Du jardin d’enfant à la classe de terminale, l’école Steiner-Waldorf de Verrières-le Buisson accueille 360 élèves.

Les écoles Steiner-Waldorf sont-elles à la remorque d’une dérive sectaire qui avancerait masquée ou d’une simple philosophie humaniste et inoffensive? C’est le débat sous-jacent qui s’est joué, mardi, devant le tribunal correctionnel de Strasbourg.

Plusieurs membres des écoles Steiner-Waldorf y ont défilé pour défendre le bien-fondé de leurs méthodes éducatives. Leur pédagogie s’inspire des conceptions de Rudolph Steiner, un pédagogue et occultiste autrichien dont les idées ont surtout essaimé en Allemagne et en Suisse à partir des années 1920. On compte une vingtaine d’écoles de ce type en France, dont les plus importantes sont à Chatou, Verrières-le-Buisson, Strasbourg et Colmar. Deux d’entre elles, sous contrat avec l’État, sont installées de longue date dans le paysage éducatif français. Leur bête noire, qu’elles accusent de diffamation par le biais de trois procédures pénales et civile, a pour nom Grégoire Perra, ancien élève et ex-professeur anthroposophe d’une cinquantaine d’années.

«Ce que dit Rudolph Steiner, ce n’est pas une théorie, c’est une réalité, nécessaire pour sauver l’âme des enfants. Ces idées sont mêlées à l’enseignement traditionnel»

Grégoire Perra, ancien élève et ex-professeur anthroposophe

Tout de noir vêtu, désormais professeur de philosophie d’un lycée public de la région parisienne, l’homme a fait de la dénonciation de l’anthroposophie le combat d’une vie. Depuis six ans, il multiplie les articles sur un blog, dénonçant le fait que, dans ces écoles, les élèves seraient endoctrinés de façon dissimulée. Pour les anthroposophes, assure-t-il devant le président du tribunal qui lui demande de ne pas se lancer dans «un colloque pour ou contre l’anthroposophie», ce que dit Rudolph Steiner «ce n’est pas une théorie, c’est une réalité, nécessaire pour sauver l’âme des enfants. Ces idées sont mêlées à l’enseignement traditionnel», affirme-t-il. Selon lui, au cœur de la pensée anthroposophique, se retrouvent une croyance liée à la réincarnation, une perception d’un monde sensible inaccessible par les sciences et techniques traditionnelles, l’importance de l’astrologie…

«Je sais que ce ne sont pas des sciences exactes»

Les membres du courant anthroposophique ont développé diverses activités tendant à mettre en pratique leur doctrine: une médecine, une agriculture anthroposophique et des écoles… Accusée par un article du blog d’avoir dissimulé l’identité d’un membre éminent de l’anthroposophie, institué animateur lors d’un voyage scolaire, Virginie Macé, professeur à l’école de Verrières-le-Buisson, a porté plainte pour diffamation. Les écoles Steiner se défendent absolument de mêler l’anthroposophie à leurs pratiques pédagogiques, assure-t-elle.

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Agriculteur en biodynamie, une technique censée prendre en compte l’influence des rythmes lunaires et planétaires dans l’agriculture, l’intervenant René Becker explique avoir «simplement parlé de botanique, géologie et astronomie aux enfants». En «aucun cas», ce secrétaire général de la société anthroposophique de France «n’a inculqué à ces enfants de 11 ans les conceptions anthropologiques de la minéralogie ou de l’astronomie», comme a pu l’écrire Grégoire Perra, «car je sais que ce ne sont pas des sciences exactes». Une affirmation qui ne manque pas d’interroger le tribunal: «Puisque vous assurez enseigner comme dans n’importe quelle école, quel intérêt de vous afficher comme une école différente? Pourquoi ne reconnaissez-vous pas ce lien qui semble évident entre les écoles et l’anthroposophie?» Des réunions anthroposophes ne se tiennent-elles pas dans telle ou telle école? L’enseignante, elle, est révoltée: «J’ai été blessée de lire que je pouvais porter atteinte à l’intégrité psychologique de mes élèves.» Et d’assurer que tous les parents lui ont signé une lettre de soutien.

«J’ai été blessée de lire que je pouvais porter atteinte à l’intégrité psychologique de mes élèves»

Virginie Macé, professeur à l’école de Verrières-le-Buisson

Un ancien fonctionnaire s’avance à son tour à la barre. Ses cinq enfants ont été inscrits dans des écoles Steiner alsaciennes. Ils sont aujourd’hui kinésithérapeute, ergothérapeute, éducateur spécialisé ou encore constructeur de maisons écologiques. Il affirme n’avoir «jamais constaté le moindre enseignement caché, aucun embrigadement ou fermeture d’esprit, bien au contraire». C’est tout l’enjeu maintes fois soulevé.

En 2015, un rapport de la Mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires s’interrogeait sur la prise de distance des écoles avec la philosophie du fondateur «qui n’est pas toujours claire (…) Les parents ne mesurent pas tous l’ensemble des fondements théoriques». Le président du tribunal s’interroge par exemple auprès de ce père de famille sur la pratique de «l’eurythmie» au sein des écoles, une discipline corporelle et artistique anthroposophe qui met en association la perception des sons et des mouvements. Et qui représenterait des mouvements d’âme. Le tribunal devra trancher en octobre entre «une secte qui selon notre détracteur malveillant proposerait un art centenaire de la tromperie», lance, ironique, l’avocat des écoles Steiner et Grégoire Perra qui se présente comme un lanceur d’alerte de bonne foi, selon son avocat «même si sa plume, il est vrai, manque parfois de légèreté».

Cet article est publié dans l’édition du Figaro du 10/07/2019