{{Quels types de familles s’adressent à vous?}}

Sur les 55 que j’épaule, trois seulement sont musulmanes et la plupart des autres sont athées, mais mon échantillon n’est évidemment pas représentatif. Ce sont des familles des classes moyennes et supérieures. Les parents exercent des professions libérales ou dans l’enseignement. A partir des témoignages des parents, on mesure la vitesse avec laquelle les radicaux arrivent à retourner les jeunes – quelques semaines, parfois.

{{Quels sont les indices susceptibles d’alerter les proches?}}

La rupture brutale avec les amis. Ensuite, le refus de manger une multitude d’aliments considérés comme impurs, de continuer à jouer de la guitare, etc. Mais dans de nombreux cas, hormis la rupture amicale, il n’y a aucun autre indice. Il s’opère une sorte de dédoublement de la personnalité. On ne montre rien, parce qu’on va mourir ou retrouver son prince islamiste pour sauver le monde, ses parents et soi-même. Le jeune part du jour au lendemain, alors que ses parents le croyaient en route vers son établissement scolaire. Ensuite, il donne de ses nouvelles, par téléphone, car il espère que sa famille le rejoindra, pour être sauvée à son tour.

{{Lorsque le grand départ n’a pas encore eu lieu, que font les parents lorsqu’ils découvrent que leur enfant est pris dans les mailles du filet?}}

Ils ne savent ni quoi faire ni quoi dire. Ils craignent que leur enfant ne se suicide. Imaginez leur réaction lorsqu’ils tombent sur le deuxième Facebook de leur gamin, bourré de contenus islamistes, de combattants et de femmes en jilbab! Ils culpabilisent – j’ai trop travaillé, j’ai divorcé, etc. Je leur réponds aussitôt que ce n’est pas eux, mais les radicaux qui parviennent à retourner tous les profils. Je les aide à décrypter ce qui est écrit et, surtout, à ne pas craquer. Les djihadistes n’attendent qu’une chose : que les parents jettent leur enfant dehors.

{{Une fois que la dérive d’un jeune est détectée, que se passe-t-il?}}

C’est tout le problème. Les intervenants sociaux ont encore trop souvent tendance à penser qu’il s’agit d’un conflit familial : le jeune veut se convertir à la foi musulmane, et ses parents ne l’acceptent pas. Ils tombent dans le panneau de la “liberté de conscience”. Il y a trois ans, des hauts fonctionnaires ont vu leur fille de 17 ans passer sous la coupe d’un radical. Ils ont fait un signalement auprès du juge des enfants. L’assistante sociale et le magistrat leur ont répondu : “Elle veut devenir musulmane, c’est son droit.” Aujourd’hui, elle est toujours en France, mais enceinte et totalement perdue psychologiquement, en proie à des hallucinations.

{{Quelle aide apporte le numéro vert mis en place par le ministère de l’Intérieur?}}

Les familles peuvent établir un diagnostic avec les écoutants : s’agit-il d’une crise d’ado, d’un accès mystique ou d’un embrigadement? Si cette dernière option se confirme, ils peuvent demander à ce que leur enfant soit enregistré par les services de police pour être bloqué à la frontière le cas échéant ; et ils ont aussi la possibilité de solliciter des conseils. Mais, sur ce dernier point, nous manquons encore de professionnels suffisamment formés.

{{Comment désendoctriner ces candidats au djihad?}}

En provoquant un choc émotionnel, et surtout pas en tentant de leur faire comprendre ce qu’est vraiment l’islam radical, à la manière britannique. Il faut que ces garçons et ces filles se remettent à penser par eux-mêmes. C’est l’individu détruit par le groupe qu’il faut remobiliser.

{{Qu’entendez-vous par “choc émotionnel”?}}

Prenez l’exemple du délinquant de la route. Vous pouvez lui répéter qu’il ne faut pas conduire à tombeau ouvert, il s’en fiche, car il se croit tout-puissant. En revanche, si vous lui montrez la photo d’un de ses copains, en chaise roulante, parce qu’il a eu un accident après avoir grillé un feu rouge, cela lui parlera immédiatement. De la même façon, j’aide les parents à remobiliser leur enfant par des souvenirs, des émotions. Je les incite à regarder ensemble des photos de famille. Les plus faciles à désendoctriner sont évidemment les jeunes filles, qui, dès le premier égorgement visionné, réalisent l’enfer dans lequel elles sont tombées.?

(1) Elle a écrit Désamorcer l’islam radical. Ces dérives sectaires qui défigurent l’islam. Ed. de l’ Atelier, 2014.

source :
http://www.lexpress.fr/actualite/societe/djihadisme-les-radicaux-parviennent-a-retourner-tous-les-profils_1552570.html

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Propos recueillis par Claire Chartier

Dounia Bouzar a écrit “Désamorcer l’islam radical”. Ces dérives sectaires qui défigurent l’islam. Ed. de l’ Atelier.