Des ex-membres de la Mission de l’Esprit-Saint à Montréal-Nord ont décidé de lever le voile sur un groupe religieux fermé, où les femmes ne sont bonnes qu’à faire des enfants, qui, pour la plupart, ne vont pas à l’école publique.

«Tu as quatre ans, tu sais que tu vas être mère de famille, tu sais que c’est juste ça ton destin, tu n’iras pas plus loin dans la vie», a expliqué Marie (nom fictif) lors d’un témoignage au tribunal dans une affaire de crimes sexuels.

D’autres anciens membres rencontrés par Le Journal vont encore plus loin.

«On n’a pas le droit d’avoir des rêves, déplore pour sa part Sabrine (nom fictif). Les filles doivent se marier entre 14 et 16 ans. On prépare les filles à être de “bonnes épouses”. Huit enfants, c’est la norme.»

Tant Marie, dont l’identité est protégée par une ordonnance de la cour, que Sabrine, qui craint des représailles envers ses proches encore dans la secte si son identité est révélée, ont dressé un triste portrait de la condition féminine dans cette secte comptant plus de 300 membres.

Cloîtrées

Tant Marie que Sabrine et trois de ses sœurs, maintenant dans la quarantaine, sont nées dans la Mission de l’Esprit-Saint. Selon ces ex-membres, les femmes n’ont pas le droit de travailler ni d’avoir de contacts avec l’extérieur.

«(Les gourous) disaient que les gens du monde étaient démoniaques, affirme Marie. La secte parlait beaucoup d’une troisième guerre mondiale.»

Sabrine explique que l’homme ramène l’argent à la maison, tandis que la femme est considérée comme une «moins que rien». Juste d’aider sa femme dans les tâches quotidiennes est mal perçu, dit-elle.

Pas éduqués

Dans une décision concernant un ex-membre condamné pour des crimes sexuels, la Commission des libérations conditionnelles du Canada s’était aussi penchée sur la Mission de l’Esprit-Saint.

«Le mouvement (de la secte) prône le mariage à l’adolescence, de 14 à 17 ans, dans le but d’avoir une famille nombreuse, avait indiqué la Commission dans son rapport. Les mariages se font entre membres du groupe, les membres tendent à s’isoler et à être méfiants face à la société.»

Les allocations du gouvernement grâce aux nombreux enfants permettent aussi d’amasser un beau pactole, explique Sabrine. Sauf que la majorité des enfants ne vont pas à l’école publique. Ils recevraient leur éducation à la maison, par des enseignants parfois sans formation.

«(Les gourous) briment la vie des jeunes, il n’y a pas de développement normal», déplore une des sœurs de Sabrine. Le gouvernement devrait évaluer les enfants dans la secte. Les enfants ne font pas les tests du ministère, ils sont illettrés.»

Simulacre de justice

Selon Marie, si elle refusait de faire son «devoir de femme», elle devait passer devant une sorte de tribunal, devant tous les gourous de la secte.

«On te juge, on te demande pourquoi tu ne lui donnes pas des relations sexuelles, décrit Marie. Ça finit avec un genre de jugement de cour, que je n’ai pas le droit de lui refuser.»

Si le mari trompe sa femme, le blâme est mis sur cette dernière, ajoute Marie.

«Je n’ai pas mon mot à dire, je dois l’accepter et vivre avec ça», dit-elle.

Tous les membres ne sont pas à mettre dans le même panier, souligne toutefois Sabrine.

«Il y a 90% de fanatiques, ceux qui ont un caractère assez fort, ça leur passe au-dessus de la tête» dit-elle.

Mais ça ne l’empêche pas de vouloir dénoncer les pratiques de cette secte.

«Ce sont les enfants qui souffrent, conclut une des sœurs de Sabrine. Si mes petits enfants vont à l’école, notre sortie médiatique sera considérée comme une victoire.»

Dans les dernières années, au moins quatre membres de la secte ont été traduits en justice pour des crimes sexuels ou des abus sur des enfants de la secte, même si les contacts avec le monde extérieur –dont la police – est découragé. Deux ont été condamnés, tandis que les deux autres attendent leur procès.

La Mission de l’Esprit-Saint:
Fondée par Eugène Richer dit La Flèche (1871-1925)
Des sections à Montréal-Nord, Joliette et Lavaltrie
Les sections n’ont pas de lien entre elles
La section de Montréal-Nord compterait plus de 300 membres
Elle a été fondée à la fin des années 1970
Les membres doivent verser 10% de tout revenu à la secte
Les membres sont invités à couper tous les liens avec ceux qui quittent le groupe

La Mission de l’Esprit-Saint avare de commentaires :
La Mission de l’Esprit-Saint de Montréal-Nord tient ses activités dans un bâtiment du boulevard Henri-Bourassa Est, évalué à 1 643 900 $ par la Ville.

La Mission de l’Esprit-Saint de Montréal-Nord nie en bloc les allégations d’ex-membres déplorant la piètre condition féminine dans ce groupe religieux.
«Nos femmes sont libres, c’est leur choix», a lancé un des administrateurs du groupe, Daniel Bérubé.

Visiblement indisposé par l’appel du Journal, M. Bérubé a même affirmé qu’il ne connaissait pas plusieurs des membres nommés au cours du bref entretien téléphonique.

« Conseils »

Il confirme toutefois que les membres qui ont des problèmes peuvent demander conseil aux dirigeants du groupe, mais il assure que les «jugements» ne sont pas coercitifs, comme l’affirment des ex-membres.

«Si un couple veut un conseil, on va le leur donner, mais la décision, ça revient au couple», affirme-t-il.

M. Bérubé affirme d’ailleurs que des ex-membres qui dénoncent une secte ont souvent «mille choses à dire» contre leur ancien groupe.

«Vous inventez des histoires, a-t-il lancé. Faites des choses importantes, ce serait plaisant. Allez creuser dans les écoles juives. Moi, je suis dans mes souliers, pas dans ceux de tous les gens sur la planète.»

Pas responsable

Le président de la Mission de l’Esprit-Saint a pour sa part affirmé que son groupe religieux ne pouvait être tenu responsable des problèmes allégués par ses ex-membres.

«Que ce soit la Mission, les témoins de Jéovah ou les catholiques, il peut y avoir des choses qui se produisent, ce n’est pas nécessairement lié à nos enseignements», a commenté Richer Lacroix.

M. Bérubé a renchéri en comparant avec le catholicisme.

«La religion catholique est-elle responsable de ceux qui vont tuer et violer?» a-t-il lancé avant de raccrocher le téléphone brusquement.

Contrôlés

Un expert en mouvement sectaire qui connaît bien la Mission de l’Esprit-Saint se dit peu étonné des témoignages des ex-membres sur la condition féminine peu reluisante, car elle correspond jusqu’à un certain point aux écrits du groupe religieux.

Mais Eugène Bérubé rappelle du même coup que lorsqu’une personne quitte la secte, il est possible que les faits soient amplifiés.

Le directeur général d’Info-Secte, Mike Kropveld, connaît cette secte qui avait été placée sous les radars pour avoir tenu une école clandestine en 2005.

Il explique que les gourous ont un tel ascendant sur leurs membres qu’il peut être très difficile de quitter le groupe puisque cela revient à couper les liens tissés depuis la naissance.

http://www.journaldemontreal.com/2015/07/05/elles-denoncent-une-secte