci réside dans la nécessité de faire la preuve » regrette-t-il.
Combien de ces praticiens sont des escrocs manipulateur et dangereux ? Mystère. Le GEMPPI épluche le journal officiel pour guetter les création d’association suspectes. Une étude récente de l’Ordre des Médecins des Bouches du Rhône a constaté qu’un généraliste sur trois recourent à des pratiques non conventionnelles. De même, toujours dans le département, 36% des gens atteints d’un cancer se tournent vers ces médecines et thérapeutiques.
Si les vicissitudes de la vie ne conduisent pas forcément à se tourner vers ces pratiques à risque de dérives sectaires, ce sont ces pratiques qui partent à la chasse de nouveaux adeptes. Derrière la balade en forêt proposée par petite affichette collée sur le panneau du CE d’une entreprise, se cache parfois une initiation ludique au rituels shamaniques.
Les boites aux lettres sont pleines de prospectus dont les activités peuvent être vectrices de dérives sectaires importantes. Didier Pachoud donne un conseil : « quand un praticien prétend que sa méthode traite le mal, quand la médecine classique ne s’occupe que des symptômes… Méfiance ».
Enquêtes Philippe Pujol et Antonio Moreira
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Légalité des sectes ?
Commentaire
La lutte contre les dérives sectaires est éminemment idéologique, donc politique. Deux grand courants : le « répressif » contre le « libéral ».
Derrière le « non-problème » lâché en février dernier par Emmanuelle Mignon, la directrice de cabinet de Sarkozy, plutôt qu’un dérapage, s’énonçait déjà le cap choisi par le gouvernement : « Poursuivre et réprimer les comportements caractérisés de troubles à l’ordre public ou des infractions pénales avérées ».
Il n’y a donc plus de victimes manipulées par des sectes, mais des victimes de troubles à l’ordre public, d’où le « non-problème ». Les avocats de gourous ne manqueront pas de s’engouffrer dans la brèche.
Cette approche exclusive de la secte par le trouble à l’ordre public marque l’ignorance volontaire du témoignage de la victime ou de ses proches, au nom de la liberté de conscience.
Voilà donc le triste renoncement à prévenir la dérive sectaire dans l’ensemble de ses dimensions, un renoncement contraire aux intérêts des victimes.
D’ailleurs, l’Intérieur a choisi d’évincer de ses nouvelles structures de vigilance, les associations travaillant en direction de victimes qui pourtant collectent plus de 80% des témoignages.
« L’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse » puni par la loi n’en sera que plus dur à démontrer.
P.P.
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