LE MONDE | Article paru dans l’édition du 06.03.10

Pédophile, morphinomane, père prolifique et maintenant incestueux : le scandale enfle autour de Marcial Maciel, le prêtre mexicain fondateur de la Légion du Christ, une congrégation jadis influente auprès du Vatican, du temps du pape Jean Paul II.

Mercredi 3 mars, une Mexicaine, qui affirme avoir eu pendant trente ans une relation quasi conjugale avec Marcial Maciel, a témoigné avec ses trois fils, lors d’une émission de radio, de la double vie de ce religieux catholique, accusé aussi de toxicomanie et d’abus sexuels contre des novices.

Deux ans après la mort de Marcial Maciel, fin janvier 2008, qui s’était retiré en « pénitence » sur décision du Vatican, deux de ses fils dénoncent les viols et autres abus dont ils auraient été victimes de la part de leur père, surtout quand ils voyageaient ensemble.

Leur mère, Blanca Estela Lara, a raconté qu’elle avait connu Marcial Maciel en 1976, alors qu’elle n’avait que 19 ans, et lui 56. Elle avait déjà un fils d’un autre homme, puis a eu deux garçons avec le prêtre, dit-elle, sans se douter de sa véritable identité, car il lui a fourni des papiers sous deux noms différents, pour reconnaître ses enfants et adopter l’aîné. Afin de justifier ses absences, Marcial Maciel se faisait passer pour un cadre de la compagnie pétrolière Shell. Il prétendait aussi être un détective, voire un agent de la CIA.

Ce n’est qu’en 1997, vingt ans après leur rencontre, qu’un article dans une revue mexicaine, illustré de photos, a ouvert les yeux de la jeune femme. « Je n’avais jamais rien soupçonné, a-t-elle dit à la chaîne MVS. Je l’adorais. Je lui ai même dit un jour qu’il était comme un dieu pour moi. » Elle a rompu avec lui en 1999, après que son fils cadet lui eut révélé les abus sexuels.

Le pouvoir de séduction de Marcial Maciel lui a permis d’accumuler une fortune considérable, gérée dans une grande opacité, et de tisser un vaste réseau de complicités. Très conservatrice, la Légion est implantée dans vingt-deux pays et a ouvert des dizaines d’institutions éducatives destinées en priorité aux élites. Au Mexique, elle a formé les enfants du milliardaire Carlos Slim, troisième fortune mondiale, et d’autres entrepreneurs de premier plan, dont le patron du groupe Televisa.

{{LA LÉGION DEMANDE PARDON}}

Le Père Maciel a longtemps semblé intouchable. Les pressions ont été très fortes contre les médias mexicains qui ont commencé à aborder ce sujet tabou, en 1997, dans la foulée d’une enquête publiée aux Etats-Unis : après quarante ans de souffrance et de silence, huit anciens légionnaires s’étaient alors résolus à exiger un procès canonique contre le Père Maciel, que l’Eglise lui a épargné.

Jeudi 4 mars, la Légion a demandé « pardon » aux enfants de son fondateur, ainsi qu’aux autres victimes. « Ces dernières années, nous avons appris peu à peu, avec surprise et une grande douleur, des aspects occultés de la vie du Père Maciel », souligne son communiqué.

En février 2009, l’ordre a dû admettre l’existence d’au « moins une fille » du fondateur, à Madrid, mais on lui prête d’autres descendants en Europe et au Mexique. Pour les victimes, les excuses de l’ordre sont entachées d’hypocrisie et servent à dissimuler les responsabilités de la hiérarchie.

Une question financière est aussi en suspens. La Légion affirme avoir refusé, en janvier, une offre du fils cadet de Mme Lara, qui proposait de ne pas révéler les abus incestueux, en échange de 26 millions de dollars (19,1 millions d’euros), dont 6 millions d’héritage promis par le Père Maciel.

Depuis mai 2009, l’Eglise a ouvert une enquête sur la Légion du Christ. Selon le porte-parole du Vatican, ses conclusions ne seront pas connues avant des mois. Mais Benoît XVI, auquel la famille de Maciel a fait publiquement appel, devra sans doute trancher avant la béatification de Jean Paul II, annoncée pour octobre.
Joëlle Stolz