Dans la chambre d’une pension bavaroise, la police a découvert il y a une semaine trois corps transpercés par des carreaux d’arbalète. Un couple de femmes décédées a ensuite été retrouvé. Parmi ces cinq morts, un homme tenait une boutique vendant des arme

L’énoncé des faits intrigue comme un puzzle incomplet. Trois corps retrouvés dans la chambre d’une pension au bord de l’Ilz, à Passau, une petite ville de Bavière, près de la frontière autrichienne. Un homme et une femme sont allongés dans un lit, main dans la main, les corps transpercés de carreaux d’arbalète. Sept tirs en tout. Trois dans le corps de l’homme, deux dans sa tête, un dans la tempe de la femme, le dernier dans son coeur. Une troisième femme est à terre, un seul carreau d’arbalète fiché dans la gorge. L’étrange scène macabre a été découverte il y a une semaine par la police. Le trio était arrivé la veille. Deux arbalètes ont été retrouvées sur le lit et une troisième dans un sac. Aucun autre signe de violence.

Depuis une semaine, l’énigme des morts à l’arbalète fascine l’Allemagne, qui tente de comprendre l’histoire inquiétante de ces personnages: Torsten, 53 ans, Kerstin, 33 ans, étendue près de lui, et Farina, 30 ans, la dernière victime. Ils revenaient d’Autriche où, d’après une facture découverte dans la chambre d’hôtel, ils avaient acheté au moins une de leurs armes antiques. Il n’y a rien d’illégal à posséder des arbalètes. Ils avaient réservé trois nuits dans la pension bavaroise mais sans petit déjeuner. « C’était un étrange trio », a confié le personnel de l’hôtel, qui se rappelle seulement les avoir vus monter dans leur chambre au deuxième étage, de l’eau et des sodas à la main, mais sans leurs valises. Ils ont simplement dit « bonne nuit », vers 22 heures.

Pour comprendre le drame, les enquêteurs ont logiquement suivi la piste des victimes. Le mystère s’est épaissi. Le rebondissement a été sordide. Dans l’appartement de Farina, boulangère à Wittingen, en Basse-Saxe, à 600 km de là, deux autres cadavres attendaient la police, deux femmes encore: Gertrud, une institutrice de 35 ans, et Carina, 19 ans, elle aussi boulangère. Elles étaient mortes probablement depuis plusieurs jours. Les voisins s’étaient d’ailleurs plaints d’une odeur désagréable. Gertrud et Farina formaient un couple. Venue de RhénaniePalatinat, cette dernière avait emménagé à Wittingen au début du mois de mars. Gertrud, en congé maladie pour burn-out, ne s’était pas présentée dans son école depuis six mois. Carina était apparemment hébergée chez elles. Les enquêteurs n’ont pas encore révélé la cause du décès du duo de Wittingen, mais ils s’orientent aussi vers un suicide.

Interloquée, la police livre au compte-gouttes les résultats de son enquête. Elle avance à tâtons pour donner un sens à ces morts. « Tout cela est très obscur », a commenté le porte-parole du procureur. Les enquêteurs ont besoin de plus de temps, disentils, pour mener des examens biologiques et déceler d’éventuelles traces d’alcool, de médicaments ou de stupéfiant. Bref, d’indices. Les enquêteurs sont aussi en possession d’un testament laissé à Passau par Torsten et Kerstin, le couple du lit.

Avec prudence, la police oriente ses recherches autour d’un pacte suicidaire. Les premiers examens ont révélé des tirs post mortem qu’aurait pu infliger Farina à ses compagnons de Passau avant de retourner l’arme contre elle-même. Des experts ont été mandatés pour vérifier qu’un suicide à l’arbalète était possible.

Les médias allemands, de leur côté, sont partagés entre gêne et fascination morbide. Généralement, ils ne rendent pas compte des suicides, par crainte que ces récits ne déstabilisent des personnes fragiles. Alors, à la fin des papiers, les journaux diffusent le numéro d’un accueil de soutien téléphonique: « Vous pensez à la mort. Parlez-en à quelqu’un et recevez aussitôt une aide. » De leur côté, les tabloïds et les spécialistes des faits divers se sont précipités.

Secte médiévale

De cette affaire nébuleuse émerge la personnalité dominatrice et manipulatrice de Torsten. L’homme chauve à la barbichette blanche et aux bras tatoués de symboles ésotériques tenait une boutique d’objets médiévaux à Hachenburg, près de Berod, en Rhénanie-Palatinat, Milites Conductius. On y vend des armures, des poignards, des épées et même de l’hydromel, le nectar des dieux. Sur la page Facebook de Milites Conductius, on lit : « Nous vivons l’histoire.» À travers la vitrine du magasin, les photographes ont aperçu un mannequin blanc couvert de taches rouges. Glaçant. Torsten était fasciné par l’alchimie. Il organisait aussi des combats à l’arme blanche. Sa boutique était le point de ralliement d’un petit groupe de passionnés du Moyen Âge, dont le nombre n’est pas connu. Une sorte de secte médiévale ?

