ÉPISODE 1. Les catholiques de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X sont de plus en plus visibles. Ces traditionalistes veulent évangéliser au maximum et cela fonctionne. Enquête.

La Fraternité Saint-Pie X revendique 35 000 fidèles en France. Le prieuré de Nantes est un des bastions de ce mouvement intégriste.
La Fraternité Saint-Pie X revendique 35 000 fidèles en France. Le prieuré de Nantes est un
des bastions de ce mouvement intégriste. (©Raphaël Tual / Enquêtes d’actu)

Les rangs des traditionalistes de la Fraternité Saint-Pie X (FSSPX) ne cessent de grossir. Les catholiques ou convertis sont attirés par la solennité, la ferveur et le respect du sacré que proposent leurs prêtres. Ces radicaux, aussi appelés intégristes, fâchés avec le Vatican, pratiquent la messe en latin, s’opposent à l’œcuménisme et au dialogue inter-religieux.

Les écoles de ce mouvement, réputées pour leur excellence, participent à cette attractivité. L’enseignement prodigué est parfois contraire aux valeurs de la République. Nous nous sommes procuré des rapports d’inspection de l’Éducation nationale qui pointent des aspects inquiétants. D’anciens élèves de la Fraternité dénoncent l’endoctrinement subi en faveur des idéologies d’extrême droite. Enquête sur cette communauté qui célébrera le 25 mars 2024, les 33 ans de la mort de son fondateur Mgr Marcel Lefebvre.

Ils « tolèrent » les autres religions

Ils sont environ 400 fidèles à se réunir en centre-ville de Nantes (Loire-Atlantique), ce dimanche 18 février 2024, devant l’église Notre-Dame-de-Bon-Port. Ils marchent sur plus d’un kilomètre pour témoigner publiquement de leur foi. Un chemin de Croix qui participe d’une « démarche d’évangélisation », assume le responsable du prieuré de Nantes, l’abbé Bruno France.

“On a un message clair qui vient de Dieu. L’Église moderne n’ose pas parler de vérité. À force d’être dans le respect de la personne, on en oublie le respect de Jésus Christ.” Abbé Bruno France,responsable du prieuré de Nantes

La FSSPX possède de nombreux lieux de culte (églises et chapelles) en France, financés par les fidèles.
La FSSPX possède de nombreux lieux de culte (églises et chapelles)
en France, financés par les fidèles. (©RT / Enquêtes d’actu)

Concernant les musulmans, l’abbé Bruno France les considère à plusieurs reprises durant notre échange comme « [ses] frères », mais estime que « l’islam peut être un obstacle pour qu’ils aillent au ciel ». C’est « par charité » qu’il les invite à « découvrir le message chrétien » et à « se convertir ».

“Nous ne sommes pas en guerre contre les autres religions, mais nous ne sommes pas pour la liberté religieuse, nous sommes pour la tolérance, au sens originel du terme. On considère qu’il y a quelque chose qui ne va pas, qu’il y a le mal, mais on attend. On ne va pas tuer tous les musulmans (rires). Que ce soit les musulmans ou les autres. On croit à une vérité, révélée par Dieu.” abbé Bruno France,responsable du prieuré de Nantes.

35 000 fidèles et 200 prêtres

La communauté de Nantes est l’une des plus actives et visibles du pays. Avec Lanvallay (Côtes-d’Armor), c’est un bastion de la Fraternité Saint-Pie X avec ses 1 300 fidèles. Au niveau national, le mouvement revendique 35 000 fidèles et 200 prêtres.

 Lors de la célébration de deux messes du matin de la procession nantaise, l’église Saint-Émilien est bondée. La bâtisse située dans le centre-ville de Nantes est sortie de terre en 2019, grâce aux dons des fidèles. L’église de Château-Thébaud, à 15 km plus au sud, a été construite deux ans auparavant.

Qu’est-ce que la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX) ?

