Ce lundi matin, Dounia Bouzar a réuni dans un lieu discret de l’est parisien quatre familles dont les enfants sont partis en Syrie. Quand soudain tombe l’appel de Daesh à tuer « les méchants et sales Français » de « n’importe quelle manière ». Son téléphone n’arrêtera plus de crépiter. « Cache-toi », la supplie-t-on. Comme d’habitude, l’anthropologue, engagée depuis vingt ans dans un combat rugueux contre l’islam radical, encaisse. « Peut-être que je ne m’en rends plus compte. Je suis dedans. Je ne me sens pas vraiment en danger. Même si je n’irais pas toute seule dans certains quartiers. »
Il y a un an, elle a quand même préféré quitter Paris. Après qu’on lui a démoli sa voiture et sa moto devant chez elle. Gravé des croix gammées et des croix de Lorraine. Et tagué :
« Tu vas payer, islamo-collabo. » Le coup était signé des islamophobes de l’extrême droite. Mais d’autres fois, les accusations viennent des salafistes, des sunnites prônant un retour à l’islam des origines. Cette ancienne éducatrice de la Protection judiciaire de la jeunesse, devenue anthropologue, tient tête. Cinquante ans, trois enfants, musulmane pratiquante, fille d’une mère corse athée et d’un père maroco-algérien, elle s’est toujours battue pour la liberté de conscience. « Il y a vingt ans, on se mettait un foulard à la Simone de Beauvoir (qu’elle porte toujours, NDLR) pour s’adapter à la culture française, on avait des revendications féministes. Tout cela a régressé. Et c’est dur, cette régression. »
A la fin de l’hiver, elle a créé le Centre de prévention contre les dé- rives sectaires liées à l’islam. Et se démène auprès des familles qui ont une fille ou un garçon en Syrie, dans les rangs d’AI-Nosra ou de Daesh. Elle écoute sans relâche ces parents qui ont décelé chez leurs enfants des signes d’endoctrinement. Trois à quatre heures au téléphone certains jours. Comme avec ce père de famille, un commerçant, qui avait surpris sur le visage de sa fille un sou-rire lors de la tuerie du musée juif de Bruxelles par Mehdi Memmouche.
« Fouillez sous son lit, fouillez son ordinateur » lui conseille Dounia Bouzar. Le père rappelle, « en larmes ». Il a trouvé des niqabs et des liens vers des sites islamistes radicaux. « Sa fille était en voie d’endoctrinement. On l’a sauvée à temps. »
Son livre Comment désamorcer l’Is-lam radical, sorti fin janvier, a été un déclic. Des policiers qui traquent les départs vers la Syrie la sollicitent. Et des familles, beaucoup de familles. Une vingtaine fin février. Un mois plus tard, elles sont une quarantaine. Au-jourd’hui, cent vingt-cinq « Simple-ment le haut de l’iceberg », admet Dounia Bouzar. En grosse majorité, des familles des classes moyennes et moyennes et supéneures, enseignants, toubibs, éducateurs. À 80 % athées À 20 % issues de l’immigration la plus diverse
• Les familles des classes populaires appellent peu, et souvent quand c’est trop tard. Quand leur enfant est parti. Pourquoi ? Elles ne font pas confiance aux institutions. Elles ont peur que leur gamin soit discriminé, fiché, mal jugé. »
Sur les 125 jeunes pistés par Douma Bouzar, quatre-vingt-dix sont des filles, parfois mineures, « toujours sensibles ». Engagées dans des métiers de don, assistante sociale, infirmière, médecin… « Toutes ont basculé sur le faux motif de l’humanitaire. À 99 %, un endoctrinement par Internet et les réseaux sociaux. On leur dit : tu n’as pas le droit de rester en Occident à l’aise avec ta télécommande alors qu’il y a des enfants gazés par Bachar al-Assad. » Pour les garçons, le profil est différent. « En perte de repères, en recherche de la toute puissance, ils ont souvent grandi dans un monde virtuel où être un homme, c’est se montrer violent et dominant. »
« Endoctrinement par Internet »
Avec les familles, l’anthropologue multiplie les rencontres, croise les in- fos, entretient le contact avec les filles sur place en Syrie, quand elles peu-vent accéder à un cybercafé.
« Beaucoup veulent fuir. Elles ont vu des jihadistes égorger d’autres Syriens. Suffisant pour qu’elles se désendoctrinent en une journée. Le problème, c’est de les récupérer. Trouver des mercenaires, des passeurs. Pour le moment, c’est réussite zéro. Pas récupéré une seule gamine. » Désormais, elle craint que de jeunes endoctrinés soient « activés » à distance, ici en France. « Une petite m’en a parlé il n’y a pas longtemps. Pas besoin d’aller en Syrie pour être dangereux. On leur inculque par le Net une vision parano du monde qui les entoure et ils deviennent un danger ambulant ! »

source : par Marc PENNEC Ouest France

note : Centre de prévention contre les dé-rives sectaires. N° vert 0 800 005 696.
Ils cherchent le paradis, ils ont trouvé l’enfer, Dounia Bouzar. Éditions de l’Atelier, 160 p., 16 €. Témoignage de familles d’adolescents « jihadistes ». Parution le 9 octobre.