Sun Myung Moon a multiplié, au fil des ans, la création d’organisations destinées à promouvoir son projet messianique de monde idéal. Fondateur de l’Eglise de l’unification et de la Fédération des familles pour la paix mondiale et l’unification, entre nombreuses autres initiatives, c’est sous l’égide d’une autre organisation lancée à son instigation, la Fédération pour la paix universelle (Universal Peace Federation,) qu’il est venu parler à Genève le 13 mai, lors d’un rassemblement organisé par ladite Fédération et la Women’s Federation for World Peace International, toutes deux ONG (organisations non gouvernementales) bénéficiant d’un statut consultatif auprès du Conseil économique et social des Nations Unies. Cela lui a permis de s’adresser à ses disciples et aux invités dans l’enceinte des Nations Unies.

En effet, si nombre de mouvements millénaristes tendent à considérer le milieu des organisations internationales avec suspicion, ce n’est pas le cas de l’Eglise de l’unification, qui préfère les coopter et inscrire leur action dans la même aspiration à un monde idéal et uni qu’elle cultive.

La tournée mondiale de Sun Myung Moon a débuté dans sa Corée natale, avant de le conduire à Madrid, à Rome, à Oslo, à Athènes, à Istanbul, à Londres, puis à Genève, pour poursuivre vers Berlin, et enfin Las Vegas, où le Rév. Moon passe beaucoup de temps, affirmant son intention de réformer cette ville de jeu et de péché. Comme toujours, les unificationnistes discernent une signification spirituelle derrière les actes de leur guide; certains suggèrent que ce voyage de Séoul à Las Vegas pourrait être l’application du verset biblique: “Car, comme l’éclair part de l’orient et se montre jusqu’en occident, ainsi sera l’avènement du Fils de l’homme.” (Matthieu 24:27)

Un tel voyage représente un réel effort pour un homme qui approche de ses 92 ans, mais retrouve de l’énergie au fur et à mesure qu’il s’anime face à une foule de disciples. Il n’est pas impossible que cela ait bel et bien été son dernier “tour du monde” officiel, même si des surprises ne peuvent être exclues. Une bonne raison, en tout cas, d’en proposer ici un compte rendu: d’autant plus que cette tournée offre l’occasion de faire le point sur certaines croyances du mouvement fondé par ce Coréen qui, depuis 1992, se présente ouvertement comme le Messie et le “Seigneur du Second Avènement”.

Nous allons commencer par résumer le déroulement de la journée, en particulier le discours du Rév. Moon. Puis nous conclurons par quelques réflexions à la lumière de cette journée.

Une matinée au Centre œcuménique

Le 13 mai 2011, sans la présence du Rév. Moon, les participants s’étaient rassemblés le matin à Genève dans un lieu hautement symbolique du christianisme: la chapelle du Centre œcuménique, siège du Conseil œcuménique des Eglises (COE) ainsi que de plusieurs autres organisations d’Eglises et œcuméniques. Il y a une trentaine d’années, il aurait paru difficilement imaginable de voir ce centre accueillir une réunion patronnée par des organisations liées à l’Eglise de l’unification; même aujourd’hui, une telle présence mooniste n’est pas allée sans susciter des réserves au sein de certaines organisations présentes sur ce site.

