Le Petit Journal, 11 février 2008 par Caroline Rodriguez

{{Autorisée à s’inscrire au registre des religions, la Scientologie achève de se racheter une bonne conduite en Espagne. Une véritable conversion pour le pays qui lui avait mené la vie dure dans une formidable croisade judiciaire il y 20 ans. Avancée démocratique ou absolution douteuse ? Retour sur une saga aux contours “pas très catholique}}

Le 3 janvier, le quotidien El País titrait : “La Scientologie n’est plus une secte”. Et le journaliste de se féliciter de la maturité d’un Etat espagnol, lanterne des démocraties par son exemple de “neutralité face aux croyances religieuses”. Le Monde reprenait l’info à son compte le 9 janvier : “La justice espagnole vient d’inscrire la scientologie au registre légal des religions”.
En réalité, la sentence de la Audiencia Nacional -haute instance judiciaire espagnole- était tombée depuis le 19 décembre. La haute autorité judiciaire statuait contre le Ministère de la Justice qui avait refusé d’accorder à la Scientologie le graal d’une inscription au registre officiel*. En vertu de la Constitution Espagnole de 1978**, et de la loi organique de liberté religieuse de 1980, “aucun des documents présentés [par l’administration espagnole] montre qu’il ne s’agit pas d’une entité religieuse ou avec des fins religieuses”. Voilà maintenant sept ans que l’Etat espagnol cherche à inculper l’organisation pour motifs administratifs, en vue de l’interdire, ou tout au moins de la contraindre. Cette fois, la messe semble être dite.

{{Péchés par omission}}

“Il faudrait quand même souligner une chose : cette sentence n’est pas encore une décision ferme”, rappelle le juge Vázquez Honrubia. Le verdict, s’il est un sésame, n’est pas une inscription de fait. Or, l’Eglise de Scientologie espagnole ne peut pas encore prétendre à celle-ci, un recours devant être déposé par le Ministère devant le Tribunal Suprême de l’Etat. Voilà un détail auquel ce magistrat tient tout particulièrement : Vázquez Honrubia est l’homme qui a fait trembler l’Eglise de Scientologie à la fin des années 1980. Lorsqu’il lit le verdict 2007, le juge ne peut s’empêcher d’étouffer un rire amer : “il y a pourtant ici quelque chose d’évident (…), je ne comprends pas ce qu’a fait l’avocat de l’Etat, j’aimerais bien que l’on m’explique.” Le réquisitoire s’appuie essentiellement sur la loi de 1980, et va jusqu’à citer son article 3.2 : “[la garantie de la liberté religieuse exclut] les activités, finalités et entités en relation avec l’étude et l’expérimentation de phénomènes psychiques ou parapsychiques”. Or pour le juge qui a bien connu les scientologues et leurs victimes, il y a ici comme une dissonance.

{{Quand l’Espagne était frondeuse}}

Les faits remontent à 1988, le 20 novembre. Le congrès international de Scientologie se tient à Madrid. La police joue les trouble-fête, et embarque, mandat d’arrêt en main 71 personnes de 15 nationalités différentes. Les “sans grades” sont relâchés ; six personnes sont écrouées, dont Herbert Jentzch, le président international de l’époque. Pour le jeune juge, l’enquête dure 9 mois, ponctuée d’arrestations, d’un scandale politico-financier, et d’une avalanche de plaintes et de témoignages de victimes. Évasion de capitaux, fraude fiscale, escroquerie, atteinte à la santé publique, le juge recense en tout 12 délits dans un réquisitoire “sans précédent de sévérité”.
Puis le dossier lui échappe et passe de main en main. Il se découpe, fait la navette entre l’échelle nationale et l’échelle locale. Des pièces à conviction se perdent, chantage et pressions sont exercés contre les magistrats, contre les victimes. Les plaintes se retirent les unes après les autres. Finalement, 17 personnes seront convoquées face à 150 témoins, pour une sentence finale le 3 décembre 2001 : l’absolution. La promesse des “retombées incroyables” du “dossier énorme”, prédite à l’époque par Vázquez Honrubia s’était alors envolée, dans un silence assourdissant.
C’est dire si aujourd’hui, la proclamation, en fanfare, d’une inscription -non effective- au registre de la respectabilité, tranche avec cette époque pas si lointaine.

* Fin novembre et dans un premier temps, la Audiencia Nacional avait accepté le recours de l’Eglise de Scientologie espagnole, qui contestait le refus de son inscription opposé par le ministère de la Justice en février 2005.

** Constitution de 1978: Art14 : Tous les Espagnols sont égaux devant la loi sans discrimination
Art 16 : Les libertés de idéologiques, religieuses et de culte sont garanties pour tous les citoyens.