TÉMOIGNAGE. Après avoir passé 25 ans au sein de la Mission de l’Esprit-Saint de Montréal-Nord, Christelle Bérubé a claqué la porte en 2011, emmenant avec elle ses six enfants. Avec son ainé de 12 ans qui s’apprête à entrer au secondaire, et tannée de devoir s’expliquer pour les prénoms inusuels de ses enfants, la jeune femme de 30 ans vient d’officialiser leur changement de nom auprès du Directeur de l’état civil.

Exit Eugène Emmanuël, Eugénie, Fléchère, Laflèche-Raphaël, Richer et Richère. Voici Emmanuël, Maëva, Maëlly, Raphaël, James et Mégane.

Dans la Mission de l’Esprit-Saint, tous les prénoms des enfants sont des dérivés du fondateur, Eugène Richer dit La Flèche, qui fonda la Mission en 1913 avant de décéder 12 ans plus tard.

Si aucune ligne de conduite n’est absolument obligatoire dans la Mission, il est fortement recommandé de suivre les grands axes, sous peine de subir le jugement des autres membres, affirme Christelle Bérubé. Comme si des paires d’yeux surveillaient constamment les faits et gestes des membres.

« On ne se fait pas tordre le bras. Ce sont des choix personnels, mais tout est psychologique. »

Parmi ces axes à respecter figurent la non consommation d’alcool et de drogue, l’accouchement à la maison, se marier jeune et, pour les femmes, de ne pas travailler pour s’occuper des enfants.

{{Et il y a la question des prénoms, qui servent de publicité à la Mission.}}

« On me disait “si tu comprends pourquoi tu es ici, tu vas donner ces noms-là à tes enfants pour faire de la publicité pour nous”, se souvient celle qui affirme ne pas avoir eu le guts d’appeler une de ses filles Mégane car elle avait peur du jugement. Nos enfants sont supposés se démarquer de tout le monde et ils visualisent que leurs noms vont se propager pour faire leur propagande. »

Pourtant, les membres de la Mission fréquentent peu le monde extérieur.

« On va au médecin, on sort au restaurant. Le peu qu’on nous voit, on doit donner l’exemple et paraitre bien », explique Mme Bérubé. De là l’idée de faire de la propagande avec les prénoms.

Quand elle doit nommer ses enfants, la jeune femme de 30 ans avoue ressentir un pincement à chaque fois.

« Maintenant que j’ai quitté la Mission, je vois bien que ce n’est pas si bien vu que ça », constate-t-elle. Le monde entier se doute que c’est une secte. De me faire regarder bizarre parce qu’ils ont des noms bizarres, je suis tanné de ça. Je veux mettre tout ça derrière moi. C’est mon dernier lien tangible avec la Mission et ça me suit partout. »

Après avoir été annoncés dans le journal et la Gazette officielle du Québec, les changements des six prénoms des enfants de Christelle Bérubé devraient être approuvés d’ici deux mois.

Le grand départ

Christelle Bérubé est née dans la Mission, la deuxième d’une famille de six enfants, d’un père aussi né dans la Mission et d’une mère élevée à l’extérieur. Ceci explique pourquoi elle n’a pas un des prénoms usuels du groupe.

Mariée à 16 ans, elle accouche de son premier enfant à 18 ans. Ses parents et ses cinq frères et sœurs avaient quitté la Mission tout juste avant son mariage. Pourquoi était-elle restée?

« Pour moi, c’était logique, c’était ça le cheminement. Depuis que j’étais petite que c’était ça le plan. Avoir des enfants, c’était la réalité que je voulais », se souvient-elle.

C’est là une des lignes directrices du mode de vie de la Mission de l’Esprit-Saint, faire un monde meilleur en mettant beaucoup d’enfants au monde. Les membres sont sensés toujours s’efforcer à s’améliorer et aider leur prochain, explique Christelle Bérubé. Ils incarnent le positif.

Sept ans après son union, son couple éclate. Alors que son mari ressent un mal de vivre, elle approche ses beaux-parents pour leur demander de l’aide. Autant son ex que ses parents sont nés et ont grandi dans la Mission.

Et ces derniers n’ont rien fait pour aider leur fils, allant même jusqu’à le renier, ce qui est contradictoire avec les valeurs positives qu’on inculque aux enfants dès leur jeune âge.

{{Pour Christelle, c’est un élément déclencheur. Elle quitte la secte.}}

« Je suis partie parce qu’il était hors de question que j’élève mes enfants là-dedans. On n’est pas supposé se séparer, mais dans la vie, ça peut arriver. Et là-bas, tout le monde se met contre toi. »

Peu après sa sortie, elle découvre un paquet de choses qu’elle n’avait jamais vécu.

Dans la Mission, il est interdit, encore une fois sans que ce soit absolument obligatoire, d’être en contact avec des gens de « l’extérieur », pour ne pas se faire influencer. En quittant, Christelle a réalisé que les « autres » étaient bons.

« Je ne vivais que du jugement de l’autre côté. On me disait que si quelque chose m’arrivait, c’est que je l’avais mérité. On ne m’aidait pas », explique-t-elle.

