C’est le procès d’un homme, un gynécologue connu, réputé, grand spécialiste de la médecine de reproduction, un médecin qui se vantait d’arriver «à donner un enfant» aux femmes qui avaient tant de mal à tomber enceinte : c’est le procès du docteur André Hazout, pour quatre viols aggravés et deux agressions sexuelles.

Procès du Dr Hazout : le Conseil de l’ordre sur la sellette Mais ce procès, qui s’ouvre devant la cour d’assises de Paris, sera aussi celui d’un silence étonnant du milieu gynécologique. Voilà un monde, composé pourtant de personnalités de grand talent, qui a détourné les yeux, fait comme si tout cela n’était pas bien grave, et cela durant plus de quinze ans : tous les grands noms de la gynécologie ont connu le Dr Hazout, mais ils n’ont rien dit, rien vu, se retranchant derrière le fait que «tout cela, ce ne sont que des rumeurs»… Comme si, en dépit des bruits insistants, il fallait préserver le mystère de cette zone grise que constitue parfois le colloque singulier entre un médecin et son patient.

«Vous savez, c’était intenable, j’ai mis des années à en parler à mon mari, ce n’était pas concevable», nous a raconté, au début de l’affaire, une jeune femme, aujourd’hui partie civile dans ce procès. Dix ans plus tard, elle tremble encore. «Le Dr Hazout m’avait été indiqué par une amie qui était enceinte, elle était si heureuse, et donc je prends rendez-vous en 2004.» Elle nous décrit, alors, un homme double : «Derrière son bureau, il était froid, sec, vous disant des phrases dures : “Votre réserve ovarienne est nulle.” Puis en vous raccompagnant, la première fois, il a eu un drôle de geste, mais je me suis dit : “Tiens il est un peu méditerranéen.”»

Sidération. A la deuxième consultation, cette jeune femme affirme avoir été bousculée, puis violée dans le cabinet. Effet de sidération, incapable de réagir, pas un mot. Elle reviendra une autre fois, mais plus jamais seule, toujours avec son mari, puis elle quittera le Dr Hazout. «Quand je vais voir alors une autre gynécologue, je le lui raconte, et cette médecin s’en étonne à peine. “Avec lui, tout est possible”, me dit-elle, mais elle ne me poussera pas à porter plainte.»

Voilà. Rien ne se passe. Mais tout se répète. La même année, une autre histoire, celle de Catherine, qui sera à l’origine de l’explosion publique de l’affaire. C’est une femme élégante. Elle raconte, elle aussi lentement. «Lors des premières consultations, tout se passe bien. Puis, quand on commence le traitement hormonal, il se met à me tutoyer, il devient familier, puis m’embrasse sur la joue. Vous savez, sur le moment, on ne comprend pas, on est quand même très vulnérable. Puis, en juin, il m’agresse d’un coup, me déshabille de force, me presse contre lui. J’étais dans un état d’ahurissement. On est dans sa pièce de consultation, et juste derrière la porte, il y a une dizaine de femmes dans la salle d’attente. Que faire ? Crier ? Passer pour une folle ? Vous ne pensez qu’à une seule chose : sortir au plus vite. Mais on revient quand même, parce qu’on est en traitement. Et que cet enfant, on le veut. La deuxième fois, ça a continué. Je lui disais : “Je ne veux pas.” Il me disait : “Mais tu ne sais pas profiter de la vie.” Cette fois-là, alors que j’étais sur la table d’auscultation, il m’embrasse le sexe. Et puis il y a eu une autre fois où il m’a dit : “Allez, on va se faire un gros câlin.”Et, là, vous ne pouvez pas savoir la peur que j’ai eue. Heureusement que le téléphone s’est mis à sonner, ça m’a sauvée. Je ne me suis jamais rhabillée aussi vite.»

Catherine a du mal à poursuivre : «Je ne pouvais plus supporter le simple fait de me retrouver dans sa salle d’attente. Je n’en avais pas parlé à mon mari, je n’osais pas. En novembre, je me suis décidée à lui raconter, il était outré. J’étais mal, très mal, j’ai perdu beaucoup de poids, c’était une phase épouvantable. Je me sentais coupable. C’est dur d’expliquer pourquoi je suis retournée le voir, j’avais le sentiment de ne pas avoir eu le choix.»

Par le biais d’un ami, le couple contacte le collectif féministe contre le viol, qui lui présente l’avocat Claude Katz, spécialiste de ce genre de dossiers. «Au début, on n’avait pas l’intention de déposer plainte, mais via l’association, on est allé sur Internet. Et on a commencé à voir qu’il y avait d’autres histoires», poursuit Catherine. Très vite, sur le Net, d’autres patientes se font connaître, racontent des expériences encore plus terribles : cinq, dix, vingt témoignages s’étalant sur plus de vingt ans. Il y a même une histoire remontant à 1984. «Pour nous, c’était terrible de voir que l’on n’était pas seule, mais c’était aussi réconfortant», lâche l’une d’elles.

«Vraiment béton». En juillet 2005, une plainte est déposée avec constitution de partie civile. Mais une première juge d’instruction se dessaisit. Un deuxième, en raison de la particularité de l’affaire, s’adjoint une juge femme. La police judiciaire se lance, alors, dans un travail de fourmi : reprendre les témoignages anonymes, retrouver leurs auteurs, confirmer leurs dires, vérifier si les jours de consultations sont les bons, interroger le principal accusé, mais aussi ses proches, les médecins avec qui il a travaillé, sa femme, qui lui sert de secrétaire. Les victimes sont entendues, mais aussi examinées par des psychologues et des psychiatres. «Pour nous, les témoignages retenus sont vraiment béton», nous dira l’un des enquêteurs. Au cours de leurs investigations, ils ont découvert une plainte déposée il y a plus de quinze ans, auprès de l’ordre des médecins. Une patiente se plaignant du comportement sexuel du Dr Hazout. Réponse du secrétaire général de l’ordre régional des médecins, le 18 janvier 1991 : «Cette affaire aura les suites qu’elle doit comporter.» Il ne se passera rien, le dossier sera enterré. Comme sera oublié un signalement auprès de la Direction générale de la santé.

