Comme saint Thomas, il nous faut souvent voir pour croire. Difficile d’imaginer que les miracles existent encore. Et pourtant, aujourd’hui, Dieu apporte bel et bien la guérison dans les cœurs comme dans les corps.

À la lumière de la parabole du Bon Samaritain (Luc 10, 30), l’Église peut s’identifier à une hôtellerie, où les soins sont gracieusement prodigués (le Bon Samaritain qu’est le Christ, a payé d’avance). L’huile de la joie et le vin de l’amour y sont proposés. Tant de gens blessés, déchirés dans leur vie familiale ou relationnelle, meurtris dans leur psychisme et dans leur affectivité, en "mal être", attendent de l’Église une écoute désintéressée, l’hospitalité fraternelle et bienfaisante, et surtout la paix du Ressuscité (Jean 20, 19) que le monde ne peut pas connaître (Jean 14, 27). "Évangéliser, c’est d’abord apaiser le corps, en lui disant “va en paix”" (J. Sullivan).

Dans la claire conscience des rapports complexes entre foi, psychologie et médecine, l’Église dans sa plus lointaine tradition spirituelle (Pères du désert), apporte le secours de sa sollicitude et de sa compassion. Dans les limites pastorales et spécifiquement spirituelles qui sont les siennes, elle doit s’approprier à frais nouveaux une réflexion théologique et une pratique pastorale sur ces "outils thérapeutiques" aujourd’hui exploités par des spiritualités ambiguës, voire dangereuses.

Un large dispositif curatif est proposé depuis toujours par l’Église pour soulager et guérir les blessures du psychisme, du corps et de l’âme : sacrements (confession, eucharistie, onction des malades), adoration eucharistique, exorcisme, prières de guérison et de délivrance, exercices ascétiques de pénitence et de jeûne, pèlerinages, aumônes, sacramentaux… Ce large éventail appelle toujours une démarche éclairée de foi dans le Christ, le vrai médecin de nos âmes, une conversion personnelle, un accompagnement spirituel.

"Libère mon peuple… pour qu’il me serve" (Exode 7, 26), fit entendre le Seigneur à Pharaon par la bouche de Moïse. Dieu n’est pas plus un moyen de guérison, que celle-ci n’est un but en soi. C’est en portant son regard sur Dieu pour engager son avenir que l’homme guérit. Cette guérison qui est vie d’alliance peut très bien creuser plutôt que supprimer une pauvreté ; telle fut l’expérience fondatrice d’Israël durant l’Exode. L’Esprit nous invite parfois à rester pauvre, comme Paul avec son écharde, transformant nos blessures en lieux privilégiés d’ouverture à la grâce. La blessure elle-même peut devenir source et lieu d’alliance d’où naît la louange. Tant que tout n’est pas devenu objet de louange, on ne s’est pas encore laissé totalement visiter par Dieu.

Guérir, c’est parfois recevoir la grâce d’accepter de marcher avec un manque en y découvrant un lieu de communion avec le Christ : "Si tout orgueil était mort en nous, la grâce des grâces serait de s’aimer humblement soi-même, comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus Christ", écrivait Bernanos en conclusion de son Journal d’un curé de campagne.

La prise de conscience des événements qui sont à l’origine d’un blocage rend possible l’accueil du salut de Dieu. L’irruption de l’Esprit Saint dans ce qui était fermé restaure la possibilité de vivre la foi, l’espérance et la charité en supprimant ce blocage ou en transformant le regard sur une situation qui, saisie à partir de Dieu, pourra désormais être vécue différemment. "On assiste à la sortie de quelqu’un de l’endroit où il était prisonnier et à son entrée dans son âme et à ses noces avec lui-même", écrivait déjà Thérèse d’Avila.

Le terrain thérapeutique est glissant. Tant de sectes et de groupes ésotériques y font recette.

Quelquefois, la recherche de santé et de bien-être se substitue à la quête du salut. Ou encore, certaines personnes s’enferment dans un infantilisme qui combine demande de sécurité absolue et de prise en charge, refus de toute obligation contraignante, une propension à la "victimisation" (responsable mais pas coupable). L’individu tend ainsi à évacuer et disqualifier toute notion de péché, de culpabilité. "L’enfer, c’est les autres" ou "le système". Cette innocence auto-proclamée conduit à la justification de soi. Elle prive de l’accueil de la miséricorde.

L’ensemble du corps social (familles, entreprises, communautés sociales, relations internationales) souffre également de maladies graves : violences, injustices, exploitations… Ces structures collectives de péché ont besoin aussi d’être guéries. La "thérapie chrétienne" s’appuie sur des gestes de réconciliation, la purification de la mémoire, des actes de réparation, le dialogue confiant… Cette évangélisation de notre humanité blessée jusque dans les profondeurs de sa conscience collective trouve son origine dans le pardon que l’on ne peut se donner à soi-même ou aux autres que si on le reçoit du Christ.
 Mgr Dominique Rey