Le 15 mai étant la journée dédiée par l’ONU aux familles, le thème de la réunion y faisait allusion et était formulé comme “Un paradigme pour une famille universelle dans une culture de paix” (A Paradigm for Global Family in a Culture of Peace). L’invitation à la journée rappelait les “défis immense à l’échelle mondiale” et les conflits, avant de poursuivre: “Il y a une prise de conscience croissante de par le monde selon laquelle des familles pacifiques semblent être le dernier recours pour la réalisation d’un monde pacifique, car le rôle de la famille est notamment d’établir des normes de bonne conduite entre êtres humains. Elle est (ou a au moins le potentiel d’être) la principale «école de l’éthique» dans la société humaine et devrait servir «d’école de l’amour» où nous apprenons à aimer, respecter et servir les autres et, ce faisant, à trouver notre véritable valeur.” Une citation de Yong Cheol Song, président de UPF-Europe, venait appuyer le propos: “En soulignant l’importance des institutions du mariage et de la famille, nous pouvons enseigner à nos enfants la valeur de chaque être humain, établissant par là une culture de respect des droits de l’homme qui prend sa source dans la famille. Les violations des droits de l’homme et les manquements à la responsabilité humaine semblent émaner de familles brisées. Despotes et dictateurs ainsi que ceux qui exploitent ou abusent des autres sont souvent issus de familles dissolues ou à problèmes.” Un message entièrement en harmonie avec les idéaux unificationnistes, qui mettent leur interprétation du mariage et de la famille à une place centrale.

La chapelle était presque pleine. Une grande partie des participants étaient moonistes. Mais il y avait aussi plusieurs dizaines d’autres personnes: des amis ou parents de membres du mouvement ainsi que des représentants de différentes traditions religieuses, venus à titre personnel et déjà familiers du mouvement. Certains d’entre eux participèrent à une “prière interreligieuse pour la paix”, qui vit des chrétiens, juifs, hindous, sikhs, bouddhistes, musulmans et unificationnistes s’exprimer. Parmi les chrétiens, un prêtre catholique philippin (exerçant son ministère en Suisse) et une fidèle de l’Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours (mormons). La prière intervint après quelques remarques introductives et une séquence musicale. Le dernier à prononcer une prière fut le Rév. Joong Hyun Pak, représentant de l’Eglise de l’unification, qui plaça la réunion dans le sillage des efforts du COE et des aspirations de l’humanité à la paix.

Quelques personnes proncèrent ensuite de brèves interventions tournant plus ou moins autour de la famille. Tout d’abord, Krishna Ahoojapatel, très engagée sur les questions des femmes et du développement et active à ce titre dans le monde des ONG: son intervention lia droits de la femme et développement, partant du principe que, plus les femmes exerceront des responsabilités, plus le monde changera.

Arun Pabari, président de l’association des disciples de Sathya Sai Baba en Suisse, prit ensuite la parole, en rappelant l’importance accordée par le fondateur de son propre mouvement aux valeurs humaines. Très engagé dans la promotion d’un enseignement interreligieux, Arun Pabari expliqua que la paix commence au foyer. Il indiqua avoir été très inspiré dans ses idées par le message de “Father Moon”, faisant allusion à une réunion à laquelle il avait été invité en Corée.

Il fut suivi par Julie Rich, présidente de l’ONG Worldwide Organization for Women (WOW), fondée à l’origine en tant que Utah Alliance for Women en 1987, avant d’adopter son nom actuel en 1997. Elle souligna la nécessité de mettre dès le départ les enfants sur la bonne voix ainsi que l’importance de la prière en commun dans le cadre familial.

Quant à Sidney Weil, un membre de la communauté juive de Baden, il parla du travail de son organisation Open Hearts, qui entend mettre la musique au service de la paix. L’un des projets en cours vise à organiser un concert commun de musiciens israéliens et iraniens.

Enfin, la dernière intervention fut bien sûr celle d’un membre du Mouvement de l’unification, Thomas Walsh, président international de UPF. Son propos permit notamment d’entrevoir l’arrière-plan du choix de lieux tels que le COE et l’ONU pour la réunion du jour: il déclara espérer que, de plus en plus, des liens se renforceraient entre le monde de la foi et celui de la politique. Il rappela à cet égard le discours prononcé par le Rév. Moon au siège des Nations Unies à New York le 18 août 2000, discours dans lequel il avait appelé à la création d’un conseil de représentants des traditions religieuses dans le cadre des Nations Unies, ces hommes de religion étant supposés s’exprimer au nom des intérêts de l’humanité. (Ce projet demeure important pour les disciples de Sun Myung Moon.)

