Don Miguel Ruiz, auteur de best sellers de développement personnel, dont Les quatre accords Toltèques, était en France du 26 au 30 juin, pour animer un séminaire au Val de Consolation à Besançon en compagnie de son fils. Nous l’avons rencontré à son passage à Paris.

Il est un chaman des temps modernes. Un « nagual de la lignée des chevaliers de l’Aigle » comme il l’écrit dans Les quatre accords toltèques, son best seller publié en 1997 et écoulé à plus de quatre millions d’exemplaires (36e livre le plus vendu de la décennie 1990 selon le New York Times). Avec sept livres traduits dans 37 langues, Don Miguel Ruiz est surtout le chantre du développement personnel, cette spiritualité contemporaine volontiers syncrétique, centrée sur le bien-être.

« J’aime beaucoup être à Paris, cette ville est l’âme de l’artiste ». Le chaman-écrivain fait une pause dans sa tournée française (conférences à Paris, Grenoble, Besançon, Toulouse…) et nous reçoit dans le salon de son hôtel parisien. Béret et polaire bleu marine, il ne s’attarde pas sur le succès : « Les choses se passent comme elles se passent, je ne recherche ni la célébrité ni l’argent. Je ne cherche rien : je suis, tout simplement ». Son succès est d’abord le produit d’une époque, initiée au chamanisme amérindien par l’Américain Carlos Castenada, le « grand-père du New-Age » selon le Time magazine, notamment auteur du best seller L’herbe du diable et la petite fumée, publié en 1972. Don Miguel Ruiz reprend le filon de la tradition « toltèque », cette civilisation qui précéda les Aztèques (Xe-XIIIe siècles) dans la région de Teotihuacan (Mexique). Une tradition largement réactualisée : dans Les quatre accords toltèques, nulle trace du serpent à plume Quetzalcoatl, principale divinité mésoaméricaine ; il laisse sa place à un peu de « liberté personnelle », beaucoup d’« amour inconditionnel », le tout relevé d’un peu « d’authenticité ».

Le « rêve de la société »
« Tu peux convertir tes rêves en réalité. Tu dois juste avoir de la force mentale et de la discipline pour y parvenir ». C’est peut-être cela, le but de la philosophie « toltèque ». C’est du moins ce que Miguel Angel Ruiz se souvient des enseignements de sa mère guérisseuse, Dona Sarita. Son grand-père, Don Leonardo, l’invitait quant à lui à se débarrasser de « son ego ». Mais Don Miguel Ruiz ne s’attarde pas sur son initiation, pas plus que sur la pratique de la chirurgie dont parle sa biographie, sur son site internet : « J’ai pratiqué avec mes frères », assure-t-il. Combien de temps ? « Quelques années, je ne me souviens plus ».

C’est d’abord une expérience mystique de décorporation qui le plonge dans le chamanisme : « Au cours d’une soirée pendant mes études de médecine, j’ai pris la voiture alors que j’avais trop bu. J’ai eu un accident et je suis sorti de mon corps. Je l’ai vu. » Il en garde une solide certitude : nous ne sommes pas notre corps. « Nous sommes la Vie, nous sommes la force qui fait bouger la matière. A la base de la physique, il y a ce principe : tout ce qui a été créé a une fin. Mais l’Energie ne peut être détruite. Et nous sommes tous Energie. »

De cette découverte en découle une autre, bien plus grande, qui est la genèse de ses livres : le réel est bien plus que l’enveloppe du langage. C’est tout le sens du premier des quatre accords toltèques : « Que votre parole soit impeccable » (les trois autres accords n’en sont que les corollaires : « Quoi qu’il arrive n’en faites pas une affaire personnelle » – « Ne faites pas de suppositions » – « Faites toujours de votre mieux »).

