Le 24 aout dernier, le corps d’Ataollah Rezvani, marié et père de deux enfants, était retrouvé, une balle dans la tête, dans sa voiture près d’une gare de la ville portuaire de Bandar Abbas, au sud de l’Iran. Peu de temps auparavant, l’homme avait reçu des menaces. Motif ? Comme plusieurs centaines de milliers de ses compatriotes, Ataollah était bahai, religion née au 19e siècle en Iran et qui compterait aujourd’hui entre 5 et 7 millions de fidèles dans le monde. A plusieurs reprises au cours de sa vie, il avait dû subir, comme la plupart de ses correligionnaires, des persécutions en raison de sa foi : renvoyé de l’université, licencié de son travail, menacé par des agents des forces iraniennes… Ces dernières années, des membres du clergé chiite de la ville avaient prononcé des prêches haineux contre les bahais. Le cas d’Atalloah Rezvani est emblématique de la situation des bahais en Iran, pays où ils doivent subir réprobation sociale et persécutions continuelles, et ce pratiquement depuis l’avènement de leur foi il y a un peu plus d’un siècle.

Le bahaisme est un monothéisme qui s’inscrit dans la continuité des grandes traditions religieuses. Il a fait son apparition en 1844 sous l’impulsion d’un jeune marchand de Shiraz, dans le sud de l’ancienne Perse, qui se fait appeler le Bab – ses premiers adeptes s’appelleront d’ailleurs les babis. Dans le contexte de l’époque, ses idées sont plutôt radicales et imprègneront profondément la réforme constitutionnelle de 1906 : stricte égalité homme-femme, unité du genre humain – tout en reconnaissant sa diversité -, insistance sur l’éducation, relativité de la vérité, même religieuse. Le succès est immédiat : des milliers de Persans se convertissent. L’absence de véritable clergé, le rejet des prescriptions alimentaires et l’émancipation des femmes – dispensées du voile islamique, ainsi que l’élection démocratique de neuf représentants pour chaque pays où le bahaisme est présent, suscitent la méfiance d’une partie de la population. Le contrecoup arrive à peine cinq ans plus tard : un pogrom, le premier que subira la communauté, fait 20.000 morts, et le Bab est exécuté en 1850. L’un de ses disciples reprend alors le flambeau, et se fera appeler Baha’u’llah, littéralement « gloire à Dieu », terme qui donnera son nom aux futurs fidèles : les baha’is.

Soupçonnés d’espionner au profit d’Israël

Au terme de près de quarante ans d’exil et de persécutions, Baha’u’llah, qui aura successivement vécu à Bagdad, Istanbul et Andrinople (Edirne en Turquie), s’éteint à Akka, plus connu en France sous le nom de Saint-Jean d’Acre, dans l’actuel Israël, où il est enterré sur le Mont Carmel conformément à son voeu. Le culte baha’i a installé son siège mondial sur une hauteur de la ville de Haïfa, une localisation qui coûte désormais très cher aux baha’is, régulièrement accusés en Iran d’« espionnage au profit d’Israël » ou plus fréquemment d’« atteinte à la sûreté de l’Etat ».

Le Centre mondial baha’i, à Haïfa, en Israël. (Photo : J.V.)
Les baha’is sont estimés à 300.000 en Iran – sur près de 80 millions d’habitants – ce qui fait d’eux la principale minorité non-musulmane du pays. La liste des vexations auxquelles ils sont soumis est sans fin. Contrairement aux chrétiens, aux juifs, et même aux zoroastriens, la religion originelle de l’Iran supplantée par l’islam, les baha’is n’ont aucun statut garanti par la Constitution, parce que leur religion est postérieure à l’islam et que ses premiers adeptes sont nés musulmans, une religion qu’ils ont ensuite reniée. Or, l’apostasie est considéré comme un crime très grave en islam, parfois passible de mort. Ils sont donc considérés comme des « infidèles sans protection », de sorte que leurs mariages, par exemple, ne sont pas reconnus… Leur inscription à l’université est systématiquement refusée au motif que leur dossier est « incomplet », et lorsqu’ils sont identifiés comme baha’is, ils sont exclus de l’université, parfois même à un semestre de leur diplôme.