La suite de l’intervention de Thomas Walsh souligna l’importance de la famille et du respect de principes moraux (critique de la culture des partenaires multiples dans le cadre des relations entre les sexes et mise en cause d’une culture populaire très sexualisée et éloignée de la réalité, mais exerçant une influence sur les jeunes). La résolution des conflits, ajouta-t-il, commence dans le cadre familial: “A culture of peace begins at home.”

Commencée peu après 10h, la réunion se termina vers 12h30. C’était une entrée en matière, non dénuée d’importance pour les moonistes en raison du site choisi: mais tous attendaient la séance de l’après-midi et la rencontre avec le Rév. Moon lui-même.

Sun Myung Moon aux Nations Unies

Vers 15h, quelques centaines de participants étaient donc rassemblés dans la belle salle 19 du Palais des Nations. Le fondateur de l’Eglise de l’unification n’était pas le premier orateur annoncé. En attendant le début de la réunion, les participants bavardaient dans les travées: l’on pouvait observer nombre d’unificationnistes, notamment de jeunes membres de deuxième génération, venus de plusieurs pays et heureux de retrouver des amis au sein du mouvement. Les conversations animées étaient surtout des échanges de nouvelles personnelles.

Les participants regagnèrent leur place quand quelques-uns, venus de l’extérieur de la salle, commencèrent à souffler: “Father is coming.” Sun Myung Moon venait en effet d’arriver. La Tribune de Genève (un quotidien local) mit en ligne quelques heures plus tard une vidéo, apparemment prise à l’improviste par un témoin à l’aide d’un téléphone portable, montrant le Rév. Moon en train de sortir d’une voiture pour avancer à pas lents et prendre place sur une chaise roulante. Le fondateur du mouvement alla discrètement s’installer, avec son entourage dans une loge assez abritée des regards, dominant la salle.

Vers 15h15, trois interventions tournant autour de différents aspects du thème de la famille ouvrirent la séance. Le diplomate philippin Jesus Domingo, habitué des réunions organisées par des ONG liées à l’Eglise de l’unification, souligna le caractère fondamental de la famille, mit celle-ci en lien avec le travail des Nations Unies et déclara aussi que “the basic church in the family”. L’universitaire genevoise Astrid Stuckelberger, spécialiste des questions de vieillissement, insista sur les aspects transgnérationnels dans le cadre familial et sur les implications de la transformation du cadre familial pour la paix. Enfin, le Rév. William McComish, pasteur presbytérien d’origine irlandaise et doyen émérite de la Cathédrale Saint-Pierre de Genève, qui fut également trésorier principal de l’Alliance réformée mondiale et reste président du groupe qui rédigea en 1999 l’Appel spirituel de Genève, expliqua que la religion, souvent perçue comme une affaire individuelle, ne peut être vécue que dans le contexte de la famille.

Durant ce dernier discours, Sun Myung Moon quitta discrètement la loge pour se diriger vers la salle. Vers 15h45, les intervenants de la première partie quittèrent l’estrade, tandis que Thomas Walsh introduisit en quelques phrases le Rév. Moon et rappela l’importance de la famille dans l’œuvre de celui-ci. Il mentionna la présence de plusieurs membres de la famille Moon.

Ce fut alors au tour de Hyung Jin Moon (né en 1979), le plus jeune fils du fondateur, de prendre la parole, tandis que ses parents ne se trouvaient pas encore dans la salle. Cet homme à l’allure encore très jeune, et moins massive que son père, est depuis 2008 le successeur désigné pour prendre la direction spirituelle de l’Eglise: père de cinq enfants (quatre garçons et une fille), il a pratiqué durant quelque temps le bouddhisme et a notamment étudié à Harvard Divinity School; l’étude des religions comparées serait sa passion.