Il s’agit d’une communauté de catholiques constituée par Mgr Marcel Lefebvre (1905-1991) en novembre 1970. Ces catholiques reconnaissent le pape, mais refusent la réforme du Concile Vatican II (1962-1965), qu’ils considèrent comme trop progressiste. « La seule attitude de fidélité à l’Église et à la doctrine catholique, pour notre salut, est le refus catégorique d’acceptation de la Réforme », expliquait Mgr Lefebvre qui a été frappé d’une « suspens a divinis » en juin 1976, par le pape Paul VI. Depuis 1988, la FSSPX est en état de scission avec le Vatican même si depuis quelques années, un dialogue semble se restaurer progressivement. La FSSPX comptait 236 prêtres dans le monde en 1990. Ils sont aujourd’hui 720, dont près de 200 en France.

« On explose » depuis le Covid

« On est en pleine croissance, on explose. On a dû construire, parce qu’on avait des choses trop vieilles et parce que le nombre de fidèles augmentait. On voit effectivement une dynamique, explique l’abbé Bruno France. La croissance était là avant le Covid, mais incontestablement, la pandémie a accéléré les choses. »

« Ils n’ont plus peur et ils vont au-devant des gens, constate Joël Bigorgne, journaliste à Ouest-France qui prépare un livre sur les traditionalistes de l’Ouest du pays. Le courant intégriste n’a jamais été aussi fort qu’aujourd’hui. La Fraternité Saint-Pie X a bien survécu à la mort de Mgr Lefebvre et s’est même amplifiée. Elle s’est dédiabolisée. »

Une « fan de Johnny » chez les tradis

« On répond à une recherche du sacré », pense Delphine, fidèle du prieuré de Nantes. Marie-Pierre, une fidèle du prieuré de Rouen (Seine-Maritime), a rejoint la Fraternité Saint-Pie X en 2023 seulement : « On dit de nous que nous sommes ternes, mais je n’ai jamais été aussi heureuse que depuis que j’ai rejoint la Fraternité, clame-t-elle avec un large sourire. Mes proches pensaient que je ne pourrais pas supporter la Fraternité Saint-Pie X, parce que je suis un peu rock’n’roll. Je suis une fan de Johnny. »

Cette catholique recherchait « quelque chose de plus pur » que chez les « modernos », comme elle les appelle, où « on ne respecte plus rien ».

Le prieuré de Rouen (Seine-Maritime) compte entre 80 et 200 fidèles.
Le prieuré de Rouen (Seine-Maritime) compte entre
80 et 200 fidèles. (©RT / Enquêtes d’actu)

Pour l’abbé Bruno France, c’est « le pape François qui fait que les gens sont perdus ».

“On a l’impression que sa pratique va en opposition avec la doctrine catholique. C’est le cas avec la communion aux divorcés remariés ; on ne peut pas la donner à quelqu’un qui est en état de péché mortel. Même chose avec la bénédiction des homosexuels ; on ne va pas bénir une relation condamnée dans la Bible”. Abbé Bruno France

D’ailleurs, ce prieur dit observer « un mouvement conservateur chez les jeunes prêtres du courant moderniste ; beaucoup mettent la soutane maintenant ». Selon lui, le nombre de catholiques s’effondre depuis la réforme Vatican II et « les jeunes prêtres ne se sentent pas en lien avec Dieu ». « En France, 20 à 25 % des prêtres ordonnés le sont exclusivement pour la messe en latin. Et les autres ne sont pas contre et aimeraient bien. Il y a un mouvement inverse, par rapport aux années 1970 », se réjouit l’abbé nantais.

« Dans ma commune natale, le mardi, le mercredi et le jeudi, des prêtres diocésains disent depuis quelques mois des messes en latin, et je fais le lien avec la chapelle Saint-Pie X juste à côté qui est pleine comme un œuf. Je pense qu’il y a une contre-offensive de l’église catholique qui ne peut pas rester immobile face à cette lame de fond », observe Joël Bigorgne, journaliste.

« Une mission de croisade »

Dès leur plus jeune âge, les enfants sont enjoints à être de bons « missionnaires ». « On est presque dans une mission de croisade. On doit montrer l’exemple pour attirer et convertir les gens », nous explique Valentine*, qui a fait toute sa scolarité dans des écoles de la Fraternité, notamment chez les Dominicaines, dans la région de Poitiers et dans les Côtes-d’Armor.

