«J’ai subi un lavage de cerveau pendant les 29 premières années de ma vie. Il a fallu me réadapter au monde. Les femmes de mon âge ont eu une adolescence, des histoires d’amour. Pas moi.» Le témoignage de Valeska Paris, une Genevoise de 34 ans, donne le vertige. Elle a été prise au piège de la scientologie avant même l’âge de raison et tente de se reconstruire aujourd’hui à Sydney, où elle travaille dans l’événementiel.

Valeska est née à Meyrin (GE), le 12 décembre 1977. «Je me souviens que nous habitions près de la frontière française», confie-t-elle par téléphone. Jean-François Paris, son père, est Français. Arianne, sa mère, Suissesse. Le couple a trois enfants, dont Valeska est l’aînée. Melissa, sa sœur, est née en 1979, et le cadet, Raphaël, en 1982. Le foyer est scientologue.

L’enfance genevoise des petits Paris prend fin avec le divorce parental. Valeska n’a que 6 ans. Le père, qui a obtenu la garde des enfants, rejoint la Sea Org, ou Organisation maritime, sorte d’élite scientologue, à East Grinstead, en Angleterre.

Sa progéniture entre à l’internat de l’Organisation des cadets, où l’éducation consiste notamment à récurer les sols et à nettoyer les WC. En scientologie, chaque être humain a déjà vécu des milliers de vies au cours des siècles; son esprit, appelé thetan, en est imprégné. Un enfant est donc la synthèse de multiples existences préalables. Sérieux s’abstenir.

SUICIDE DU BEAU-PÈRE
Bien que divorcés, les parents restent dans la secte. La mère, Arianne, se remarie avec Albert Jaquier, un ancien ferrailleur français qui a bâti une vraie fortune, qu’il va dilapider dans la scientologie, avant de se suicider en décembre 1994. L’indifférence et le mépris de la secte poussent sa veuve à dénoncer l’organisation sulfureuse sur TF1. Un geste qui coûtera cher aux enfants. La mère de Valeska devient ainsi une paria, ou suppressive person pour les scientologues. Sa fille la verra cette année-là pour la dernière fois avant longtemps. A l’âge de 14 ans, elle est contrainte de signer un contrat la liant à la secte «pour un milliard d’années» (sic)!

Valeska est transférée à la Flag Land Base, siège de la Sea Org, à Clearwater, en Floride, où elle est affectée au service du leader scientologue, l’Américain David Miscavige.

En septembre 1996, elle a 18 ans, ce dernier l’envoie sur le Freewinds, son navire amiral, qui croise dans les Caraïbes. «On m’a réveillée un matin et je suis partie, poursuit-elle, pour quinze jours…» Elle y restera douze ans, sans pouvoir appeler ses proches, interdite de visites.

«La première fois que je suis montée à bord, confie-t-elle, j’ai détesté. J’ai aussitôt voulu partir, mais on m’avait confisqué mon passeport et nous étions surveillés vingt-quatre heures sur vingtquatre. Fuir était impossible. Je me suis résignée.» Tout écart de conduite est sévèrement puni. La salle des machines, bruyante fournaise, fait office de cellule. Valeska Paris s’y retrouvera souvent…

Les scientologues les mieux formés montent à bord pour une session d’entraînement spirituel baptisée Operating Thetan Level 8, ou OT VIII – un cours facturé 8000 dollars. Au mois de juin, le Maiden Voyage, croisière annuelle commémorative, fait le plein d’adeptes. Valeska Paris se souvient en particulier d’une visite surréaliste de l’acteur Tom Cruise (lire l’encadré).

MARIÉE À UN FANTÔME
Le 9 mai 1998, elle se marie avec Roberto Toppi, un membre de la Sea Org italienne. Un vrai fantôme. «En sept ans de mariage, nous avons passé moins de dix mois ensemble», soupire Valeska. Leur divorce intervient en 2005.