Contrairement à son père, il parle un bon anglais: il est né et a grandi aux Etats-Unis. Il commença par exprimer son appréciation pour le travail des Nations Unies. Il rappela les enseignements de son père sur la famille et le couple. Il introduisit ensuite son père, en expliquant que le mouvement voit le rôle de Sun Myung Moon comme celui du Messie et en ajoutant que, “comme Jésus”, il a subi de nombreuses critiques et persécutions. Mais, poursuivit-il, toujours comme Jésus, il n’est pas là pour dire des choses qui plaisent à nos oreilles: il invita donc l’audience à les “recevoir spirituellement”.

Le discours du Rév. Moon

Reçu sous les applaudissements prolongés d’une salle debout, Sun Myung Moon arrive alors sur l’estrade: marchant lentement, assisté par son épouse et une autre personne.

Seul sur scène, assis, il commence à parler, s’animant rapidement, même si sa voix est un peu moins forte qu’autrefois. Parfois, le ton s’élève subitement, dans le style connu de ceux qui ont déjà suivi ses discours, et il frappe sur la table comme pour souligner ses affirmations: ces brusques éruptions sonores conduisent d’ailleurs à plusieurs reprises un garde de l’ONU, manifestement peu familier de tels procédés oratoires, à venir voir ce qui se passe! Moon s’éloigne souvent de son texte préparé (dans lequel il ne s’engage d’ailleurs qu’au bout de 30 minutes), se lance dans des commentaires et digressions, semblant oublier son discours d’origine, avant d’y revenir, d’où une impression plutôt décousue par moments. Cependant, malgré les apparences, il reste parfaitement présent et attentif à la durée totale du discours, faisant en sorte que l’horaire prévu soit respecté. ll s’exprime en coréen: une traduction simultanée en plusieurs langues est assurée. Quand il voit qu’il ne parviendra pas à terminer son discours à temps, en raison de ses nombreux commentaires improvisés, il invite son épouse à venir le rejoindre à la tribune, assurant l’auditoire qu’elle est capable de lire très vite et lui passe son texte: en effet, avec un débit rapide, elle parvient jusqu’à la fin du texte préparé.

Plutôt que de résumer chaque étape discours et des propos improvisés, nous nous limiterons à identifier quelques thèmes importants et à citer les propos qui ont particulièrement retenu notre attention, sans les prendre dans l’ordre.

Le Rév. Moon rappelle les étapes précédentes de sa tournée et les nombreux auditeurs venus l’entendre. Prochaine étape: Berlin, une ville où son fils aîné se trouvait en 1987 et participa à des manifestations pour la chute du mur: “C’est un lieu historique pour notre famille.” En dehors de cela, peu de références directement politiques (si l’on laisse de côté les perspectives millénaristes que nous résumerons plus loin), à l’exception d’un commentaire improvisé pour évoquer un prix que Moon est en train de créer et qui sera plus important que le Nobel: plus de la moitié de ceux qui ont reçu le Prix Nobel sont des gauchistes, des communistes, commente-t-il, ils ne connaissent pas Dieu. Il évoque aussi, vers la fin de son discours, l’abandon définitif de l’athéisme et du communisme, ce qui pavera la voie à la construction du monde selon le plan originel de Dieu.

Il se plaît à se présenter, par rapport à l’auditoire, dans une position de grand-père: “Je vous traite comme ma famille.” Il y revient plusieurs fois: “Ne vous considèrez pas comme des invités, considérez-vous comme [des membres] de ma famille.” Cela l’amène à évoquer les mariages collectifs qui sont devenus l’une des images de marque du mouvement: il affirme en avoir béni plus de trois millions. Il se vante d’être maître en la matière et d’avoir la bonne formule pour associer les bonnes personnes: ceux qui se marient en suivant ses conseils vivent ensuite bien, affirme-t-il. Il rappelle au passage qu’il a aussi béni le mariage de Jésus (dans le monde spirituel).

