“On a tous été violentés par ces attentats, confie Dounia Bouzar, présidente du centre de prévention des dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI)*. Comme beaucoup de Français, j’ai été si choquée que j’en ai été incapable de penser et de travailler.” Celle qui se revendique « Je suis Charlie » reconnaît aussi avoir eu de profonds désaccords avec le journal Charlie Hebdo. “Certaines caricatures du prophète m’ont profondément choquée et étaient pour moi des appel à la haine. Heureusement, je vis dans un pays démocratique où j’ai pu échanger mon point de vue avec les dessinateurs de Charlie Hebdo en direct à la télévision (au Grand Journal, sur Canal +). Pour moi dire « Je suis Charlie » signifie que je me battrais pour pouvoir continuer à débattre avec ceux qui ne sont pas d’accord avec moi. C’est ce que signifie la liberté d’expression.”

Spécialiste des questions d’endoctrinement des jeunes Français par des groupes jihadistes, Dounia Bouzar s’interroge : “Ce qui est inquiétant, c’est de constater que le profil plutôt classique, comme celui frères Kouachi, des petits délinquants sans père ni repère, attirés par l’islam radical, échappent déjà aux autorités.
Comment faire lorsqu’on sera face à des profils plus dissimulés ? Car une nouvelle génération de recrues jihadistes est en train d’émerger.” Son équipe du CPDSI accompagne déjà près de 200 familles dont les enfants (130 filles pour 70 garçons âgés de 14 à 21 ans) ont rejoint les filières jihadistes. Un drame familial qu’elle raconte dans un livre-choc, Ils cherchent le paradis, ils ont trouvé l’enfer aux éditions de l’Atelier. “Aujourd’hui, on sait que les rabatteurs jihadistes ont affiné leur recrutement sur internet et notamment sur Facebook.” Ces rabatteurs traquent une jeunesse française issue d’horizons très variés. “Côté filles, nous avons 25 musulmanes sur 130, les autres sont athées ou chrétiennes. La majorité n’appartiennent donc pas à des familles musulmanes pratiquantes. On peut leur raconter ce qu’on veut sur l’islam.” Dounia voit émerger des nouveaux profils plus compliqués à repérer. “Nous voyons basculer à présent des jeunes issus de famille stable avec des parents aimants et présents, assure la spécialiste. On retrouve des enfants de commerçants, d’éducateurs, de médecins, de militaires…”

Mais pour elle, l’étape à haut risque consiste à leur mettre dans le crâne une vision paranoïaque du monde. On leur dit : “Ne fais confiance à personne, surtout pas aux adultes qui t’entourent car on te ment. Ils sont tous complices à la botte d’une société secrète.” La théorie du complot tourne à plein régime. Parents et profs sont en première ligne. Depuis les attentats, la spécialiste reconnaît: “que de nombreux professeurs nous contactent pour qu’on les aide à établir un dialogue constructif avec leur classe. Faire la différence entre liberté d’expression et appel à la haine… Islam et intégrisme.”

Une fois, persuadé d’appartenir à une élite clairvoyante, d’être un “élu” ou un “véridique”, le jeune bascule. “C’est à ce moment que les rabatteurs arrivent « à extraire » le jeune de sa famille, explique Dounia Bouzar. Le jeune endoctriné a perdu son identité, On a broyé son passé. Il change de nom. La nouveauté c’est que le groupe terroriste qui pense à la place de la recrue, lui enseigne une forme d’autonomie dans l’intégrisme. Chaque jeune est libre de choisir sa raison et son moyen pour imposer la Terreur, c’est-à-dire de purifier le Monde. Et là comment l’arrêter ?»

source : closer.fr