Coincé entre une statuette de la vierge Marie et un tas de cartes postales, le petit Bouddha ivoire semble se demander ce qu’il fait sur ce bureau. De temps à autre, les mains aériennes de Kathya, voyante depuis vingt-cinq ans, viennent effleurer les bibelots dépareillés. «Je suis très croyante et j’ai une grande foi en là-haut, entonne-t-elle, en adressant un regard bienveillant à ses babioles. Logique, puisque je communique avec l’au-delà.» Collées au mur, des icônes «de toutes les religions», des sorcières en suspension et quelques photos de famille complètent la galerie bariolée.

bouche à oreille. C’est dans ce décor, à Agde, dans l’Hérault, que cette ex-Parisienne parée d’un éclatant camaïeu parme, chandail et lèvres assortis, reçoit ses clients. «Des Suisses, des gens de Toulouse, Montpellier, Perpignan, Paris, Lyon», venus de loin pour entendre ses prédictions. Et ce, grâce au seul bouche à oreille. «Pas besoin de publicité quand on travaille honnêtement», lance-t-elle, fière de son carnet de rendez-vous déjà rempli pour les trois prochaines semaines. L’hiver, pendant les fêtes, c’est un peu calme. Les gens consomment et ne pensent pas à l’avenir. Mais, dès le 1er janvier, la demande est très forte. Tout le monde veut savoir ce qui va se passer pendant l’année entière.» Posés sur un carré de velours griffé d’un énigmatique logo, «qui n’a pas de signification particulière, si ce n’est qu’il vient d’un magasin ésotérique», deux jeux de 52 cartes de Belline attendent le chaland. Ils serviront à «faire un général», explique la voyante, en les éparpillant sur la nappe. Soit, une voyance non orientée par des questions. Bonheur, passions, nativité, infortune, les symboles se dévoilent, puis disparaissent sous la panthère noire, le paon, la main de Fatima et le soleil d’un autre tarot, celui de l’oracle d’Indira. «Je ne suis ni astrologue, ni cartomancienne. Je ne sais pas lire ces cartes, mais je les ressens, selon la personne en face de toi», précise Kathya. Des «flashs» facturés 60 euros la consultation de 45 minutes.

Salle de jeu. Sa clientèle de ce début d’année ? Des cœurs brisés, des chefs d’entreprise stressés, des parents inquiets et des curieux en tout genre. «Les sentiments, surtout, et les questions professionnelles restent les principales préoccupations, poursuit-elle. Certains veulent savoir si un projet immobilier ou un investissement va marcher, d’autres si leur conjoint va revenir ou si leur histoire d’amour va tenir bon. «Parfois, le couple vient, chacun de son côté, sans se le dire. Là il faut faire très attention à ce que l’on dit», s’amuse la voyante, qui égrène les histoires de bon cœur. Comme celle de cet entrepreneur qui s’est entêté à construire une salle de jeu qui a tourné au fiasco, alors qu’elle n’avait «pas senti le projet». Ou ce commerçant, dont l’affaire ne marche pas et qui lui demande comment faire venir de la clientèle. Et cette famille fauchée, obligée de vendre sa maison, qui «veut savoir si la situation va s’améliorer». Un cas loin d’être isolé. Car, «depuis une bonne année, les gens sont de plus en plus nombreux à venir pour des problèmes financiers, note Kathya. Ils n’y arrivent plus, ils ont peur de perdre leur boulot ou de ne pas en trouver. Et puis, ils sont angoissés par les catastrophes naturelles, la crise, la fin du monde».

Cette détresse s’exprime aussi dans le cabinet de Yann Lecoq, voyant du XIe arrondissement de Paris. Et plus encore en cette période de l’année. «Le moment est difficile», note le quadra soigné, un brin pincé dans son pull en laine marine, qui exerce chez lui, dans une pièce «sans bling bling», aux murs blancs et au canapé vert. «L’arrivée de la nouvelle année peut être très lourde, car les valeurs de Noël sont liées à l’épuisement et au bilan», commente-t-il, penché sur une large feuille blanche gribouillée de lignes et de cercles. Des dessins qu’il réalise en «écriture automatique», face à ses clients, puis traduit, selon son jargon alambiqué, en «parenthèses de destinée», «fonctionnalités» ou en «valeurs». C’est en ces termes qu’il répond aux demandes aussi variées que précises de ses clients. «On me consulte pour savoir quel cheval va passer la ligne d’arrivée en premier, quel marché il faut investir, pour un choix de métier, de couple, de voyage», raconte le voyant qui note quelques différences selon le sexe des consultants. «Pour les femmes, je fais partie du paquet normal, avec le comptable, le conseiller juridique, le couturier, le coiffeur. Par contre, quand les hommes m’appellent, il vont très mal. Ils ont une pudeur et trouvent souvent un prétexte d’appel professionnel pour pouvoir aborder une valeur sentimentale, familiale ou paternelle», analyse-t-il.

Issu d’une famille de voyants «qui ne sait faire que ça», Yann Lecoq se présente comme un «outil d’appui». Mais à 100 euros les 45 minutes de consultation, cette «aide» n’est pas accessible à toutes les bourses. Ses clients ? Des gens «plutôt aisés», qui viennent le voir «après un choc ou pour faire un état des lieux, puis reviennent pour des décisions professionnelles ou des choses plus humaines», poursuit-il, évoquant, pêle-mêle, un basketteur en reconversion, un producteur, un homme politique, des gens du show-biz. Autre option, la consultation par téléphone, «davantage plébiscitée par les femmes». Son coût est de 90 euros pour 45 minutes ou 3,5 euros la minute en passant par la plateforme pour laquelle il travaille, un «grand supermarché de la voyance qui s’occupe de la publicité et de la mise en relation». Une pratique qu’il plébiscite pour l’«instantanéité et la liberté» qu’elle offre, mais qui ne convainc pas sa consœur d’Agde qui a «horreur de faire des voyances par téléphone», sauf quand elle connaît les gens ou si elle dispose de photos. «Sinon, c’est de la fumisterie.»

«Accros». De son côté, Kathya se dit aussi médium et guérisseuse, elle «soigne par magnétisme, exorcise, enlève les verrues, sans faire de magie noire». Des «travaux» qu’elle pratique dans une alcôve «protégée», accolée à son bureau. C’est dans ce sanctuaire où le soleil n’entre pas, qu’elle garde sa boule de cristal, chasse le mauvais œil et veille les photos de ses clients, glissées sous des petites pyramides. Mais si leurs pratiques divergent, les deux voyants s’accordent sur un point : la détresse humaine qui passe par leur cabinet. «Nous sommes confrontés à beaucoup d’affect, confie Yann Lecoq. Le risque c’est d’appartenir à nos consultants.» «Il y a pas mal de gens malheureux, ajoute Kathya. Parfois, toute la journée, des personnes pleurent devant nous. Il faut être prudents. Certaines, un peu perdues, peuvent devenir accros à la voyance.» Ou à leur voyante. Comme cette dame de Saint-Pierre-et-Miquelon qu’elle n’a jamais vue, mais qui l’appelle souvent, car le simple fait «d’entendre [sa]voix, lui permet d’aller mieux».

source :

http://www.liberation.fr/societe/2015/01/01/en-periode-de-crise-tous-les-voyants-sont-au-vert_1172762

par Amandine CAILHOL Envoyée spéciale à Agde