L’importance du monde spirituel dans l’unificationnisme transparaît à plusieurs reprises. Son auditoire ne comprendrait rien au monde spirituel s’il n’était pas là, selon lui. Il y a d’autres réalités, raconte le Rév. Moon: allez voir les spiritualistes (médiums), demandez-leur, et ils vous diront ce qu’il en est (l’intérêt pour les communications avec le monde spirituel et pour certains médiums a toujours été présente dans le mouvement).

Le Rév. Moon partage quelques observations sur le thème de la mort, qui n’est pas synonyme de tristesse ou souffrance. “Les Vrais Parents ont créé le terme de Seunghwa [ascension] pour expliquer le vrai sens de la mort.” La cérémonie de Seunghwa serait la première étape de l’esprit séparé du corps vers la vie éternelle.

Moon déclare avoir célébré une telle cérémonie le 18 mars 2010 pour honorer les dirigeants récemment passés dans l’autre monde. Et d’énumérer une liste de ceux qui ont été commémorés à cette occasion, en commençant par “le général Alexander Haig, un ancien secrétaire d’Etat américain, qui a sauvé ma vie avec les forces des Nations Unies grâce au bombardement qui a libéré le camp de travail spécial nord-coréen de Heungnam, où j’étais emprisonné durant la guerre de Corée”. Suit une liste de figures politiques ou humanitaires. Car, avertit le Rév. Moon, “tout altruistes et philanthropiques que puissent être des vies, aucun d’entre eux n’a la garantie de pouvoir entrer dans la vie éternelle sans recevoir la bénédiction du mariage et la Bénédiction de Seunghwa des Vrais Parents, le Rév. et Mme Moon. Cela parce que la relation parent-enfant entre Dieu et l’humanité a été brisée en raison de la chute de nos premiers ancêtres.”

Le Rév. Moon définit logiquement son propre rôle comme pivotal, et d’abord pour les membres du mouvement: “La voie prise par les Vrais Parents [Moon et son épouse] servira de tradition et d’exemple historique; je proclame donc que vous devriez tous modeler le cours de votre vie sur cette voie, devenir des familles qui s’engagent à hériter et à accomplir la volonté de Dieu, que les Vrais Parents ont déjà accomplie, et être fidèles à cette promesse.” Dans cette perspective, Moon encourage fortement ses disciples à lire son autobiographie, qui a été publiée en coréen en 2009, en anglais en 2010, et devrait prochainement être disponible en français (As a Peace-Loving Global Citizen, Washington Times Foundation, 2010).

Le Rév. Moon se soucie manifestement de codifier son héritage doctrinal, puisqu’il a défini une liste de huit textes ou collections de textes que “l’humanité utilisera pour l’éternité”, à commencer par ses très nombreux sermons retranscrits et l’exposition du Principe Divin. Il faudra les “lire et les étudier même après que vous irez dans le monde spirituel”.

Moon évoque la chute et ses conséquences: “Afin de vivre une vie parfaite, tous sans exception doivent recevoir une nouvelle vie à travers la bénédiction [qui vient] des Vrais Parents et passer par les trois étapes de la renaissance, de la résurrection et de la vie éternelle. Dans ce contexte, la renaissance se réfère à un individu qui atteint une nouvelle vie. La résurrection, c’est quand une famille et une nation atteignent une nouvelle vie, et la vie éternelle se réfère à toute l’humanité atteignant la perfection et vivant pour toujours dans le pays de Dieu après avoir établi le royaume des cieux sur terre et dans le monde spirituel en assistant [attending] les Vrais Parents, le Roi et la Reine de Paix.” Comme plus d’une fois, Moon réutilise de façon originale des concepts hérités du christianisme, en les investissant de sens nouveaux ou additionnels.

