“La liberté d’expression ne connaît aucune limite”, rappelle Élisabeth Badinter.

{{Peut-on dire que les victimes de Charlie Hebdo sont mortes au nom de la liberté?}}

Non seulement on peut le dire, mais on doit s’en souvenir. Les caricaturistes n’étaient pas des enfants naïfs. Ils avaient perpétuellement, à leurs trousses, la menace de la mort. Nous disons tous, actuellement : “Je suis Charlie.” On a gommé l’immense solitude de Charlie Hebdo. Car en 2011, quand leurs bureaux ont sauté, on pouvait lire entre les lignes des commentateurs : “Ils l’ont bien cherché.” Aujourd’hui, on sait qu’ils incarnaient la liberté mais, avant-hier, on la défendait bien mal cette même liberté. On les traitait de provocateurs. Dirait-on de Voltaire qu’il était un provocateur, quand il se battait contre tous les fanatismes religieux? On doit une partie de notre histoire de la liberté d’expression à Voltaire et, deux cent cinquante ans plus tard, aux journalistes de Charlie Hebdo, aussi. Les intellectuels doivent ainsi s’interroger, un instant, sur le passé récent : les a-t-on suffisamment soutenus?

{{La liberté d’expression est-elle en danger en France?}}

Nous avons accepté l’autocensure. Nous avons accepté bien facilement le “religieusement correct” car la polémique vire toujours, à présent, à la condamnation morale. Certains ont dit, lors du procès des caricatures de Mahomet en 2007, que les journalistes de Charlie Hebdo flirtaient avec l’islamophobie et qu’ils abusaient de la liberté d’expression. Or, il faut le rappeler, la liberté d’expression ne connaît aucune limite lorsqu’il s’agit des idées. On n’a pas le droit de s’en prendre à des individus en chair et en os, mais on doit se battre idées contre idées. Les dessinateurs de Charlie Hebdo n’ont jamais reculé. Il existe, au-delà du sentiment collectif d’horreur, une mauvaise conscience des intellectuels et des journalistes. On a reculé plus facilement qu’eux.

Pour lire cette interview en intégralité, achetez le JDD sur iPad ou sur Internet. Découvrez également nos offres d’abonnement papier.

Marie-Laure Delorme – Le Journal du Dimanche

ET AUSSI

Charlie Hebdo : les journalistes étrangers “ébranlés”
Jeannette Bougrab : “Charb est mort debout”