Clarisse Feletin a commencé son enquête il y a un an. En France, elle a rencontré des mineurs endoctrinés – Nora, Rachel, Samy et Lorie : 15, 16 et 17 ans – candidats au terrorisme. “C’est un sujet sensible, reconnaît la journaliste. Les associations, à Strasbourg entre autres, n’ont plus confiance dans les médias. Elles se sentent en permanence stigmatisées. Ça a été compliqué de les convaincre de participer à ce film. Il a fallu restaurer un climat de confiance. Pareil avec les jeunes.” Dans son film – juste et indispensable -, Engrenage. Les jeunes face à l’islam radical, elle révèle une véritable emprise mentale et toutes les facettes du processus d’endoctrinement.

“J’ai écouté des heures et des heures de conversations téléphoniques entre les mineurs et leurrecruteur. C’est ce qui m’a permis de comprendre comment se déroulait le processus concret. […] J’ai compris ce lavage de cerveau, les outils utilisés, cette espèce de harcèlement psychologique permanent pour faire en sorte d’ôter leur identité à ces jeunes.”

Outre la diffusion d’extraits de conversations, Clarisse Feletin a ensuite filmé les séances de “désendoctrinement” menées par le Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI).

Stop aux amalgames

Dans son film, la journaliste confronte également les médias à leurs responsabilités et leurs contradictions. “Il est temps, dit-elle, de différencier l’islam de cette dérive sectaire et de lui reconnaître sa composante essentiellement idéologique.” Davantage que le prétexte religieux, c’est le discours géopolitique (de comptoir) qui pousse en effet les jeunes au départ et qui répond à leur quête de sens.

“Ne pas faire ce distinguo, c’est dommageable pour tout le monde. Il y a une montée de l’intolérance contre les musulmans alors qu’ils n’y sont pour rien. Ça crée des tensions. J’ai eu la chance de rencontrer un imam courageux qui m’a ouvert les portes de sa mosquée, qui m’a fait confiance et qui est parvenu à exprimer toute sa spiritualité et que j’ai tenu à montrer dans ce film.”

A l’heure où les Belges âgés entre 18 et 30 ans vivent un mal-être sociétal sans précédent (voir la récente enquête Solidaris-RTBF-Le Soir), Clarisse Feletin évoque également un autre facteur essentiel de l’endoctrinement : le processus d’intégration (au sens large) de la jeunesse. “Il y a un vrai problème lorsque vous construisez une société avec comme seul idéal la consommation et que cette société crée des exclusions. Ça devient d’autant plus problématique en période de crise où la moitié des jeunes issus des quartiers populaires sont au chômage. Il y a un vrai problème car il n’y a pas de projet moral ou politique pour ces jeunes. Ça crée de la frustration, de la violence et c’est sur cette base que se construit le terrorisme, sur le rejet de cette société de consommation dont les jeunes sont exclus. S’ils partent, c’est parce qu’ils se sentent plus utiles en Syrie qu’en France. Les adultes doivent se remettre en question…”

Mineurs et avant tout victimes

Enfin, la journaliste pose une question essentielle : ces jeunes, mineurs, doivent-ils être considérés comme les victimes d’une secte ou comme des terroristes ? “Ceux qui sont partis sous des motifs humanitaires parce qu’ils se sont fait endoctriner, ont perdu leur libre arbitre. Ce sont des mineurs et on doit les protéger. La France a ratifié en 2003 la Convention des Nations unies qui reconnaît le droit aux enfants soldats d’être réintégrés à la société. Il doit en être de même pour eux. Après, il faut aussi faire la différence avec ceux qui sont dangereux parce qu’il y en a.”

Nul doute qu’en plein débat – belge – sur la déchéance de nationalité, “Engrenage. Les jeunes face à l’islam radical” conserve toute sa pertinence tant il remet l’église au milieu du village.

source : lalibrebelgique.be
AURÉLIE MOREAU