L’égoïsme détruit l’humanité et cause des malheurs sans fin. “Finalement, les problèmes affligeant l’humanité ne peuvent être résolus que par la vision du monde d’une Famile Unie soumise à Dieu, en d’autres termes l’idéologie fondée sur l’amour véritable, que mon épouse et moi-même, les Vrais Parents, avons appris du Ciel et avons défendue et enseignée durant nos vies.”

L’imminence de l’avènement d’un monde nouveau est affirmée à plusieurs reprises: “Le 18 avril, nous avons célébré notre 52e anniversaire de mariage. A cette occasion, j’ai mis un terme à l’ère avant la venue du ciel, qui était marquée par le péché et l’indemnité [expiation], et j’ai proclamé l’ère après la venue du ciel, par laquelle un nouveau ciel et une nouvelle terre seront réalisés en retournant à l’amour véritable.”

L’approche de l’entrée dans un monde nouveau a aussi été soulignée par l’introduction, en 2010, d’un “calendrier céleste” (lunaire). Proclamé le 14 février 2010, ce calendrier céleste est maintenant suivi au sein du mouvement unificationniste. Moon semble y accorder une importance particulière, laisse entendre un passage de son discours, et le lie apparemment au fait “d’honorer et d’hériter la tradition et l’esprit du peuple coréen dont sont issus les Vrais Parents”. Un autre passage du discours fait d’ailleurs l’éloge du peuple coréen, préparé par Dieu pendant des milliers d’années, ce qui a “finalement porté du fruit avec la Seconde Venue du Christ dans la péninsule coréenne”.

Dans son discours genevois du 13 mai (de même que lors des autres étapes de sa tournée), le Rév. Moon déclare que “nous vivons dans un temps historique de grande transition cosmique”:

“C’est l’heure d’une grande révolution cosmique pour changer l’histoire, pour unir les mondes spirituel et physique et pour créer le royaume idéal des cieux que Dieu a voulu depuis le début du temps. Nous ne pouvons retarder ou prolonger l’accomplissement de Son désir. J’ai déjà proclamé que le 13 janvier 2013 serait le «Jour de la Fondation». Ce jour sera le véritable commencement du Royaume de Dieu de Cheon Il Guk. Ce jour sera l’origine. Moins de deux ans restent jusqu’à ce moment.”

La date de 2013 circule depuis quelque temps déjà dans le mouvement unificationniste, mais la tournée du Rév. Moon semble avoir fourni l’occasion de l’affirmer plus largement: le site d’information officiel de l’Eglise de l’unification a publié un article sous le titre “Rev. Sun Myung Moon Predicts Planetary Awakening in 2013”, se référant à son discours du 23 mai à Las Vegas.

Les allusions catastrophistes ne sont pas absents de ces perspectives d’avenir: en évoquant à Genève les choses incroyables qui devraient se passer maintenant, l’orateur fait référence au tsunami qui a frappé le Japon en disant que Dieu est en train de faire de l’ordre dans le monde et que c’est maintenant le jugement. Et selon l’article cité dans le paragraphe précédent, il a évoqué à Las Vegas la possibilité de la destruction du monde par une guerre nucléaire: le réveil spirituel serait nécessaire précisément pour prévenir une telle catastrophe. Cependant, ajoute l’article, “dans l’ensemble, les propos du Fondateur exprimaient de l’optimisme”.

Dans son discours genevois aux Nations Unies, Sun Myung Moon donne quelques précisions sur ces perspectives d’avenir:

“Une fois que la véritable ère de Cheon Il Guk commencera, les mondes spirituel et terrestre seront reliés et conduits à l’unité, et toutes les choses seront gouvernées par l’«Union de l’association des mondes spirituel et physique», qui sera établie sur terre pour la première fois. En outre, la providence sera exécutée selon la loi céleste et à la manière céleste. Les élections menées de façon purement séculières disparaîtront de la face de la terre. Tous deviendront une seule famille à travers des nariages interculturels et la Bénédiction du Mariage de la Paix Mondiale, et nous jouirons de la tranquillité et de l’amour vrai dans le bonheur durant le règne sacré de la paix. Permettez-moi de le dire à nouveau: ce jour approche.”

