Recommencer sa vie à zéro, c’est ce qu’a dû faire Alycia David après avoir quitté la Mission de l’Esprit-Saint. Aujourd’hui finissante en Techniques d’éducation spécialisée au Cégep à Joliette, elle veut sensibiliser les gens à l’importance d’un bon développement chez l’enfant en se basant sur son propre parcours. 

« Je ne veux pas juger, je ne veux pas dénoncer, mais simplement partager mon histoire pour démontrer qu’un manque dans le développement d’un enfant peut amener de grosses répercussions», a expliqué la femme de 28 ans. Cette dernière a fait le choix de quitter la Mission de l’Esprit-Saint vers l’âge de 13 ans et c’est quand elle a réintégré la société qu’elle a pris conscience des lacunes qu’il y a eu dans son développement.

« C’est carrément deux mondes différents. Cela m’a pris des années pour me reconstruire et croire en moi. J’ai dû retrouver mon identité, parce que je m’étais fait dicter ma conduite toute ma vie et je n’avais jamais pensé à m’opposer. Je n’avais jamais appris que je pouvais m’affirmer et dire ce que je pense. C’est à 25 ans que j’ai compris cela et aujourd’hui, j’apprends encore à communiquer, c’est fou. »

Alycia mentionne que le mouvement va à l’encontre des normes de la société et qu’on lui disait que chaque mauvaise chose qui lui arrivait était provoquée par une faute qu’elle avait commise. « Les gens de l’extérieur sont vus comme sataniques, c’est pour ça que les gens ne sortent pas, tout est basé sur la peur et l’isolement puisque nous n’avons pas vraiment de contact avec les gens de l’extérieur.»

Elle a ajouté que cela a peut-être changé au cours des années, mais que lorsqu’elle était au sein de la Mission, les femmes étaient dévalorisées et soumises. « À partir de 14 ans, tu dois te marier et avoir des enfants, tu n’as pas le droit d’utiliser de moyens de contraception. » Cet environnement a eu des impacts majeurs sur elle, mais c’est principalement son manque d’éducation qui a eu des effets négatifs sur son développement.

«Je n’existais pas pour le ministère de l’Éducation»

Alycia fréquentait l’école L’Institut Laflêche, qui a été fermée en 2007 par la Cour supérieure du Québec. Elle avait des cours de français et de mathématiques, mais pas d’histoire ni de géographie et les élèves n’avaient pas de diplômes. « Quand j’ai quitté, je suis allée faire mon secondaire au Centre de formation de l’Envol. À 18 ans, je me suis fait classer en sixième année. »

De plus, le mouvement lui inculquait des faits erronés, par exemple que la terre est en forme de poire. « Je n’avais aucune façon de savoir que ce n’était pas vrai. Quand je suis sortie de la Mission, je ne croyais plus rien, même ce qui était prouvé scientifiquement. Ç’a été un gros travail sur la confiance et l’estime. »

Grâce à sa motivation, elle a complété tout son secondaire en 13 mois seulement. Cependant, l’entrée au Cégep a été un gros choc pour elle puisqu’elle n’avait jamais appris à socialiser ou à faire des travaux d’équipe. Elle a tout arrêté après seulement quatre mois. À l’âge de 24 ans, elle a eu le courage de retenter l’expérience. « J’ai été chanceuse, car j’ai rencontré de bonnes personnes qui m’ont beaucoup soutenue.»

Alycia est heureuse de constater que certaines choses ont changé au sein de la Mission de l’Esprit-Saint. Les enseignants de la nouvelle école viennent maintenant de l’extérieur et sont formés. De plus, les élèves n’ont plus le choix de passer les examens du ministère.

Elle a également mentionné qu’il y a de belles valeurs dans le mouvement comme l’entraide, et qu’elle n’y regrette pas son passage. « Ç’a m’a rendue plus forte et plus mature. » Elle ne veut donc pas dénoncer, mais informer les gens pour qu’ils gardent l’œil ouvert. Pas seulement par rapport à la Mission, mais en général. C’est pourquoi elle a choisi de faire son exposé oral sur ce sujet dans son cours de français.

« Il faut porter une attention à tout ce qui pourrait compromettre la sécurité et le développement d’un enfant et en parler. C’est notre rôle, parce que si on ne dit rien, il n’y a rien qui va changer la vie de cet enfant-là. »

Une étape difficile

Quand la sœur aînée d’Alycia a quitté la Mission de l’Esprit-Saint, il y a une quinzaine d’années, Alycia a vécu beaucoup d’exclusion de la part des membres. « Les parents ne voulaient pas que je fréquente leur enfant et notre famille était devenue “impure” en raison de la décision de ma sœur.» De se faire détester ainsi l’a aidée à quitter le mouvement. «Si j’avais eu un sentiment d’appartenance, je ne l’aurais pas fait. »

La réaction de ses parents a été moins forte, puisqu’ils avaient déjà vécu la situation avec sa sœur, mais Alycia a tout de même dû aller vivre en appartement dès l’âge de 15 ans en raison de divergences d’opinions avec son père. « C’est vraiment difficile de sortir de la Mission parce que tu perds ta famille et tu n’as pas d’amis à l’extérieur, pas d’éducation, tu n’as rien. » Finalement, ses huit frères et sœurs et ses parents ont tous fini par quitter, eux aussi, la Mission.

Alycia a changé son nom à l’âge de 19 ans afin de faire une réelle coupure avec son passé. D’autant plus que les gens la jugeaient avant même de l’avoir rencontrée.

 

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