POMMARD (France), 21 nov 2012 (AFP) – Au soleil couchant, un vigneron de Bourgogne diffuse sur ses vignes un traitement à base de bouse. La lune est descendante, le moment idéal, selon la biodynamie, une pratique teintée d’ésotérisme à laquelle des domaines prestigieux se sont convertis.
Seul au milieu de la vallée roussie par l’automne, dans ce petit domaine situé entre Pommard et Beaune, il asperge ses vignes d’une pluie fine depuis un bidon rempli de « 500 », préparation à base de bouse enterrée tout l’hiver dans une corne de vache.
La « 500 » est l’une des recettes emblématiques de la biodynamie, une pratique agricole qui va au-delà du bio. Le paysan base son travail sur la position des astres et des constellations du zodiaque et utilise des produits comme des tisanes ou des composts de végétaux fermentés dans une vessie de cerf.
Ces recettes sont celles d’un philosophe autrichien dans les années 1920, Rudolf Steiner, qui a converti des vignerons en France, en Italie ou en Nouvelle-Zélande.
« Il y a des choses très ésotériques dans ses écrits, comme voir l’influence de Mars dans une plante, ce dont je ne suis pas capable », souligne Didier Montchovet, propriétaire de ces 12 hectares de vignes en Bourgogne.
En Bourgogne, plusieurs exploitations travaillent en biodynamie, dont les très réputés domaines de la Romanée-Conti et de la Vougeraie.
Ils exportent massivement vers l’étranger, notamment les Etats-Unis et le Japon, vendent cher, emploient des financiers, mais leur logique cède face aux bienfaits de la biodynamie sur leurs vignes.
« C’est exactement comme l’homéopathie ou les ostéopathes, on y croit ou on n’y croit pas », tranche Pierre Vincent, le régisseur du domaine de la Vougeraie, depuis le jardin où sont cultivés des plants de lavande, sauge ou citronnelle pour confectionner des tisanes pour la vigne.
« Rudolf Steiner avait sans doute un don assez inexplicable. C’est bien quand des gens extérieurs au milieu apportent leur vision. Quand on y réfléchit, on ne peut qu’y adhérer, surtout quand on voit les travers de l’agriculture moderne qui s’est rendue dépendante de l’industrie chimique », ajoute celui dont les vins sont régulièrement primés dans des concours internationaux.
Non loin de là, la maison Albert Bichot envisage de passer à son tour en biodynamie, mais il y a un « verrou » à faire sauter, selon le régisseur Christophe Chauvel: « On a une formation scientifique, cartésienne. La biodynamie ne correspond pas à ce qu’on apprend à l’école ».
« Obscurantisme »
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Cette pratique laisse encore de nombreux professionnels sceptiques. Ils estiment que les vignes en biodynamie sont en bonne santé parce que les vignerons doivent leur consacrer beaucoup de temps et d’attention, et non grâce aux préparations imaginées par Steiner.
Luc Charlier, médecin devenu vigneron dans le Roussillon et collaborateur de revues sur le vin, voit dans les théories de Steiner un « assemblage de fadaises ».
D’autres y voient un argument marketing auprès de consommateurs sensibles au retour à une viticulture respectueuse de l’environnement.
Les grands domaines affichent néanmoins rarement la mention « agriculture biodynamique » sur leurs bouteilles. « On ne veut pas que ce soit un argument commercial, mais un argument qualitatif », explique Pierre Vincent.
« Ce n’est pas un argument mis en avant, confirme Joëlle Brouard, professeur de marketing et directrice de l’Institut du management du vin à l’Ecole supérieure de commerce de Dijon. D’abord parce qu’ils n’en ont pas besoin pour vendre, mais aussi parce qu’ils ne veulent pas être jugés sur les moyens mais sur le résultat ».
« Fondamentalement, ça ne part pas d’une volonté commerciale, mais d’une conviction personnelle, d’autant qu’il faut convaincre l’ensemble des salariés de travailler de cette façon », poursuit-elle, insistant sur le fait que ces viticulteurs ne sont « pas des illuminés ».
« C’est une philosophie, une vision de ce que doit être le vin et la relation de l’homme à la nature », estime encore l’enseignante.
source : AFP
Par Myriam LEMETAYER