Les enfants sont nombreux dans la procession de Nantes et dans les messes dans lesquels nous nous sommes rendus.
Les enfants sont nombreux dans la procession de Nantes
et dans les messes. (©RT / Enquêtes d’actu)

Thérèse*, une ancienne fidèle d’une trentaine d’années, a parfaitement en mémoire ses années au cours Saint-Dominique en Bourgogne : « Je me souviens d’un prêtre qui nous disait que sur notre front était inscrit le nombre de personnes à convertir. Il nous pointait du doigt et disait : ‘Toi, tu en as 1 500 ; toi, 350, etc.’. »

Gwendoline, la trentaine également, effectuait son aventure missionnaire au sein du Mouvement de la jeunesse catholique de France (MJCF), une des branches de la FSSPX. « On était dans un esprit de conversion. C’est-à-dire que nous recrutions des gens, surnommés alors « les nouveaux », certains n’étaient pas du tout catholiques et notre mission consistait à les convertir. On avait tous des tactiques. Nous faisions des petites réunions avec ces personnes qui ne savaient pas qui nous étions, on essayait de les convaincre et de les faire ainsi adhérer à la Fraternité Saint-Pie X d’une manière assez insidieuse.

À l’école, « le Big-bang et les dinosaures n’existent pas »

De la classe préparatoire (CP) à l’université, les membres de la FSSPX peuvent vivre en vase clos des années durant, puisque le mouvement possède 59 écoles hors contrat et un établissement d’études supérieures, l’institut Saint-Pie X à Paris.

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Ce sont des écoles où « le niveau scolaire est très bon », souligne Valentine, ancienne élève du cours Saint-Anne de Kernabat (Côtes-d’Armor). Les classes bénéficient d’effectifs réduits, l’écriture à la plume avec l’encrier est obligatoire. Le grec et le latin sont imposés. Pour les langues vivantes, les élèves de collège et lycée doivent se contenter de l’anglais et de l’espagnol. L’éducation physique et sportive (EPS) est peu pratiquée et la natation est absente des programmes. Il n’y a pas d’éducation aux médias et aux outils numériques. En sciences de la vie et de la Terre, la reproduction humaine et l’éducation sexuelle sont prohibées.

« On a des cours de philo qui sont axés sur Saint Thomas d’Aquin, donc qui n’ont rien à voir avec des cours de philo du programme normal de l’Éducation nationale, témoigne Valentine. On a un programme d’histoire-géo qui occulte totalement la préhistoire. Bien sûr, on s’intéresse à l’existence d’Adam et Evele Big-bang et les dinosaures n’existent pas. Tout commence avec les premiers chrétiens. On n’étudie pas du tout les autres cultures ou les autres religions mis à part la civilisation Gréco-romaine dans son aspect fondement du christianisme. »

Ce que révèlent les rapports d’inspection

Nous nous sommes procuré auprès du Comité national d’action laïque (Cnal) qui a enquêté sur les écoles hors contrat, les rapports d’inspection de l’Éducation nationale de 14 écoles régies par la FSSPX. Ces contrôles effectués entre 2018 et 2020, pointent des aspects positifs, comme dans cet établissement où « l’enseignement qui y est dispensé est conforme aux normes minimales de connaissances requises et permet aux élèves d’élever leur niveau de formation ». Dans une autre école, les inspecteurs indiquent que « les effectifs réduits favorisent un climat de classe serein » et que « les élèves sont appliqués et attentifs ».

Mais certaines remarques des inspecteurs et inspectrices de l’Éducation nationale laissent plus sceptique. « Il n’y a pas un seul rapport qui ne soit pas inquiétant. Le fonctionnement de ces écoles est très proche de celles de Steiner, avec un fort endoctrinement », s’alarme Stéphanie de Vanssay conseillère nationale à Unsa-Éducation, militante au Cnal.

Des extraits des rapports d'inspection de l'Éducation nationale.
Des extraits des rapports d’inspection de l’Éducation nationale.
(© montage Enquêtes d’actu)

« Conception potentiellement raciste »

Un rapport souligne « le caractère particulièrement suranné des supports écrits […]. Les ouvrages choisis ne peuvent raisonnablement être tenus comme susceptibles de favoriser la compréhension par des enfants du monde contemporain dans lequel ils vivent ».

L’acquisition et le partage des valeurs de la République, la construction d’une culture civique sont évincés au profit de la construction d’une culture religieuse.

