Un rapport commandé par le ministère de l’Intérieur au Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam stipule que la proportion des convertis ne cesse d’augmenter parmi les jeunes Français qui rejoignent des formations djihadistes au Moyen- Orient.

La question serait plutôt de savoir pourquoi, un jeune Français de 22 ans, originaire de Normandie, né dans une famille non musulmane, appartenant à la classe moyenne, au casier judiciaire vierge, au parcours scolaire réussi et qui ne se convertit à l’islam que tardivement, devient l’un des bourreaux de l’Etat Islamique.

Cette question n’a pas fini de tarauder les pouvoirs publics tout comme de nombreuses familles en France. Car les Français forment un des groupes les plus nombreux parmi les jeunes Européens qui ont gagné les rangs de l’EI ou d’Al Quaida en Irak ou en Syrie : ils seraient près de 1200 impliqués aujourd’hui dans cette région. Les 160 familles qui ont fait appel au Centre de prévention sont des familles de tous les milieux socio-professionnels, laïques ou de toute appartenance religieuse, et un bon nombre de demandes, contrairement aux idées reçues, concerne des filles.

Et pourtant ces jeunes gens et ces jeunes filles qui sont au cœur de la France et de la République se sont laissés embrigader. Pourquoi ? Il existe incontestablement des centaines de facteurs explicatifs, possibles ou probables, qui agissent séparément ou en synergie, et toutes les explications simples s’avèreraient incomplètes et faussement rassurantes.

Comme souvent, les explications d’ordre social (chômage massif, avenir bouché chez des millions de jeunes), ou d’ordre biographique (telle la dévalorisation du père dans certaines familles d’origine maghrébine) coexistent avec des facteurs d’ordre psychologique.

Pour certains, le manque d’estime de soi, l’incapacité à gérer la frustration, le besoin d’exprimer une violence désinhibée, va rencontrer sur Internet des images de radicalité guerrière qui ont plus à voir avec certains jeux vidéo qu’avec la religion ou une quelconque guerre de libération. Bien des garçons vont ainsi être d’abord attirés par une scénographie de lutte héroïque dont le prétexte sera une solidarité fantasmée envers les musulmans perçus comme opprimés. Al Nostra, filiale d’Al Quaida, attire des jeunes sensibles, engagés, désireux d’améliorer la société : ils ont réussi à faire basculer pas mal d’étudiants en médecine ou des jeunes filles qui voulaient devenir infirmière, assistante sociale, des métiers où l’on aide les autres…

Ce qu’il faut bien comprendre est qu’il ne s’agit pas d’un d’engagement religieux, d’une croyance en Dieu qui relève de la liberté de conscience comme droit fondamental de chacun, mais d’un engagement dans une logique sectaire qui isole progressivement un jeune plein de bonnes intentions du reste de la société.

La force de l’endoctrinement tient à des vidéos hélas très convaincantes qui mélangent des images choc, une musique envoûtante, des rythmes entraînants et une ambiance hypnotique. Des groupuscules extrémistes basés en Syrie se baptisent « les Véridiques ». Ils véhiculent une idéologie de la pureté du groupe et de la régénération du monde, et s’appuient sur une mythologie d’apocalypse dont seront épargnés ceux qui vivent sur la terre du Sham, la terre du Levant.

La subtilité et la force de ces groupuscules radicaux consistent à persuader musulmans et non musulmans qu’ils ne font que revenir à la source de l’islam. Ils développent le sentiment d’appartenance à une communauté plus pure, au-dessus du reste du monde. Ceux qui ne font pas partie du groupe purifié sont les ennemis de l’intérieur. Tout est mis en place pour se séparer et se reconnaître.

Mais tous les jeunes ne basculent pas dans une secte, pas plus que dans la drogue ou dans l’anorexie. Tout individu séduit par le djihadisme n’est pas une victime isolée dans sa chambre face aux théories du complot trouvées sur Internet et relayées par les réseaux sociaux.

C’est toute une dynamique familiale et environnementale qui est interrogée, et, à ce titre, ce sont toutes les approches psychologiques individuelles, familiales, éducatives qui doivent se trouver mobilisées.

http://www.franceinter.fr/sites/default/files/titre_79.png
http://www.franceinter.fr/emission-la-chronique-de-serge-hefez-djihad-jim

Serge Hefez

Psychiatre et psychanalyste