Sur le Freewinds, la Genevoise est exploitée pour 50 dollars par semaine. Elle commence en 1996 par un poste de sommelière. Six ans plus tard, elle devient auditrice, puis instructrice. «J’étais prise dans un engrenage, confietelle. Je ne connaissais que cela. On m’avait appris que la scientologie était la seule réponse et je n’avais aucune raison d’en douter.» L’endoctrinement est pervers.

Elle voit pourtant des gens craquer. D’autres, jugés d’abord exemplaires, sont soudain stigmatisés. David Miscavige se comporte en tyran. En 2007, à l’occasion d’un nouveau séjour en salle des machines, Valeska Paris fait un malaise et manque de mourir.

Elle va sur ses 30 ans et n’a désormais qu’une ambition: s’échapper. Son imprévisibilité la rend dangereuse. Elle est bonne pour le camp de rééducation ou, selon le jargon scientologue, le projet de réhabilitation forcée (RPF), situé à Sydney. «Les responsables de la Sea Org ont décidé de mon sort, confie-t-elle, mais ça m’était égal, du moment que je quittais ce fichu bateau.» La mouvance exige cependant qu’elle accepte son affectation par écrit. Elle y consent.

LES REPRÉSAILLES FUSENT
Au RPF, à Sydney, elle rencontre Chris Guider, un scientologue en rupture lui aussi, qu’elle épouse en secondes noces le 23 mars 2009. Un fils, Declan, viendra au monde le 22 juillet 2010. Au préalable, fin août 2009, le couple rompt définitivement avec la scientologie. Valeska Paris signe des accords de confidentialité. Cela ne l’empêchera pas de parler…

Les représailles fusent. Enceinte de Declan, Valeska reçoit des messages d’insultes de son père et de son frère. L’un et l’autre sont restés scientologues, le premier à Chicago, le second à Los Angeles, à l’inverse de Melissa. Valeska parvient à renouer le contact avec sa jeune sœur et surtout avec sa mère, Arianne, qu’elle n’avait pas revue depuis quinze ans.

En Australie, la Genevoise se reconstruit. Elle attend même un deuxième enfant. Sa meilleure arme contre l’église de scientologie, qui a déjà tenté de la faire taire via des lettres de menace, reste son témoignage. Valeska Paris Guider ne se laisse plus intimider: «Je pense ne jamais être poursuivie, parce que j’ai de quoi impliquer David Miscavige en personne et que la scientologie ne prendra jamais le risque de l’exposer dans un tribunal.»

QUAND TOM CRUISE MONTE À BORD…
L’acteur est le numéro deux de la scientologie.

Juin 2004. Branle-bas de combat à bord du Freewinds, où Tom Cruise a choisi de fêter son 42e anniversaire, le 3 juillet. Le staff est briefé. «Pas question de solliciter un autographe, se souvient Valeska Paris, sous peine de sanction.» Et pas de familiarité avec la star: il faudra l’appeler «Monsieur».

Juste avant le jour J, la Genevoise attrape un bouton de fièvre. Une «faute» assimilée à de la «traîtrise». Elle est mise en quarantaine. Le leader David Miscavige se résout cependant à la rappeler au service de l’acteur et de son amie Penélope Cruz.

Au mépris des règles du bord, prohibant toute intimité, le couple occupe la plus belle cabine. Un yacht privé les emmène faire de la plongée. Le tout gratis! «Un chef chinois est même venu tout spécialement de New York pour cuisiner pour Tom Cruise, qui était au régime», précise Valeska.

L’idole est narcissique. «Le navire avait été décoré avec des affiches géantes de tous ses films, excepté ceux tournés avec Nicole Kidman (ndlr: antiscientologue) et, lors du bal, l’orchestre n’a joué que les chansons tirées des mêmes films.» Un culte délirant de la personnalité.

SOURCE: L’illustré
Par Blaise Calame – le 22.02.2012
http://www.illustre.ch/scientologie-Valeska-Paris-Free-winds-secte-sequestration_149000_.html