Chaque année, des signalements dénoncent les dérives sectaires de distributeurs de compléments alimentaires Herbalife. Faut-il se méfier de cette société en plein essor en France ?

Aux quatre coins du pays, des clubs de nutrition fleurissent. En plus de proposer des cours de fitness et de dispenser des conseils de bien-être, les coaches à la tête de ces structures vendent des produits Herbalife nutrition.

L’implantation de ces coaches distributeurs s’accélère en France. Ils sont aujourd’hui plus de 5 500 revendeurs des produits « naturels » de cette marque créée en 1981 par un certain Mark Hugues. Leur nombre a triplé depuis 2015, tout comme le chiffre d’affaires de la filiale française d’Herbalife.

Cette société, cotée à la bourse de New York, est partenaire de la Fédération française de volley-ball depuis 2017 et accompagne l’équipe féminine de l’Olympique lyonnais. Le tout en échange de visibilité marketing. L’année 2021 a été une année record en France, avec près de 90 millions d’euros de chiffre d’affaires réalisé. « Nous continuons de constater de solides résultats en 2023 et sommes confiants dans une croissance continue dans les années à venir », indique Herbalife à Enquêtes d’actu.

Nous avons enquêté sur les liens de cette entreprise de marketing relationnel avec la religion, sur les dérives possibles de son fonctionnement et sur ce qui la différencie du système économique dit « pyramidal » interdit en France. D’anciens distributeurs considèrent Herbalife comme une secte, Bercy demande aux Français de faire attention et la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) évoque sans détour son « inquiétude ».

« Je leur fais découvrir les produits à la fin de la séance » Laure, 23 ans, s’est installée avec Romain, 24 ans, près de Dinan (Côte-d’Armor). Ensemble, ils proposent une séance de sport par semaine. Laure profite de ce rendez-vous gratuit pour faire découvrir aux participants « les produits à la fin de la séance ». En parallèle, le couple est en train de créer une association de running « Fit & run ». Avec une cotisation à 25 euros par an, « on a déjà une trentaine d’adhérents », nous confie la jeune femme qui a déjà fait vivre le concept à Caen, Lorient et Rennes. À Rennes, une personne sur quatre achetait mes produits Herbalife, ça marchait très bien.

Depuis plus de 40 ans, Herbalife a choisi comme modalité de vente des réseaux de distributeurs indépendants qui achètent ses produits à la fois pour leur consommation personnelle et pour les revendre.

Le distributeur a accès aux produits Herbalife uniquement depuis la plateforme de la marque, puis les revend avec 25 à 50 % de marge. « La marge, c’est ma première source de rémunération. Herbalife ne me verse pas de salaire », explique Vanessa qui vient d’ouvrir une boutique de ces produits à Caudebec-lès-Elbeuf, dans l’agglo de Rouen (Seine-Maritime).

Les distributeurs peuvent choisir de s’arrêter à cette première étape. Mais nombreux sont ceux qui optent pour devenir également parrains ou marraines, en proposant à des clients de devenir distributeurs à leur tour. Ainsi, le parrain ou la marraine empoche des commissions sur les ventes de ses filleuls, jusqu’à la troisième génération.

Victor, 30 ans, s’est fait approcher par des distributeurs en faisant du sport à Cergy (Val-d’Oise) : « Des gens se sont présentés en disant qu’ils étaient coaches en nutrition et qu’ils aidaient les gens à perdre du poids. Ils portaient des T-shirts Herbalife. Je leur ai d’abord acheté des compléments alimentaires, j’ai perdu du poids, donc j’étais satisfait. Ensuite, je me suis inscrit comme vendeur, pour acheter mes produits moins cher. » Cela fait cinq ans que Victor travaille pour le compte d’Herbalife.

Ces coaches revendeurs n’ont aucune qualification pour donner des conseils en nutrition, mais suivent des formations dispensées par la multinationale. Ils ont aussi accès à une ressource documentaire en ligne et des vidéos « réalisées avec l’appui de professionnels de santé dont notre consultant pour la France, le Dr Jacques Manic », précise Herbalife.

« Aider un maximum de monde »

Les revenus sont très variables, mais sont toujours présentés comme un « complément ». Victor dit gagner entre 100 et 200 euros par mois, qui viennent s’ajouter à son salaire de comptable. Un distributeur des Alpes nous parle de 1 500 euros de revenu mensuel, additionnés à ce que lui rapportent ses 25 filleuls, environ 600 euros.