Moins de deux ans “jusqu’au «Jour J» proclamé par le Ciel”: “nous entrons maintenant dans l’ère de l’autorité de l’empire [dominion] direct de Dieu.” Et “nous sommes entrés dans l’ère de l’autorité du Sabbat cosmique dans lequel vos parents par le sang dans le monde des esprits retourneront sur terre pour recevoir l’éducation du Principe Divin Originel et huit générations vivront ensemble en une seule famille.”

Après avoir terminé son discours, Moon quitte la tribune, sous les applaudissements nourris du public. Pendant que la salle se vide lentement, des groupes d’unificationnistes de plusieurs pays vont prendre des photos de groupe sur la scène.

Observations et réflexions

Le Rév. Moon aime les lieux symboliques, comme autant de façons d’affirmer la nature de sa mission et de son message à l’aune du système international. Les millénarismes s’intéressent certes, par nature, à un royaume à venir dans ce monde-ci, mais peu cherchent à s’insérer de telle façon dans les structures établies, avant le grand tournant conduisant à un monde nouveau: cela nous rappelle qu’il y a plusieurs modèles de millénarisme. En 2004, Sun Myung Moon avait ainsi été proclamé “Roi de la Paix” (et couronné symboliquement) dans un bâtiment du Sénat américain, en présence de plusieurs parlementaires.

Le choix d’une réunion au COE le matin et l’accueil du Rév. Moon dans une grande salle de l’ONU l’après-midi s’inscrivait dans cette logique. La première réaction des commentateurs est d’évoquer une stratégie de légitimation. Cette dimension est certainement présente, mais, comme souvent chez les unificationnistes, des raisons plus profondes expliquent ces choix: la tenue de réunions dans ces lieux, et particulièrement la venue du Rév. Moon, sont revêtues d’une signification spirituelle, dans la perspective de la progression d’un plan messianique et d’une reconnaissance de la mission de Sun Myung Moon sur le plan spirituel.

Avec persévérance, les disciples du Rév. Moon ont fini par établir leur présence dans le monde des organisations internationales et interreligieuses. De leur point de vue, une telle démarche est cohérente par rapport à leurs croyances: elle ne signifie pas nécessairement convertir les interlocuteurs. Les unificationnistes sont convaincus que, à l’instar d’autres ONG, ils contribuent aussi à résoudre les problèmes de l’humanité. Interrogé par la VP (Vie Protestante) Genève (mai 2011, p. 12) sur les objectifs poursuivis à travers le dialogue interreligieux, un pasteur unificationniste suisse affirme que celui-ci est également une fin en soi. “Au début, ce n’était peut-être qu’un moyen, mais la résolution des conflits par les religions est tellement importante que c’est vraiment devenu un objectif à part entière.”

Les années qui passent n’atténuent la conscience de son propre rôle historique que cultive Sun Myung Moon, au contraire: au fil des ans, elle s’est affirmée toujours plus ouvertement, et les propos tenus à Genève l’ont montré une fois de plus. Il a la vision d’un monde déjà en train de se “centrer sur les Vrais Parents”, gravitant en quelque sorte autour de ceux-ci.

Curieusement, les unificationnistes continuent parfois, dans leur discours public, à laisser la porte ouverte à plusieurs possibilités interprétatives, comme ce responsable unificationniste suisse qui répond au journal protestant cité plus haut: “Je pense que le Rév. Moon pourrait être candidat à la mission du Seigneur du Second Avènement. Pour les unificationnistes, le Rév. Moon est plus qu’un homme qui a voulu fonder une Eglise. Maintenant, jusqu’où va sa mission? c’est à Dieu de juger.” C’est sans doute une manière de dire que l’établissement du Royaume de Dieu sur terre démontrera les qualifications de Sun Myung Moon — mais sans doute aussi le désir de voir chaque personne, individuellement, aboutir à ses propres conclusions.

