LE MONDE | 19.02.09 | Article paru dans l’édition du 20.02.09

Fausse bonne idée ? La mise en place de “tickets psy” visant à soulager le mal-être ou la souffrance des salariés au travail fait polémique. Commercialisés par ASP Entreprises, une société de conseil spécialisée ” dans le développement des conditions de qualité de vie au travail”, des carnets de tickets sont distribués aux salariés par le médecin du travail, soit que ce dernier les leur propose, soit qu’ils en fassent la demande. Ces carnets leur donnent droit gratuitement à 5 ou 10 consultations chez un praticien sélectionné par ASP Entreprises. La démarche est couverte par le secret médical.

La société, installée à Suresnes (Hauts-de-Seine), annonce à ce jour un réseau d’une centaine de professionnels – 80 % de psychologues, 18 % de psychothérapeutes et 2 % de psychiatres -, mais elle compte bien étoffer son offre. “Nous avons lancé ce service il y a deux ans à la demande de deux sociétés clientes qui nous ont demandé des solutions pour assurer un soutien psychologique de salariés”, explique Valentine Burzynski, directrice générale d’ASP. A ce jour, le dispositif est commercialisé dans une dizaine d’entreprises. Toutes sortes de secteurs seraient concernés, des convoyeurs de fonds aux banques.

Pour accéder à un thérapeute, les salariés doivent passer par ASP, qui leur fournit un ou plusieurs noms en fonction de leur domicile ou lieu de travail. “Cette démarche est anonyme, poursuit la directrice générale. On ne demande pas son nom au salarié qui souhaite entrer en contact avec un praticien. Et nous signons une convention avec les entreprises clientes pour ne donner aucune information sur la nature des appels.”

La souffrance psychique au travail peut se manifester sous différentes formes : stress, syndrome anxio-dépressif, ulcères, problèmes de sommeil, troubles psychosomatiques comme le mal de dos. Elle peut conduire à l’alcoolisme, voire au suicide. Elle peut être générée par l’entreprise (organisation du travail, objectifs irréalistes, harcèlement…) ou provenir de problèmes personnels amplifiés par les contraintes professionnelles.

Face à cette souffrance, les employeurs ont des obligations. Selon le code du travail, ils doivent prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé “physique et mentale” de leurs salariés par des actions de prévention des risques professionnels, d’information et de formation et la mise en place d’une organisation adaptée. Plus récemment, un accord national interprofessionnel sur le stress au travail a été signé, en novembre 2008, par les partenaires sociaux.

Mesure individuelle, le ticket psy risque-t-il de dédouaner l’entreprise de ses responsabilités à bon compte ? C’est ce que craignent plusieurs organisations professionnelles. “Il ne faudrait pas que ce dispositif exonère un milieu professionnel qui serait pathogène, considère Gérard Guingouain, président de la Société française de psychologie (SFP). En l’état actuel, nous ne pouvons qu’émettre des réserves.” Pour Gilles Arnaud, du Syndicat national des professionnels de la santé au travail, “en cas de risques psychosociaux, l’entreprise doit d’abord en faire une évaluation, puis mettre en place un plan de prévention”. Rien ne l’empêche ensuite, si elle veut aller plus loin, de s’occuper des cas individuels.

Le conseil national de l’ordre des médecins estime, quant à lui, que ce dispositif, contraire ” au libre choix des praticiens” par les patients, n’est pas exempt de dérives. “Si on détecte quelqu’un qui a des difficultés, va-t-on exercer des pressions pour qu’il consulte ? s’interroge Piernick Cressard, neuropsychiatre et conseiller national de l’ordre. Le médecin du travail n’a pas besoin de ce dispositif pour remplir ses missions.”

APS Entreprises espère, une fois le réseau étoffé, pouvoir proposer quatre ou cinq noms au salarié. Quant au risque d’exonérer l’entreprise de ses responsabilités, APS assure que les sociétés qui demandent des tickets psy ont engagé en général un travail de prévention en amont. ” Il est trop tôt pour évaluer le dispositif et dire ce qui marche ou pas, conclut Valentine Burzynski. Et le projet peut encore évoluer.”

Jean-Denis Fauxpoint, psychologue, a reçu en un an une demi-douzaine de patients adressés par ASP Entreprises. “C’est un outil intéressant en plus des actions de prévention, considère le psychologue. Et si je percevais un problème lié à l’entreprise elle-même, je n’hésiterais pas à alerter le médecin du travail”, promet-il.

Martine Laronche