Mais pour certains, les sommes sont bien moindres. Philippe* est devenu distributeur en 2020, quelques mois après avoir été approché par son parrain en Normandie : « On dépense beaucoup d’argent au début. En tout et pour tout, j’ai dû gagner 20 euros. Par rapport au temps passé, tu ne gagnes rien. J’étais nul, parce que je n’arrivais pas à adhérer au projet. »

La motivation a également diminué avec le temps pour Marina, ancienne distributrice de 2020 à 2022. « Au début, ça va toujours parce qu’on fait découvrir les produits à nos proches qui sont motivés. Mais une fois qu’on a fait le tour, c’est de plus en plus compliqué », témoigne cette Alsacienne. Elle a dénoncé le leurre que constitue la promesse de l’argent facile, dans une vidéo Youtube. En deux ans d’activité, celle qui se dit aujourd’hui « déçue », n’assure n’avoir empoché que 445 euros de bénéfice net. « C’est beaucoup de travail. Il faut avoir beaucoup de temps pour cette activité. » Cette professeure de sport en lycée a aujourd’hui coupé tout lien avec Herbalife.

Ceux qui persévèrent nous assurent que l’argent ne serait pas leur motivation première.

Si je fais ça, c’est avant tout pour aider mon entourage à aller mieux.

Stéphanie*, 31 ans.coach en nutrition pour Herbalife.

Le même élan altruiste est avancé sur les réseaux sociaux par de nombreux revendeurs : « changer la vie des gens », leur permettre d’« améliorer leur santé », d’« avoir plus de revenus »… « On développe notre réseau en ambassadeur pour aider un maximum de monde », nous glisse Vanessa depuis sa boutique de Caudebec-lès-Elbeuf.

Les produits Herbalife

La société américaine Herbalife nutrition propose notamment des substituts de repas, des en-cas, des compléments alimentaires et des boissons. Présente en France depuis 1990, l’entreprise vend aujourd’hui près de 80 produits. 300 000 tests sont effectués chaque année dans neuf de ses laboratoires. « Tous nos ingrédients sont sourcés, testés afin d’être en conformité avec toutes les exigences gouvernementales de chaque pays », assure Herbalife nutrition.

Comme un parfum sectaire

Les distributeurs Herbalife d’Europe se sont réunis le week-end du 23 et 24 septembre 2023 en Pologne, lors d’un grand meeting international, comme la société à l’habitude d’en faire. L’anthropologue Nathalie Luca, spécialiste du religieux et plus particulièrement des sectes, a enquêté pendant trois ans sur les sociétés de marketing relationnel, appelées aussi marketing multiniveau (MLM) ou de réseau. Elle s’est rendue à plusieurs de ces grands raouts d’Herbalife.

Dans son livre Y croire et en rêver (éd. L’Harmattan), elle retranscrit in extenso ce qu’elle a pu entendre lors d’un de ces rassemblements : « Mark Hugues voulait changer la face du monde, et maintenant, regardez ! […] Vous imaginez ce qu’il aurait pensé s’il avait vu ce que nous sommes en train de réaliser ? Il aurait adoré ! […] Nous avons la possibilité de changer la vie des gens […] Le rêve de Mark Hugues est plus réel qu’il ne l’a jamais été auparavant. »

Jérémie, quadragénaire, vendeur Herbalife depuis quatre ans, décrit ces séminaires comme étant « de vrais shows à l’américaine, dans de grandes salles, avec la musique et les applaudissements qui vont bien ». Pour lui, c’est dans ce genre de démonstrations que « se trouvent les dérives sectaires » : « Des gens défilent sur scène pour exposer leur réussite : les voitures, les vacances sous les tropiques. »

Pour Marina, youtubeuse d’Alsace, il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’ « une secte » : « Les meilleurs vendeurs sont ‘starisés’ comme s’ils avaient inventé un vaccin. Ils se persuadent qu’il n’y a qu’une seule formule efficace. Il n’y a pas d’ouverture d’esprit. »

Nathalie Luca, dans son livre paru en 2012, rappelle le lien entre le marketing relationnel développé par des entrepreneurs étasuniens et la foi. Ces entrepreneurs, « influencés par leurs croyances religieuses, imprégnés par la culture protestante très affirmée des États-Unis, cherchent à replacer l’homme au cœur du système en réintroduisant, dans leurs entreprises, les valeurs chrétiennes qui les animent. » C’est la naissance du « capitalisme de la compassion ». Et chez Herbalife, « la croyance en un capitalisme de la compassion est le fer de lance des distributeurs », relate Nathalie Luca.