Surenchère lors des élections

Les élections présidentielles successives, de 2005, 2009 et 2013 ont été l’occasion d’un déferlement de haine à leur encontre, activement relayé par des médias proches du pouvoir, tels que le quotidien Kayhan ou l’agence officielle Iranian Qu’ran News Agency (IQNA) qui place le bahaisme dans le même sac que le satanisme. En 2013, 115 bahais sont toujours détenus en Iran pour des motifs tels que « espionnage » ou « formation d’une secte illégale ». Parmi eux, sept de leurs neuf représentants, emprisonnés depuis 2008 et condamnés à vingt ans de réclusion.

Les baha’is ne trouvent même pas de salut dans la mort. Les pierres tombales leur sont interdites, ce qui les empêche d’identifier leurs défunts. Leurs cimetières, lorsqu’ils ont la chance d’en posséder, sont systématiquement profanés, voire détruits. En 1993, les baha’is ont ainsi vu les bulldozers raser une section entière de leur cimetière de Téhéran pour y permettre la construction d’un centre culturel musulman. Au total, près de 15.000 tombes ont disparu dans l’opération. A intervalles réguliers, des personnalités importantes de la communauté sont envoyées en prison, torturées puis sommairement exécutées, en général pendues. Cela sera le cas en 1992 avec l’exécution d’un homme d’affaires de Téhéran, Bahman Samandari, juste au lendemain de son arrivée dans la prison d’Evin, puis en 1998, avec l’exécution tout aussi brutale d’un autre homme, Ruhu’llah Rawhani.

Un nouveau génocide ?

Les baha’is sont cibles de persécutions depuis le 19e siècle. L’instauration d’un régime théocratique n’a fait qu’empirer les choses, même si la situation s’était déjà dégradée auparavant. Depuis 1978, soit un an avant la Révolution islamique, environ 200 bahais ont été exécutés par le régime, qui les a parfois accusés au début d’être des agents du SAVAK, le service de renseignement du Shah, de sinistre mémoire. L’action de répression la plus spectaculaire a lieu en 1983, quand dix jeunes filles, dont deux mineures, sont exécutées par le régime, avec pour seul crime d’avoir enseigné à des enfants baha’is.

Dévoilé en 1993, tenu secret jusqu’alors, un mémorandum signé de la main même du président de l’époque, Ali Khamenei, décrit en détail les mesures à prendre pour régler « la question baha’ie », une terminologie qui n’est pas sans rappeler celle utilisée par les nazis. Cette analogie n’échappera d’ailleurs pas au New York Times qui titrera sur « les lois de Nuremberg de l’Iran ».

La communauté internationale alarmée

Face à cette menace, la communauté internationale s’est alarmée du sort des baha’is et a, à plusieurs reprises, rappelé l’Iran à l’ordre – la dernière fois en mars 2013 quand un rapporteur de l’ONU a exhorté le pays à « honorer ses engagements » en matière de liberté de culte.

Dans un discours prononcé en 2011, devant le Sénat canadien, Roméo Dallaire, ancien commandant de la force d’intervention de l’ONU au Rwanda, dressait un parallèle avec le génocide dont il avait été témoin en 1994 et estimait que les conditions étaient réunies pour un autre génocide, celui des baha’is, en Iran. Elu en juin dernier, le nouveau président iranien, Hassan Rohani, présenté comme le candidat des modérés et conservateurs, a promis que sa « nouvelle charte des droits humains » ne ferait pas de discriminations sur la base de la religion. Les baha’is attendent toujours de voir.

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source : http://www.fait-religieux.com/en-iran-les-baha-is-une-communaute-en-danger-1
par Julien Vallet | le 20.11.2013 à 08:00