Les adeptes de sectes religieuses se rebellent et provoquent une désagrégation familiale et sociale. Illustration.

Au quartier Village à Douala, la famille Ikendi vit un drame. Assise à l’entrée d’une modeste maison de quatre pièces, la maîtresse des lieux, veuve, quinquagénaire et mère de trois enfants, se nourrit de larmes et de pleurs. Catherine, sa fille aînée de vingt-quatre ans, fait l’apartheid : depuis environ six mois, elle vit désormais repliée sur elle-même, s’isole et limite ses contacts avec les autres membres de la famille. “Je ne reconnais plus ma fille sur qui j’avais pourtant misé pour nous sauver de la misère. Ce n’est pas l’enfant que j’ai accouché, ce n’est pas la Cathy que j’ai élevée. Où est passée la jeune fille d’hier, insouciante et heureuse de vivre ? Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même, c’est un horrible cauchemar !” se plaint inlassablement veuve Ikendi. A côté d’elle, deux de ses enfants – une fille et un garçon de 13 et 15 ans respectivement – lavent énergiquement à l’eau savonneuse une montagne de vêtements sales.

Catherine, leur sœur aînée, est terrée dans une pièce. Au loin, on entend des cantiques religieux exécutés avec ferveur et dévotion. Après plusieurs appels de sa génitrice, elle s’amène paresseusement. Visiblement contrariée, elle donne l’impression d’obéir malgré elle. “Qu’est-ce qu’il y a, maman ? J’étais dans la présence de Dieu. Je t’ai toujours dit de ne pas me déranger quand je suis en prière !” gronde-t-elle, les mains sur les hanches. Selon sa mère, la jeune fille se trouve presque “toujours dans la présence de Dieu. De jour comme de nuit, Cathy chante les chansons de Dieu. Elle ne fait plus rien d’autre à la maison. A quatre heures du matin, elle nous réveille avec des prières. Souvent, à minuit, elle dit qu’elle chasse les démons et crie fort. Ça dure parfois cinq heures de temps. On ne dort plus en paix; on a plus une seule seconde de repos.”

Endoctrinée par une parente

Tout commence un an plus tôt. M. Ikendi Daniel, boucher au marché central de Douala, décède subitement. Du coup, Mme Ikendi se retrouve seule avec trois enfants à nourrir. L’aînée, Catherine, est étudiante en sciences de gestion dans une institution privée d’enseignement supérieur à Douala : ce qui suppose des dépenses annuelles avoisinant les 600.000 Fcfa. Elle était très attachée à son père et vivait presque dans l’insouciance, son géniteur se chargeant de toutes les questions matérielles. C’est donc avec beaucoup de difficultés qu’elle vit le décès de ce dernier. Elle accumule crises et dépressions. A cause de son veuvage, tout activité lucrative est interdite à sa mère, au moins pour un semestre. De toute façon, cette dernière n’a aucune formation professionnelle. Depuis qu’elle s’est mariée, Mme Ikendi n’avait jamais fait autre chose que de s’occuper de son foyer.
La venue de Jeanne, une lointaine cousine paternelle, est alors considérée comme une manne du ciel. “Jeanne est propriétaire d’une boutique de produits cosmétiques au marché central. Voyant l’état moral de Cathy, elle lui a proposé d’y tenir un rôle de caissière à temps partiel pour sortir de la routine et se libérer de ses pensées moroses”, témoigne la veuve. Ce qu’elle ignorait c’est que la cousine était aussi une fervente adepte de l’église du Christ vainqueur, l’un de ces nombreux mouvements pentecôtistes qui croient que tous les hommes sont des pécheurs qu’il faut délivrer des flammes de l’enfer. “A mon insu, Jeanne s’est mise à prêcher l’évangile à ma petite fille dont le moral était déjà au plus bas. Elle l’a convaincue qu’elle trouvera la paix et l’argent dans son église”, achève-t-elle, larmoyante.

Elle se dit illuminée

La nouvelle croyance de Mlle Ikendi est devenue le centre de toutes ses préoccupations. Finies les sorties et ballades entre copines. “Nous ne sommes plus du même monde. La Bible dit que les mauvaises compagnies corrompent les bonnes mœurs. Avant, j’étais une reine des boîtes de nuit et autres cabarets. Je ne veux plus retourner à cette vie”, se résout-elle. Son expression fait penser que son monde est unique. En effet Cathy a même relégué ses études au second plan. Elle ne va plus à l’école les samedis, n’a plus de temps pour étudier à la maison ; ce qui explique la baisse de ses performances scolaires.
La vie de la jeune fille depuis six mois n’est plus qu’une suite de veillées de prières, de rencontres religieuses, de sorties pour convertir les autres. “Elle maigrit de jour en jour à cause de jeûnes multiples. A ce rythme, ma fille va mourir de faim”, s’inquiète la mère. Pour cette dernière, son échec à l’examen national du brevet de technicien supérieur (Bts) est à craindre. Sauf miracle. Mais cet examen n’est pas une grande préoccupation pour Cathy. Seuls comptent aujourd’hui ses frères en christ, sa famille spirituelle, l’espérance en la vie et au bonheur éternels. Elle se sent illuminée, choisie par Dieu et envoyée par lui pour faire de toutes les nations des disciples… Le reste, tout le reste, n’est plus que rebus et distraction.