L’anthropologue, directrice de recherche au CNRS, étaie le « lien originel » qui « existe effectivement entre le multiniveau et une certaine forme de protestantisme prônant la ‘théologie de la prospérité’ ». Une théologie tournée vers les pauvres qui se répand dès le début des années 1960. « Selon elle, Dieu accorde ses largesses à tous ceux de ses enfants qui se tournent […] vers lui. À ceux-ci, il offre la prospérité », écrit Nathalie Luca. La « théologie de la prospérité » est généralement associée à une forme de protestantisme nommée néo-pentecôtisme.

Aujourd’hui, Herbalife assure que son activité « n’est soutenue par aucune idéologie religieuse ».

L’idée fausse selon laquelle Herbalife est une secte est née d’un reportage dans les années 1990 qui reliait à tort l’entreprise à la Scientologie.

Herbalife nutrition France

De la religion aux valeurs du sport

Nathalie Luca constate qu’en France, pays attaché à son modèle laïque, « la relation des entreprises de multiniveau avec le religieux a nui à leurs visibilité et reconnaissance sociales ».

L’idée que l’argent et la religion ne font pas bon ménage est très ancrée et dès lors qu’ils semblent fonctionner ensemble, les Français tendent à considérer qu’ils ont affaire à une secte.

Nathalie Luca, directrice du centre d’études en sciences sociales du religieux (Césor).

Herbalife a dû couper ce lien ombilical avec la foi, « pour parvenir à gagner des territoires hostiles à la théologie de la prospérité ». Car « à chaque fois, l’accusation sectaire est une épée de Damoclès qui menace de couper l’élan des distributeurs en invalidant leur démarche », poursuit l’anthropologue.

La société de nutrition a déplacé « le lien au religieux vers un lien au sport dont les valeurs profitent d’une adhésion partagée par l’ensemble des Français […]. L’entraide, la persévérance, le respect, l’esprit d’équipe sont désormais présentés comme inhérents à l’esprit sportif. On n’entend plus parler directement de religion dans les réseaux, alors que l’esprit de réussite y demeure tout aussi important », affirme Nathalie Luca.

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Si l’on en croit le sociologue Alain Ehrenberg (Le culte de la performance, 1994), ce n’est plus la religion qui dicte sa norme et sa vision du monde, ni la science qui avait supplanté la religion, mais le sport qui impose ses normes et ses valeurs. « Le multiniveau prend ainsi position à l’intérieur d’un contexte généralisé de sportivisation du mode de vie occidental », nous dit Nathalie Luca.

« Je me suis senti dupé »

À l’issue de ces trois années d’enquête, Nathalie Luca est catégorique sur le fait qu’Herbalife n’est pas une secte. Pour autant, elle pointe une « dérive » potentielle qui consisterait à « abuser » de l’aura charismatique dont disposeraient certains distributeurs auréolés de valeurs telles que la persévérance, la motivation, l’amitié, la fidélité : « Il est clair que la confiance accordée à celui paré de valeurs si flatteuses est immense. Elle peut conduire au culte de la personnalité […]. La menace est que l’activité dans son ensemble soit ensuite considérée comme sectaire. »

Et il arrive que l’attitude de certains distributeurs soit jugée trop « agressive » par certains débutants. C’est ce qu’à ressenti Philippe lorsqu’il a été approché la première fois par son parrain en Normandie : « Il est revenu plusieurs fois à la charge en allant sur la plateforme d’Herbalife pour me dire : ‘allez, on se lance.’ Je me suis lancé. »

Après deux ans passés dans ce business, Philippe a coupé les ponts avec son parrain. « Quand j’ai arrêté, il m’a envoyé des messages pour me le reprocher, me dire que j’avais changé. » Avec le recul, celui qui voulait perdre simplement quelques kilos, n’a pas trouvé la relation « hyper saine ». D’autant que son parrain allait jusqu’à démarcher des proches, amis ou famille, par l’intermédiaire des réseaux sociaux, principalement Instagram, sans son accord.

Je me suis senti dupé parce qu’il participe à l’idée d’une société où le corps doit être parfait. La prise de poids est souvent corrélée à une période de vie pas facile sur le plan professionnel ou sentimental et lui arrive avec ses abdos, bam : ‘si tu veux être comme moi, fais ça.’ Alors qu’on n’a pas besoin d’avoir des abdos pour aller bien.