La philosophie « toltèque » du langage est structuraliste : le monde est une construction par le langage, par les mots que nous employons pour nommer le réel. Miguel explique. Multiplie les exemples. Cette plante verte, à coté de lui dans le salon de l’hôtel, dont il touche les feuille est, dit-il, bien plus que son nom. Quant à Dieu, « il n’est rien de plus qu’un mot sur lequel une société se met d’accord. Les quatre accords ne sont qu’une introduction à un autre mode de vie : celui d’artiste. » Un artiste appelé à ne plus croire à ce réel, à s’ouvrir à la « Vérité » et à « l’Amour » qui se cachent derrière les symboles. Don Miguel Ruiz lance un appel : quittons le « rêve de la société », inculqué par nos parents, l’école, les religions, pour créer un nouveau rêve, notre « Paradis personnel ». Mais cette philosophie de l’Etre accorde-t-elle une place à l’autre ? Comment vivre-ensemble si chacun vit dans un rêve personnel ? « Quand on apprend à écouter le rêve des autres, on apprend également à le respecter. L’important est d’être sceptique : ce que les autres disent n’est pas la vérité, mais ce en quoi ils croient. De ce scepticisme résulte la paix. »

Les Toltèques et la Bible
La réflexion « toltèque » sur le langage a quelque chose de Michel Foucault (Les Mots et les Choses). Elle invite surtout à relire la Bible : « Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu », nous dit le prologue de l’Evangile selon Jean, cité au débutQuatre accords. « Par l’acte de nommer, nous créons, explique Don Miguel Ruiz. Mais nous ne créons jamais qu’une réalité virtuelle qui n’existe que dans le mental, à l’opposé du cœur. Nous nous voyons à travers notre corps, notre nationalité, notre religion. Ils sont l’opposé de ce que nous sommes. Nous avons tous été créés par l’amour inconditionnel. »

Réflexion sur l’Etre et le langage, cette « philosophie toltèque » semble bien implantée dans la tradition chrétienne. Plutôt que de mener l’âme des morts vers les mondes intermédiaires – comme les chamans des steppes mongoliens -, Don Miguel Ruiz s’improvise exégète. « Que votre parole soit impeccable » signifie qu’elle doit être sans péché (im sans pecatus péché) précise-t-il dans les Quatre accords toltèques. Mais le péché originel n’est-il pas – dans la tradition biblique – le fait de se couper de Dieu ? Lorsque l’homme déclare qu’il n’a plus besoin de son créateur pour accéder à la connaissance ; qu’il peut désormais la trouver en lui-même ? Don Miguel Ruiz a une lecture un peu différente de la Genèse : « Il existe deux arbres : l’arbre de la vie et l’arbre de la connaissance. Ce dernier est l’arbre du mensonge, lieu où vit le serpent, le prince des mensonges. Lorsque Eve parle avec le serpent, celui-ci lui demande : « tu aimerais être comme Dieu ? ». « Oui » répond-elle. Symboliquement, c’est le moment où elle croque la pomme, fruit de la mort. » Si la parole soit être impeccable, sans péché, c’est pour ne pas reproduire ce péché originel : « De l’impeccabilité de notre parole dépend si notre histoire sera un paradis ou un enfer. »

La sienne, d’histoire, il continue à l’écrire. Avec cette femme, assise à côté de lui. « Nous ne sommes pas tombés amoureux, nous montons ensemble, en amour ». Et ce malgré une attaque cardiaque massive qui manqua de le foudroyer, en 2002. Miguel raconte un peu. Les neuf semaines dans le coma : « J’ai pu à nouveau me rendre compte du processus de sortie du corps. Quand je me suis finalement réveillé, j’étais tombé à 16 % de mes capacités cardiaques. Le diagnostic des médecins était sévère : ils me donnaient un an à vivre tout au plus et assuraient que je ne pourrais plus faire d’activité physique ». Une transplantation cardiaque en 2010, une philosophie de vie jamais émoussée et le voilà à nouveau sur les routes, accompagné de ses deux fils Miguel Ruiz Jr. et Don Jose Ruiz, co-auteur du livre le Cinquième accord toltèque (2010). Que les adeptes du développement personnel pré-aztèque se rassurent, la relève toltèque semble assurée.

source : http://www.lemondedesreligions.fr/entretiens/don-miguel-ruiz-chaman-des-temps-modernes-01-07-2013-3230_111.php
par Matthieu Stricot et Mikael Corre – publié le 01/07/2013

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