{{Et on a tenté de la retenir.}}

« À la place de m’écouter, me parler ou m’aider, on me jugeait. Les commentaires positifs et le réconfort, c’est vraiment rare là-bas. Quand il nous arrive de quoi, on vient se le faire remettre dans la face. »

{{
L’épanouissement}}

Quitter la Mission ouvre de tous nouveaux horizons pour Christelle et ses enfants.

Outre sa famille, elle ne connaissait que du monde de la Mission, n’ayant été à l’école municipale que jusqu’à sa 4e année, avant de finir son primaire dans une école de la secte.

{{Elle n’a que très peu étudié au secondaire par la suite, avant de se marier à 16 ans.
}}
« Aujourd’hui, la plus grande fierté que j’ai, c’est de m’être trouvée. Je ne me sentais pas bien dans comment j’étais. On travaille tous pour être de meilleures personnes, et j’ai réussi à le faire en quittant. Je veux que mes enfants soient comme moi j’ai réussi à être, sans juger les autres », raconte celle qui considère les valeurs de la Mission presque « impossible » à réaliser étant donné qu’il s’agit d’un petit cercle de 500 personnes. Je ressentais toujours un sentiment que je ne comprenais pas car ce n’était pas vraiment moi. Je ne juge pas les gens, je n’ai plus ce sentiment-là. »

{{Aussi, elle ne veut pas que ses enfants vivent ce qu’elle a vécu.}}

« La plus belle chose de l’enfance est avoir des amis et découvrir des choses. Ici, ils vont à l’école, ils ont des amis dans le quartier. Je ne voulais pas que mes enfants restent [confinés] à leur cour et qu’ils ne voient rien. Je voulais qu’ils s’épanouissent, qu’ils vivent des aventures. Je pense que c’est comme ça qu’on grandit. »

{{Un lavage de cerveau}}

Christelle n’hésite pas à admettre que la Mission procède au lavage de cerveau des enfants. Jusqu’à cinq fois par semaine, les membres se réunissent et les enfants peuvent écouter des « gourous » leur enseigner les valeurs de la secte pendant des heures.

« Ce n’est pas ça la réalité. Ce n’est pas vrai que la vie fonctionne comme ça », analyse-t-elle.

Se retrouvant divorcée à 25 ans, monoparentale avec six enfants, sans travail et sans diplôme, elle avoue avoir trouvé sa nouvelle vie difficile au début.

« On se fait mettre dans un monde irréel et on vit avec ça. On ne m’a pas appris à affronter ça. Ce n’était pas supposé arriver, mais c’est arrivé. J’aurais dû aller à l’école et travailler. »

La jeune femme s’est trouvé un emploi dans l’entretien ménager. Elle opère même sa propre entreprise.

Mais alors qu’elle tente de s’éloigner le plus possible de son ancienne vie et qu’elle reste discrète sur son passé, la Mission revient parfois la hanter.

« Quand je fais des ménages, je m’ouvre lentement à mes clients. Et je ne dis jamais les noms de mes enfants, je l’évite par tous les moyens. Puis, un moment donné j’en ai dit un à une cliente. Elle m’a posé un tas de questions et elle ne m’a plus jamais repris ensuite », confie-t-elle.

Malgré tout, elle ne regrette pas de ne pas avoir suivi sa famille quand elle avait 15 ans.

« J’aurais dû comprendre à ce moment-là, mais j’ai été élevée là-dedans, je ne me voyais pas quitter. Quitter tout ce que j’avais toujours connu à 15 ans, alors que j’étais amoureuse, reconnaît celle qui croit avoir perdu des années de sa vie, mais qui n’échangerais pas ses six trésors pour rien au monde. [Mon passage là-bas] fait partie de moi et ça m’a amené à qui je suis aujourd’hui. »

{{La Mission de l’Esprit-Saint en bref}}

Fondateur: Eugène Richer dit La Flèche (1871-1925)

Croyances: Il serait la troisième réincarnation de l’Esprit-Saint, après Jésus et Jéhovah. Le reste de l’humanité toute entière aurait pour père Satan.

Missions et membres: Montréal, 100 membres. Joliette, 300 membres. Lavaltrie (avec Los Angeles, CA, et Raleigh, CN), 1 100 membres. Montréal-Nord, 450 membres.

{{Lignes de conduite:}}

-Comme pour l’Église catholique, l’adultère, la sexualité hors mariage, l’homosexualité et le crime sont proscrits.

-Interdiction de porter du maquillage et des bijoux ou de fréquenter des non-membres et ex-membres

-Pas d’alcool, ni de drogue.

-Les femmes ne travaillent pas, les enfants fréquentent l’école de la Mission ou sont éduqués à la maison.

-Obligation de payer la dîme (10 % des revenus)

-Pas de vaccins pour les enfants

-Accouchements à la maison

-Célébrations de Noël sans cadeaux, ni décorations.

Sources: missiondelespritsaint.info, de l’ex-membre Eugène L. Bérubé; Christelle Bérubé
Hebdo Rive Nord
par Claude-André Mayrand

http://www.hebdorivenord.com/Actualites/Societe/2015-06-23/article-4190745/Elle-change-les-prenoms-de-ses-six-enfants-pour-faire-une-croix-sur-son-passe/1