Devant la cour d’assises de Paris, trente femmes vont venir témoigner : pour la plupart d’entre elles, les faits sont prescrits et l’ordonnance de mise en accusation n’a retenu donc que quatre viols et deux agressions sexuelles. Durant l’enquête, le Dr André Hazout a d’abord nié en bloc, puis a reconnu en partie, évoquant le consentement des femmes, lâchant que parfois il a pu avoir des gestes déplacés. Mais rien de plus.

André Hazout a maintenant 70 ans. Encore récemment, on le voyait dans les congrès de médecine reproductive. Nul ne nie ses qualités de chercheur et ses nombreuses publications. Il a travaillé plus de trente ans avec les meilleures équipes d’aide à la procréation, tant publiques que privées. Longtemps il a été dans le service du professeur René Frydman à l’hôpital Antoine Béclère à Clamart (Hauts-de-Seine).

Tout au long du réquisitoire de 240 pages, court un sentiment d’étrange impunité. Ainsi, le professeur François Olivennes : longtemps chef de service à l’hôpital Cochin à Paris, il a pris la succession du Dr Hazout dans son cabinet libéral très chic. Durant l’instruction, il a expliqué qu’il connaissait André Hazout depuis plus de vingt ans. «C’est un homme intègre, intelligent et doté de principes moraux.» A la juge d’instruction, il a soutenu n’avoir reçu aucune plainte d’aucune patiente, ajoutant : «Les relations d’André Hazout avec le personnel féminin étaient agréables.»

«Transferts». Bernard Fonty, autre grand nom de la gynécologie, a, pour sa part, lâché : «Aucune patiente ne m’a alerté.» Puis : «Je côtoie André Hazout professionnellement depuis vingt-cinq ans.» Il a noté que «les patientes sont fragiles, que la relation qu’elles entretiennent avec leur médecin dans le cadre de l’infertilité est particulière, privilégiée, et que les transferts psychologiques sont fréquents.» Et a ajouté, l’air de rien : «Les patientes peuvent éprouver un sentiment amoureux pour leur gynécologue et céder facilement aux avances de celui-ci.» Pourtant, dans le code de déontologie médical, la sanction est très claire : avoir une relation sexuelle avec une patiente est une faute professionnelle.

Enfin, le professeur René Frydman, entendu deux fois par les juges. Il a accompagné durant toute sa carrière André Hazout. «C’était un ami», nous avait-il dit au début de l’affaire, puis il a pris un peu de distance. Au cours de sa déposition, le père des premiers bébés éprouvettes en France a confirmé qu’il s’était entretenu à deux reprises avec André Hazout à la suite de plaintes de patientes. Mais il a assuré que le médecin lui a dit n’avoir commis aucun geste condamnable. René Frydman a reconnu l’existence de rumeurs insistantes, mais que faire ? Il a répété qu’«il n’a jamais eu de preuves». S’il avait pourtant interrogé les infirmières, il aurait entendu certaines d’entre elles dire, comme elles l’ont affirmé aux enquêteurs, que le «Dr Hazout avait l’habitude de prodiguer des caresses aux infirmières et aux sages femmes, posant sa main sur leurs fesses ou leurs poitrines», ajoutant qu’André Hazout «agissait ainsi, quels que soient l’âge ou le physique des femmes qu’il croisait». Et le 26 septembre 2006, c’est le professeur René Frydman, entouré de tout le gratin de la médecine de reproduction, qui a remis à André Hazout la Légion d’honneur.

Pourquoi cette impuissance, ce silence insistant ? Dans l’ordonnance, il y a les mots du Dr Sabine Taylor, gynécologue ; elle dit avoir recueilli les confidences de nombreuses patientes du Dr Hazout, beaucoup se plaignant de gestes déplacées, de propos ambigus. Quand le magistrat instructeur lui demandait pourquoi ces femmes revenaient le voir, elle répondait : «Elles sont dans une extrême fragilité. Ce rendez-vous, elles le vivent comme celui de la dernière chance, elles ont tellement peur de ne pas avoir cet enfant, d’être rejetées, qu’elles perdent toute réactivité. Tout dépôt de plaintes contre le Dr Hazout était susceptible de mettre un terme à ce rêve d’enfant.»«Le monde de la reproduction ? Jusqu’à récemment il n’y avait que des hommes», nous racontait encore une jeune femme médecin. «Et le Dr Hazout était un bon chercheur, mais on le savait, je n’étais pas la seule, tous le savaient, et moi je refusais de rester aux réunions de staff s’il était présent.»

Devant la cour d’assises, jusqu’au 21 février, André Hazout, qui a depuis été radié par l’ordre des médecins, sera seul. Ses égarements ? Devant le juge d’instruction, il a eu cette explication : «Je comprends que ces patientes, de par leur état psychologique, se soient laissées entraîner par mon charme, je ne pensais pas que mes patientes m’idolâtraient à ce point, et je reconnais avoir abusé d’elles.» Dans son cabinet, il y avait ce panonceau, où était écrit : «Trust me, I am a doctor.»

source : LIBERATION par Eric FAVEREAU