Philippe,ancien distributeur Herbalife.

Les signalements à la Miviludes

La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) avait conclu dans un rapport de 2006, qu’« en l’espèce les pratiques relevées ne peuvent être considérées […] comme ayant un caractère sectaire […] ».

Cependant, la Miviludes reçoit chaque année des signalements. Une cinquantaine entre 2020 et septembre 2023.

« Les proches inquiets font état d’un changement de vocabulaire et d’un enfermement dans un système où les compléments alimentaires se substituent à l’alimentation. Les distributeurs Herbalife investissent beaucoup d’argent dans l’achat de produits, dans des ateliers brunchs, des pseudo-formations de développement personnel et ont parfois du mal à éponger les dettes engendrées par leur investissement », indiquent à Enquêtes d’actu les services de la Miviludes qui nous fait part de situations qui ont conduit à des « ruptures familiales ».

Elle alerte sur le fait que « d’une manière générale, le marketing réseau est un phénomène particulièrement inquiétant ». « On trouve des personnes qui forcent la main aux clients et qui les manipulent un peu, c’est vrai », reconnaît Victor, distributeur Herbalife depuis cinq ans.

Jérôme, quadragénaire des Yvelines, admet que « chez Herbalife, il y a des dérives par appât du gain ». Ce distributeur nous raconte comment « certains arrosent la terre entière pour trouver des filleuls et n’en ont rien à faire de vendre à leur compte, ni même du produit ou du bien-être ».

Pour lutter contre cela, la multinationale dit « disposer d’une équipe interne » chargée de surveiller les activités des distributeurs. Des radiations sont possibles, mais uniquement « dans des cas extrêmes ».

Frontières floues avec le système pyramidal

Des profits proportionnels à l’étendue du réseau qui font dire à Philippe que le fonctionnement « est clairement pyramidal, parce que le parrain touche de l’argent sur tout ce que tu fais ».

Cela serait problématique, parce que le système pyramidal est un délit en France, comme dans de nombreux pays du monde. Le code de la consommation dit qu’il est interdit de proposer à une personne d’intégrer un réseau en échange d’argent et « en lui faisant espérer des gains financiers résultant d’une progression du nombre de personnes recrutées plutôt que de la vente, de la fourniture ou de la consommation de biens ou services ».

« Dans le système pyramidal, la personne tout en haut ne fait rien et gagne de l’argent sur ceux qui sont en bas. Il n’y a pas de produit, pas de service, c’est du vent. Nous ce n’est pas du tout ça », insiste Vanessa. Une autre distributrice nous assure que « la vente représente 45 % du job chez Herbalife ; le reste, c’est du conseil ».

Sur ce point aussi Nathalie Luca, directrice de recherche à CNRS, est catégorique sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un système pyramidal : « Si le parrain touche une commission sur la vente des produits de ses filleuls, il n’en touche en revanche aucune sous le seul prétexte de leur recrutement. » Un distributeur interrogé nous garantit qu’il ne gagne pas d’argent sur le recrutement d’un membre : « Je pourrais en intégrer 2 000 que je ne toucherais rien à leur arrivée dans le réseau. »

La Fédération de la vente directe, qui compte parmi ses membres Herbalife, insiste auprès d’Enquêtes d’actu sur le fait que « pour que les entreprise puissent adhérer, une équipe de juristes vérifie tous les contrats entre distributeurs et consommateurs » et assure que « tout ce qui est vente pyramidal est proscrit ».

Cependant, la frontière est ténue et Herbalife évolue sur une ligne de crête. Dans un guide à destination des consommateurs, la task force nationale de lutte contre les arnaques (ministère des Finances) appelle à « se méfier des promesses d’enrichissement facile » faites d’une manière générale par les entreprises de marketing relationnel.

Il peut arriver que « les gains générés par la vente des produits ou services aux affiliés […] servent uniquement de ‘vitrine légale’ ». Bercy alerte sur la possible « forme d’endoctrinement » et la « pression psychologique ». La task force demande à être « vigilant » quant « aux discours récurrents, voire obsessionnels tenus, parfois proches de la dérive sectaire ».

Une enquête réalisée par Victoria Allaume (Le Journal d’Elbeuf), Agnès Esteves (Le Petit bleu des Côtes-d’Armor), Renaud Vilafranca (78 actu) et Raphaël Tual.

https://actu.fr/societe/enquete-herbalife-nutrition-est-elle-secte-nous-avons-penetre-univers-coaches_60124397.html