Les unificationnistes sont en effet convaincus que le message et la personne même du Rév. Moon peuvent toucher les âmes. Il peut paraître un peu curieux que soient conviés à une telle réunion non seulement à des unificationnistes, mais aussi des invités non membres du mouvement: plusieurs aspects du discours mooniste peuvent déconcerter tant sur la forme que sur le fond et ne sont pas faciles à comprendre pour une personne ne connaissant pasc es doctrines, sans parler du statut messianique de Sun Myung Moon. Mais les unificationnistes espèrent que des non membres se montreront sensibles à ce que promet leur guide spirituel et sauront reconnaître ce qu’il représente déjà à leurs yeux.

Ce que promet Sun Myung Moon est, nous l’avons vu, rien moins qu’un monde nouveau pour très bientôt. “Il ne reste que six cents jours”: avec de telles déclarations autour de 2013, le Rév. Moon confère à son message une imminence plus forte, un peu comme s’il s’agissait pour lui, alors qu’il avance en âge, de raviver la flamme et l’espérance des unificationnistes, de remobiliser ses fidèles si nécessaire, et de voir la réalisation des événements attendus de son vivant encore. Car ce qui a motivé des dizaines de milliers de personnes à s’engager derrière lui dès les années 1950 a bien été l’aspiration à ce monde idéal, bien que les traits de celui-ci ne soient pas toujours très précis — en tout cas, à l’instar de tous les scénarios millénaristes, un monde dépouillé des défauts du nôtre.

Même si la signification exacte de ce qui doit survenir le 13 janvier 2013 reste à élucider (et laisse sans doute une certaine marge), les promesses faites donnent à entendre sans ambiguïté qu’un changement radical se trouve à l’horizon proche. Il reste à voir sous quelles formes cela motivera les fidèles du Rév. Moon, notamment ceux de la deuxième génération, et quelles seront les initiatives prises pour accompagner le processus.

A côté de l’avenir du monde, c’est aussi l’avenir du mouvement qui retient l’attention des observateurs. A première vue, l’on peut se demander si son successeur désigné, Hyung Jin Moon, ne va pas devoir endosser des habits taillés trop grands pour lui? Certes, il ne s’agit pas d’assumer un statut messianique: lors du 90e anniversaire de son père, répondant aux questions d’Associated Press, il comparait le rôle des enfants de Moon plutôt à celui d’apôtres auxquels il reviendrait de continuer à prêcher le message. S’il ne cesse d’exprimer son allégeance à son père et au rôle de celui-ci, le style de Hyung Jin Moon est très différent de celui de son père; il parle de façon beaucoup plus douce, plus structurée, souvent avec des notes sous les yeux, et il se rapproche d’un modèle de prédication plus classique.

Peut-être est-ce justement cela qui est nécessaire pour l’avenir du mouvement unificationniste. L’un des scénarios pourrait être sa transformation en une sorte d’Eglise comme les autres, malgré des doctrines uniques en leur genre. Hyung Jin Moon paraît avoir le profil indiqué pour systématiser les doctrines du mouvement. Tout cela pourrait déboucher sur une refonte assez profonde de l’unificationnisme au fil des ans — à supposer qu’il demeure uni et que le rôle de Hyung Jin Moon reste reconnu par tous les membres de sa famille et les autres figures influentes du groupe. Des évolutions divergentes ne peuvent être exclues.

Pour reprendre le titre d’un recueil d’études sociologiques sur les successions de fondateurs de nouveaux mouvements religieux, l’unificationnisme se trouve non seulement à la veille du test de la réalisation ou non de ses espérances d’un monde nouveau, mais aussi de l’amorce du tournant post-charismatique, quand son fondateur ne sera plus là pour tenir le gouvernail.

Source : Jean-François Mayer – Religioscope
Jun 2011