Nous avons visionné avec deux professionnels, éducateurs spécialisés et représentants syndicaux Sud santé sociaux, le reportage diffusé sur M6, Enfance en danger. Retour sur un domaine méconnu, difficile, qui nécessite des moyens urgents, notamment de soins, pour que les enfants retirés de leurs familles et placés, ne soient justement plus en danger.
Fabienne Dziarnowski, éducatrice petite enfance, sud santé sociaux, et Eric Forandi, éducateur spécialisé, Sud santé sociaux commentent le milieu de la protection de l’enfance.   

Le préalable : des enfants déstructurés

Retirés de leurs familles et placés, les enfants de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) ont été victimes de parents dits «  défaillants”, généralement en proie à des violences verbales, physiques, psychologiques, parfois même sexuelles. « Ce ne sont pas des jeunes ordinaires, ils arrivent sans aucun cadre éducatif, en grande souffrance affective. Beaucoup souffrent de troubles importants qu’il faut identifier, suivi d’un programme de soins dans des structures adaptées. Nous ne gérons pas une colonie de vacances.”

Manque de structures et soins adaptés

“Le rapport du défenseur des droits a souligné le nombre toujours plus important de jeunes sujets à des troubles du comportement. Les structures adaptées font défaut ou sont saturées. En pouponnière, nous voyons de plus en plus de jeunes bébés victimes du syndrome du sevrage (alcool ou drogue). Or, ce n’est plus du ressort de l’ASE, du Centre départemental de l’enfance (CDE) ou d’un éducateur. Mais de l’Agence régionale de santé (ARS). Le secrétaire d’État, Adrien Taquet, a promis 80 M€, dont 30 M€ pour un bilan santé physique et psychique quand un enfant arrive à l’ASE. Il était temps. On espère que ces 30 M€ permettront à l’ARS de renforcer ces dispositifs. C’est indispensable. Les difficultés et réalités de terrain ont été trop longtemps déconsidérées. Ne pas soigner les enfants finit par rendre malades ceux qui s’en occupent et mettre en danger leur entourage.”

Pas de miracles, des petites équipes

Le reportage, diffusé sur M6 dimanche soir, a montré un centre dans le 93 à la dérive. Un autre, à Oberlin (Bas-Rhin) presque modèle. Une différence notoire : un éducateur pour douze jeunes en Seine-Saint-Denis. Un pour cinq jeunes en Alsace. « Tout est dit », commentent en se regardant Fabienne Dziarnowski et Eric Forandi, devant le petit écran. « La dynamique de groupe est complexe, poursuit Eric Forandi. Généralement, c’est un éducateur pour douze jeunes. Mais des groupes de douze montent régulièrement à 18.” Avec l’accueil des mineurs étrangers, en Moselle, les chiffres explosent et les complications (un euphémisme) aussi. “On est trop dans le gardiennage, pas dans l’attention, ni la personnalisation. »

La réalité ?

« Fugue, violence, prostitution, on est confronté à tout ça. » Bien souvent une reproduction de ce que les jeunes ont vu ou vécu dans leurs familles. C’est pour cela qu’ils sont en foyer. “Il faut éviter à l’enfant de reproduire ce qu’il a vécu. Or, la violence subie et reproduite par les enfants (tous âges confondus) a trop longtemps été négligée.” “Les jeunes ne reprennent jamais le pouvoir du jour au lendemain. En Moselle, on a connu des situations difficiles mais jamais de ce style. Même si le risque existe. La politique du CD 57 est d’héberger le moins d’ados possible. La vie en collectivité n’est pas adaptée. Un suivi en milieu ouvert est souvent préférable. »

“Reste que beaucoup de choses vont bien et aident les enfants à s’en sortir. Des anciens reviennent parfois et considèrent avoir été aidés.”

Non-qualification et recrutement ?

Un recrutement express comme vécu dans le reportage, a priori, pas le genre du CDE 57. « Par contre, le défaut de qualification est une réalité, alors qu’il faut des compétences, de l’expérience, une formation. Une équipe éducative doit savoir travailler sur la cohésion. Nous avons des réunions d’équipe où nous parlons de chaque enfant où nous essayons de mettre en place un projet pour le jeune. C’est compliqué d’encadrer, de booster sans brusquer. « Si on en demande trop, ça peut partir en live. » Le moindre soupçon de maltraitance est aussitôt signalé. Quand les enfants deviennent trop difficiles, on se passe le relais. C’est aussi pour cela que l’encadrement est important.”

Le prix à payer

Oberlin, un centre modèle comparé aux autres exemples du reportage, a fait le choix d’offrir de la médiation animale aux jeunes, du yoga, de la méditation, etc. « On manque de soins mais aussi d’activités de loisirs. En Moselle, des liens ont été tissés avec les clubs sportifs, mais lorsqu’on imagine des sorties, propose d’autres activités, la question des moyens bloque. » Oberlin, c’est 200€ le prix de journée par enfant. En Moselle, c’est 130€. Le différentiel est là. « Chaque département fixe son prix de journée. Les logiques gestionnaires, la mise en concurrence des associations de protection de l’enfance vers le moins-disant, la course aux prix de journée moins élevé, la déqualification, le manque de personnel dans des établissements saturés ne sont plus acceptables. »

Une agence nationale de la protection de l’enfance ?

Une agence nationale de la protection de l’enfance, Adrien Taquet secrétaire d’État chargé de ce dossier en parle. Les professionnels l’appellent de tous leurs vœux. ” Chaque Département applique sa propre politique, fixe ses propres prix de journées et s’autocontrôle”, constatent Fabienne Dziarnowski et Eric Forandi. Plus incroyable, il n’existe aucune réglementation fixant les règles d’accueil en foyer. “Seules les pouponnières (0-3 ans) bénéficient d’une réglementation imposant un éducateur pour six enfants. Au-delà, aucune règle alors que n’importe quel centre de loisirs a une réglementation très stricte. Il faut absolument un organisme de contrôle extérieur.”

source : https://www.estrepublicain.fr/actualite/2020/01/23/enfance-en-danger-tellement-complique