On sait encore peu de choses des femmes de cette histoire. Carina, la plus jeune des victimes, est tombée dans ce réseau par l’entremise d’un professeur de latin, qui lui aurait présenté Torsten en 2016 comme un professeur de combat. Elle avait alors 16 ans et fréquentait un lycée privé à Marienstatt, à 5 km de Hachenburg. Les cours de Torsten ont transformé l’adolescente. Il n’y en avait «que pour Torsten, Torsten, Torsten», s’est souvenue sa mère, interrogée par RTL. Son père n’a pas compris non plus : sa fille « était heureuse » avant. « Comment quelqu’un peut-il réussir à manipuler une autre personne en quatre à six semaines ? », s’est-il interrogé. C’est le temps qu’il semble avoir fallu à Torsten pour obtenir de Carina qu’elle coupe les ponts avec sa famille. Conseillée par le mystérieux professeur de latin, elle a fait appel aux services sociaux pour être placée dans une institution. Depuis, cet homme s’est suicidé.

Prédateur psychologique

En 2017, les parents de Carina, démunis, ont engagé un détective privé pour retrouver la trace de leur fille. Celui-ci a pu confirmer qu’après ses 18 ans, en octobre 2017, elle a quitté l’institution où elle était hébergée. Un homme à barbe blanche est venu la chercher. «Torsten était une sorte de gourou », a confié Rolf Will, le détective, à RTL. Aux parents effondrés, il aurait expliqué, selon les médias allemands, que leur fille était prisonnière d’une « relation sadomasochiste ».

Elle n’a pas été la seule à être sous l’emprise du professeur. Un ancien «élève» des cours de sport de Torsten a raconté comment celui-ci l’avait soumis à son pouvoir. « Il était un très bon entraîneur, a expliqué Nils Konrad, 42 ans, mais il était très manipulateur et directif. » « Il avait plusieurs facettes », a-t-il poursuivi. L’aveuglement et la passion pour les sports de combat ont mené Nils près de l’abîme. Il prend des crédits pour payer son mentor, qui accentue toujours ses pressions et ses menaces. « Quand vous disiez qu’il ne vous restait plus rien, il vous faisait comprendre, de façon assez radicale, que vous deviez chercher encore et que vous deviez obtenir l’argent », a-t-il confié aux médias allemands. Heureusement, sa famille est parvenue à le retenir juste à temps et le sauver du prédateur psychologique. Il s’est aussi souvenu du ton qu’il employait pour parler des femmes « dont la place est aux pieds de leur mari ».

Lorsqu’il emmène Carina avec lui, Torsten vit déjà avec plusieurs femmes. Il les « contrôlait comme un maître », affirme Bild, après ses propres recherches. Le quotidien a recueilli notamment le témoignage d’Alexander Krüger, un ancien logeur du quinquagénaire. En 2017, celui-ci veut louer des écuries et une maison attenante à Wieckenberg, en Basse-Saxe. Il reçoit un appel. « Mon chef est intéressé. Puis-je vous mettre en relation ? », lui demande au téléphone une femme, qui se présente comme « secrétaire ». Il s’agissait de Farina. Ils conviennent d’une visite. Arrivé en Audi, l’homme, qui se dit « psychologue », fait une drôle d’impression au propriétaire. Krüger s’étonne ensuite de ne plus jamais revoir la femme qui l’accompagne ce jour-là. Au contraire, ce sont deux autres femmes qui s’installent dans la ferme. « Elles avaient toujours la tête baissée. Elles étaient toujours habillées en noir, les sourcils peints en noir », a raconté Alexander Krüger, qui vit de l’autre côté de la rue. L’homme «donnait très sèchement des ordres », s’est-il aussi souvenu. « Je n’avais jamais entendu un ton aussi dur », a-t-il dit en se rappelant avoir entendu son locataire réprimander ses compagnes parce que les lampes de l’étable n’avaient pas été correctement nettoyées. Il n’apprécie pas son nouveau locataire. Une querelle sur les chiens des deux maisons tourne à l’altercation. Torsten frappe son propriétaire, qui porte plainte. En 2017, le groupe est expulsé.

Torsten et Kerstin se sont ensuite installés à Berod, en Rhénanie-Palatinat, non loin de Hachenburg. Leurs voisins se souviennent d’un couple bizarre et peu bavard, traversant la rue pour éviter les contacts: «Ils vivaient très isolés», ont-ils raconté. Dans le jardin, l’homme entraîne au tir à l’arc les femmes qui vivent avec lui. À l’intérieur du domicile, l’un des murs est orné d’une vaste fresque: on y voit, selon le récit du Spiegel, une femme agenouillée et soumise devant un homme torse nu. À l’extérieur, la police a saisi plusieurs véhicules: une voiture noire, une camionnette, un quad. Les enquêteurs s’interrogent sur la source des revenus de Torsten, pour expliquer ces acquisitions.

Ce n’est pas la seule question sans réponse. Si le suicide collectif est confirmé, pourquoi Torsten, Kerstin et Farina ont-ils choisi Passau pour passer à l’acte ? Et sinon, que s’est-il passé entre eux pour expliquer leur mort? Qu’est-il arrivé à Gertrud et Carina ? Le groupe comptait-il d’autres membres ? La police a demandé encore « deux à trois semaines » pour faire la lumière sur l’affaire.

 

source : https://www.pressreader.com/france/le-figaro/20190520/textview

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