« En ce qui concerne les morts, c’est 6 à 2 pour les intégristes catholiques », lance le sociologue Martin Geoffroy. C’est un drôle de décompte, convient ce professeur au cégep Édouard-Montpetit et directeur du Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux et la radicalisation (CEFIR). Mais il illustre bien que, malgré le fait que l’attentat de la mosquée de Québec a fait six morts, ceux reliés à l’islam radical jouissent encore d’une attention disproportionnée dans les médias et l’esprit des Québécois. « On n’hésite pas à associer les attentats terroristes au groupe État islamique et à l’intégrisme religieux, mais quand ça émane de notre propre culture, c’est plus difficile à reconnaître. »
Il rappelle que seulement deux attentats djihadistes, celui de Saint-Jean-sur-Richelieu et celui au parlement d’Ottawa, qui ont fait en tout deux morts, ont été perpétrés chez nous. Le fameux complot des Toronto 18 planifié en 2006 a quant à lui été déjoué, et les liens de ces terroristes avec al-Qaïda ne seraient pas prouvés.
Fort de 20 ans de recherche sur l’extrême droite, son postulat se confirme. « C’est toujours plus facile de blâmer la culture de l’autre plutôt que de regarder notre propre culture. Mais l’intégrisme catholique, tout comme l’intégrisme islamique, a aussi un rôle à jouer dans le terrorisme », dit M. Geoffroy, reconnaissant qu’il y a d’autres facteurs, notamment psychologiques, pour expliquer cette violence extrême.
Dans une conférence qu’il donnera dans le cadre du colloque international du Centre de recherche Société, Droit et Religions de l’Université de Sherbrooke (SoDRUS) sur le thème « Les racines religieuses de la radicalisation : fait ou fiction » (les 4, 5 et 6 mai), il défendra la thèse voulant qu’au Québec, les deux formes les plus habituelles d’intransigeance religieuse sont l’intégrisme catholique et le fondamentalisme protestant. Mieux ancrés dans notre société, ces intégrismes bien de chez nous passent sous le radar des médias alors qu’ils vont pourtant à l’encontre des valeurs de la société moderne. « La radicalisation des jeunes et le djihadisme sont dangereux, je ne veux pas le minimiser. Mais cela étant dit, il faut se préoccuper de nos propres affaires. Et il semble plus difficile de regarder le côté sombre de la force de notre propre culture. »
{{Intégrisme catholique}}
Martin Geoffroy se heurte d’ailleurs souvent à des regards surpris lorsqu’il rappelle qu’il existe encore plusieurs sectes catholiques, antisémites, anti-islam, anti-immigration. Ses plus récentes recherches l’amènent à conclure que ces groupes sont « complotistes, à base d’intégrisme religieux ou les deux », soutient le chercheur, qui rappelle que des députés conservateurs avaient des liens avec l’Opus dei et la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X. Cette société controversée de prêtres catholiques traditionalistes fondée en Europe, qui a des ramifications au Québec, avait été vue comme trop d’extrême droite par l’Église, qui avait notamment excommunié son fondateur, Mgr Marcel Lefebvre, en 1988.
La fraternité Saint-Pie-X est aussi dans la mire d’Atalante, a-t-il remarqué grâce à une veille de ces groupes sur Internet et les réseaux sociaux, où des vidéos ont clairement établi ces liens. La dimension religieuse, à tout le moins sacrée, est également présente chez les Soldats d’Odin, un groupe d’extrême droite d’origine finlandaise qui a rapidement pris de l’ampleur au Canada. « Dans les groupes suprémacistes blancs, il y a une adoration des dieux vikings, car ils sont blonds, etc. Et Odin, c’est le dieu principal de la mythologie nordique », rappelle le chercheur, qui entamera sous peu une collaboration avec le sociologue français Gérald Bronner, pour comparer les initiatives contre la radicalisation.
Le colloque du SoDRUS fera la part belle aux présentations sur la radicalisation au sein d’autres groupes religieux (bouddhistes, sikhs, anabaptistes, etc.). Martin Geoffroy s’étonne que certains doutent encore du lien entre la religion et l’extrême droite. La radicalisation et les actes terroristes des djihadistes sont automatiquement associés à la religion, alors que la majorité des djihadistes ne sont pas pratiquants mais plutôt convertis « à la version intégriste de l’islam, un islam pour les nuls », dit-il, pointant la thèse du politologue français Olivier Roi sur la déculturation du religieux. « Mais quand on parle de l’extrême droite chez nous, on ne parle pas nécessairement de la religion catholique. On dit que ça n’a pas de rapport, comme si on voulait déconnecter l’extrême droite de notre culture », dit-il. Or ce n’est pas parce que les gens ne sont pas pratiquants qu’ils ne sont pas croyants, rappelle-t-il, précisant que le taux de catholiques pratiquants (15-17 %) est presque aussi élevé que pour les musulmans (20 %).
{{Bissonnette, un extrémiste catho}}
Alors que plusieurs hésitent à associer Alexandre Bissonnette, accusé de six meurtres prémédités à la mosquée de Québec, à des groupes d’extrême droite ou à lui reconnaître des croyances religieuses, Martin Geoffroy ne se gêne pas. Affiché pro-Trump et pro-Le Pen sur les réseaux sociaux, le jeune homme ne s’est-il pas dit « catholique » lorsqu’on lui a posé la question lors de sa visite de repérage sordide une semaine avant son crime ?
« Il n’est peut-être pas catho pratiquant, mais certainement catho laïque […] et il adhère à une version catholique intégriste liée à la race et à la nation québécoise », selon le chercheur, qui compare le jeune homme à Dylann Roof, un sympathisant du nazisme condamné à mort en début d’année pour avoir tué neuf paroissiens noirs dans une église de Charleston aux États-Unis. La radicalisation est ici plus sournoise. « Chez les jeunes aujourd’hui, et au sein de groupes extrémistes, c’est très populaire de vouloir préserver les églises et les traditions. »
Les discours antisémites, anti-immigration, anti-islam et antiféministes auxquels s’est abreuvé à l’Université Laval le jeune accusé de meurtre ne sont pas dénués de cette dimension sacrée, croit-il. « Et ce qui est intéressant avec [Bissonnette], c’est qu’aucune accusation de terrorisme n’a été portée contre lui. Alors que, s’il avait été musulman, c’est sûr que ça aurait été le cas », estime M. Geoffroy. « Pour moi, il est un terroriste comme les autres. »
source :
http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/497895/les-medias-font-la-part-belle-a-l-integrisme-musulman-culturellement-mieux-ancre-dans-la-societe-l-integrisme-catholique-passe-sous-le-radar
Le Devoir
4 mai 2017 |Lisa-Marie Gervais |