Les responsables de l’Église de Pentecôte-France dans leur temple de Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), un ancien entrepôt de 6000 m2 acquis en 2005 mais où le culte est suspendu depuis plus d’un an par arrêté de la mairie.
Des guirlandes pendent tristement au mur. Face à l’estrade désertée, la poussière s’accumule sur les instruments de musique et les 200 fauteuils aussi flambant neufs que vides. Au centre de la salle, les responsables de l’Église de Pentecôte-France, une Église évangélique ghanéenne installée en France en 1991, délibèrent avec animation et prient « pour que le Seigneur ouvre l’avenir ».
En premier lieu, « l’avenir » de ces locaux de 6 000 mètres carrés, un ancien entrepôt acquis en 2005 dans la zone industrielle de Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), où le culte est suspendu depuis plus d’un an par arrêté de la mairie. Une décision immédiatement consécutive au drame de Stains : le 8 avril 2012, l’effondrement d’un plancher dans une Église évangélique locale avait provoqué la mort de deux personnes dont une fillette. En cause : le non-respect des normes de sécurité.
Comme de nombreuses autres municipalités, la mairie de Pierrefitte s’était alors inquiétée de l’état du local de la rue Jules-Vallès et avait dépêché une commission de sécurité. Des portes de secours trop étroites, pas d’alarme incendie et un bloc de secours qui ne s’allumait pas : le verdict était tombé dans la foulée.
« LA SITUATION DEVIENT CRITIQUE POUR NOUS »
Depuis un an, l’assemblée a rejoint un autre local, rue de la Briche, à Saint-Denis, que l’Église ghanéenne se partage avec deux autres dénominations. « C’est trop loin, difficile d’accès – alors qu’à Pierrefitte on a le tram –, et on n’a pas assez de temps pour prier et ranger notre matériel car il faut laisser la place à l’Église suivante », regrette Mark Awuku, 20 ans, le fils d’un des pasteurs.
Entre-temps, une des salles de l’entrepôt de Pierrefitte a été remise aux normes, mais la mairie n’a toujours pas autorisé sa réouverture au public. Elle projette même de préempter le terrain en vue de réaménager la zone industrielle.
« La situation devient critique pour nous, explique Jonathan Akpotosu, 55 ans, administrateur à titre bénévole de l’Église, et par ailleurs réceptionniste dans un hôtel. En un an, nous avons déjà perdu une centaine de fidèles, évaporés dans la nature. Notre trésorerie souffre car c’est autant d’argent qui ne rentre pas. Nos membres sont énervés car nous avons acheté ce local pour 930 000 € grâce à leurs offrandes… et nous continuons à rembourser chaque mois 5 000 €, sans compter les charges et les impôts ! »
« LA SITUATION VARIE VRAIMENT EN FONCTION DES MAIRES ET DES PASTEURS »
Le casse-tête des pentecôtistes ghanéens, membres en probation de la Fédération protestante de France (FPF), illustre bien les difficultés que rencontrent les Églises évangéliques, spécialement celles d’origine africaine ou antillaise, pour trouver des lieux de culte adaptés et aux normes. En particulier en région parisienne, en raison des coûts et de la pénurie immobilière. « La situation de grande précarité de ces Églises n’a pas vraiment évolué : des “Stains”, il pourrait y en avoir encore un par mois », s’inquiète un fin connaisseur du terrain, même si, depuis l’accident, une trentaine de lieux de culte ont été fermés comme à Pierrefitte.
La question de la volonté des municipalités fait souvent débat, mais la difficulté est avant tout matérielle, estime Georges Masse, responsable immobilier de la Fondation du protestantisme qui acquiert des locaux et les loue à des Églises en quête de lieu de culte : « Nous venons d’obtenir un permis de construire à Montreuil pour une Église d’origine africaine de Saint-Denis, en recherche depuis cinq ans. L’adjoint au maire de la ville avait refusé parce que le parking ne comptait que 20 places pour 200 personnes au culte le dimanche. Les Africains disent qu’on leur en veut, mais c’est tout simplement une question de réglementation ! D’une manière générale, ce type d’équipement cultuel n’est pas prévu dans les plans d’urbanisme. »
Beaucoup d’Églises évangéliques indépendantes s’adossent au Cnef ou à la FPF dans l’espoir d’obtenir un lieu de culte grâce à cette caution mais cela ne suffit pas toujours… « La situation varie vraiment en fonction des maires et des pasteurs », constate Marianne Guéroult, en charge du projet Mosaïc conçu par la FPF pour tisser des liens avec les Églises multiethniques.
« QUE LES AUTORITÉS COMPRENNENT L’IMPORTANCE DU TRAVAIL SOCIAL QUE NOUS MENONS »
La présence de l’islam pèse aussi sur les décisions : « Pour une mairie de banlieue de gauche, le poids électoral des musulmans n’est pas négligeable, alors que les fidèles évangéliques qui viennent de loin pour assister au culte n’intéressent pas forcément. Mais dans d’autres régions où les maires ont peur de l’islam, la balance va pencher de leur côté », avance Sébastien Fath, sociologue au CNRS.
Si les responsables font état de tracasseries administratives abusives dans certains cas, ils ne taisent pas non plus que certaines Églises méconnaissent les règles de sécurité. « Les risques mis en lumière par Stains concernent surtout une catégorie minoritaire d’Églises évangéliques, issues de l’immigration, récemment créées, indépendantes, analyse Daniel Liechti, vice-président du Cnef. Elles ne comprennent pas trop pourquoi on est à ce point à cheval sur les conditions matérielles alors que c’est un lieu spirituel ! »
À Pierrefitte, les responsables de l’Église de Pentecôte-France ont finalement décidé de ne pas vendre tout de suite le terrain, mais d’attendre la décision de la mairie, espérant obtenir encore pour quelques années la jouissance du local. « Nous aimerions que les autorités comprennent l’importance du travail social que nous menons, souligne Samuel Obeng Eshu, le pasteur chef de l’Église. Plutôt que de se droguer, les jeunes trouvent ici un lieu où ils sont encouragés à devenir des citoyens responsables. »
source : http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/En-region-parisienne-les-evangeliques-cherchent-toujours-un-toit-2014-01-30-1098702
Céline Hoyeau