Extrait d’un rapport d’inspection de l’Éducation nationale

Un autre rapport s’inquiète du fait que « le support de géographie porte une vision marquée par une représentation du monde par « races » humaines (Noirs, Blancs…), qui pose un souci majeur de conception erronée scientifiquement et potentiellement raciste ou a minima racialiste ».

Pour Marie-Laure Tirelle, secrétaire générale du Cnal, « les établissements de la FSSPX ne respectent pas le cadre dans lequel ils s’inscrivent ; le code de l’Éducation indique que les enseignements doivent transmettre les valeurs de la République et permettre la liberté de conscience, même pour les écoles hors contrat ».

« J’hallucine de relire mes livres d’histoire, parce qu’on ne parle pas de la Shoah, mais de Pétain qui était un héros. Tous les dictateurs d’extrême droite étaient des héros. Hitler, ce n’était pas si mauvais et De Gaulle était présenté comme le grand méchant qui a trahi la France », rage Thérèse qui a conservé ses livres de collège.

Un des rapports de l’Éducation nationale note d’ailleurs à l’issue d’une inspection que « le général De Gaulle n’est pas une figure historique à retenir dans ce manuel […] » et que « le rôle de Vichy dans l’extermination des juifs est mis sous silence, et ce génocide n’est d’ailleurs pas mentionné dans le traitement de la Seconde Guerre mondiale ». Dans un cahier scolaire que nous nous sommes procuré, il est demandé aux élèves de faire une explication de texte à partir d’un extrait des Cadets de l’Alcazar d’Henri Massis et de Robert Brasillach, qui magnifie la défense de l’Alcazar de Tolède par les forces nationalistes de Franco.

Gwendoline, qui est diplômée de l’institut Saint-Pie X à Paris, a suivi la « formation des maîtres » de cette université puisqu’elle se destinait à devenir enseignante. Elle se souvient d’un module en Licence intitulé « la Croix et le Croissant » où « l’islam était présenté comme un fléau ».

Extraits de cours délivrés à l'institut Saint-Pie X.
Extraits de cours délivrés à l’institut Saint-Pie X. (©montage Enquêtes d’actu)

Une proximité idéologique avec l’extrême droite

Quand on s’intéresse à la FSSPX, la figure de Louis XVI n’est jamais loin. D’ailleurs, chaque 21 janvier, jour de sa décapitation, une messe se tient dans toutes leurs églises pour le repos de son âme.

« Il y a une détestation de la République. Les fidèles de la Fraternité ne se remettent pas de la mort du roi », selon Valentine, qui a coupé les relations depuis quelques années avec ses proches. Elle se souvient que dans les mouvances de jeunes et les associations de la FSSPX, « beaucoup d’étudiants étaient dans des groupes fachos, d’extrême droite, dans un esprit de conversion ».

Des livres sur la Révolution et le Roi Louis XVI vendus lors d'une braderie organisée au prieuré de Rouen.
Des livres sur la Révolution et les rois Louis XV et XVI, notamment, vendus
lors d’une braderie organisée au prieuré de Rouen. (©RT / Enquêtes d’actu)

« Tout le monde ou presque vote extrême droite, nous dit Thérèse, ancienne fidèle d’une trentaine d’années. Une fois, j’ai donné procuration à ma mère et elle a voté extrême droite alors que je ne voulais pas. Mon père avait pour livres de chevet les bouquins du parti Reconquête d’Éric Zemmour et de Philippe de Villiers. C’est un groupe xénophobe, porté sur les valeurs traditionnelles, où Poutine est vu comme un héros. »

« Il faudrait une république chrétienne »

L’abbé Bruno France s’explique sur cette détestation de la République française qui est vue comme « une République anti-chrétienne » : « On s’est fait prendre nos églises en 1789, on s’est fait reprendre nos églises en 1905. C’est vrai que les rois de France ont toujours été des alliés de l’Église, mais il y a énormément de Républiques ou démocraties qui respectent l’Église. Roi ou pas roi, ce n’est pas l’essentiel. Il faudrait une république chrétienne. »

*Les prénoms ont été modifiés.

source :Par Raphaël TualPublié le  https://actu.fr/societe