La chercheuse Dounia Bouzar croise les témoignages des 55 familles qui se sont adressées au centre de prévention depuis le début de l’année avec l’analyse des vidéos de propagande diffusées sur internet

Le premier rapport du Centre de prévention contre les dérives sectaires (CPDSI), rédigé par la chercheuse Dounia Bouzar avec Christophe Coupenne, un ancien négociateur du Raid, éclaire un peu mieux le profil et les motivations de ceux dont la France découvre l’existence, ébahie, depuis quelques mois:des garçons et des filles nés dans l’Hexagone et happés par la sanglante aventure islamiste du djihad syrien à l’âge où leurs copains vont encore au lycée ou à la fac.

Dounia Bouzar, (Désamorcer l’islam radical. Ces dérives sectaires qui défigurent l’islam,Les Éditions de l’Atelier) s’appuie sur du concret : elle croise les témoignages des 55 familles qui se sont adressées au CPDSI depuis le début de l’année avec l’analyse des vidéos de propagande diffusées sur internet par Omar Omsen, “émir” rattaché au groupe Al Nostra francophone, lui-même dans l’orbite d’Al Qaïda.

Premier constat : l’islam radical, qui touchait jusque- là plutôt des jeunes fragilisés issus des banlieues, a élargi son emprise aux enfants de la bourgeoisie. Les familles suivies par le CPDSI appartiennent en effet, dans leur majorité, aux classes moyennes et supérieures. Elles n’ont pas connu de “parcours migratoire récent”, note le rapport, et sont, pour la plupart, “de référence athée”. Leurs enfants suivent des études, à l’exemple de cette jeune fille, en début d’ année préparatoire à Science Po. “Sous prétexte que c’était mixte, racontent ses parents, en un mois, elle y a renoncé pour se ‘consacrer’ à Dieu”.

Car – et c’est là le deuxième constat – le basculement dans l’extrémisme est parfois extrêmement rapide, d’où la difficulté pour les parents de réagir. La rupture peut s’exprimer de façon radicale: le jeune converti refuse de consommer les mêmes aliments que ses proches, décroche les tableaux, dit non à la télé, au cinéma, au restaurant puis cesse les cours. “Il ne voulait plus aller à l’école, en disant que faire un angle droit faisait partie du complot des croisés et des sionistes contre l’islam, puisque ça fait rentrer des croix dans les esprits”, témoigne un parent.

Dans d’autres cas, les familles ne se rendent compte de rien. Ainsi de cet étudiant, censé potasser son BTS. “Il s’était mis à faire la prière entre 12 et 14 ans, se souviennent ses parents. Après, il s’est arrêté. Quand il est parti, il ne pratiquait rien de la religion. Pourtant, on a compris qu’il avait tout organisé : il avait même fait des petites économies qu’il a récupérées avant de gagner le sud”.

Chez les filles, l’embrigadement passe par le port du voile intégral. Chez les garçons, en revanche, l’allure vestimentaire ne change pas nécessairement. En revanche, tous fréquentent les mêmes sites, visionnent les mêmes vidéos, reçoivent les mêmes sms leur disant comment penser et agir. “J’ai fini par confisquer le portable de ma fille, elle recevait des sms toutes les heures pour lui rappeler ce qu’elle devait faire”, témoigne une mère. Comme le note Dounia Bouzar, “si on est élu, on comprend sans poser de questions”.

Se battre, donner sa vie pour l’histoire, sauver “les purs”, faire oeuvre “humanitaire” auprès des Syriens ou encore s’insérer dans un groupe qui joue le rôle d’une nouvelle famille, les motivations des ces jeunes sont multiples et parfois s’entremêlent. Un défi pour leurs proches, qui, aujourd’hui, appellent à l’aide.

source : http://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/djihadisme-les-parents-racontent-le-basculement-de-leurs-enfants_1551843.html
Par Claire Chartier

http://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/djihadisme-les-parents-racontent-le-basculement-de-leurs-enfants_1551843.html#J8IhzlRQZ1QoSvL9.99