Il y a quelques mois, d’anciens membres d’une célèbre communauté nouvelle ivoirienne ont dénoncé des abus sexuels et spirituels perpétrés par son fondateur. La Croix Africa a enquêté sur le système qui a permis de tels abus en donnant la parole aux victimes présumées.

« Nous sommes dans une société où l’on culpabilise les victimes et où la notion d’autorité est dévoyée », soupire Jessica*. Victime d’un viol d’un responsable de communauté nouvelle, elle a été l’une des meneuses, sur les réseaux sociaux, d’un grand mouvement de dénonciation des abus sexuels et de conscience dans ces communautés en Côte d’Ivoire. Elle préfère aujourd’hui tourner la page et « passer à autre chose » même si la blessure est encore vive. « Après ce viol, il m’a imposé les mains et a prié pour moi, m’assurant que les études que j’étais sur le point d’entreprendre allaient bien se dérouler. Plus tard, quand je lui annonçai ma grossesse, il m’a juste dit d’avorter car ’Dieu pardonnera’ ».

Lucille*, 27 ans, vit hors de la Côte d’Ivoire. Pourtant, aussitôt qu’avait commencé sur Facebook le « me too » de Jessica et d’autres victimes, les souvenirs ont refait surface, troublant ses jours et ses nuits. Il y a 6 ans, la jeune femme a échappé de justesse à un viol de ce même « père spirituel » alors qu’elle fréquentait périodiquement cette communauté.

« J’avais besoin d’argent. Il m’a dit de venir en chercher. Il était à Bassam (une station balnéaire à quelques kilomètres d’Abidjan NDLR), dans une chambre d’hôtel. Je n’ai pu lui échapper qu’après m’être débattue de toutes mes forces et l’avoir menacé de crier et de le griffer », témoigne-t-elle.

Comme les deux jeunes femmes, certaines victimes d’abus sexuels ont renoncé à des poursuites judiciaires contre leur abuseur présumé à cause des pesanteurs sociales, des pressions familiales et parfois, de la honte.

Des communautés sous la responsabilité de l’Église catholique

Pour l’heure, aucune sanction définitive n’a été prise, contre cet apostolat, par l’Église catholique ivoirienne dont dépendent plus de 200 communautés et apostolats. De plus, nombre de catholiques ont été attirés dans cette communauté par des prêtres et évêques dont la présence lors des grandes manifestations, légitimait les pratiques.

Le groupe mis en cause est suspendu depuis bientôt un an mais a tenté de s’infiltrer, comme association catholique, dans un diocèse voisin. En attendant les résultats de l’enquête diocésaine entamée en juin 2020, les victimes s’impatientent craignant que l’affaire ne soit étouffée d’autant plus que le motu proprio sur les abus sexuels dans l’Église publié en 2019 par le pape François circonscrit à 90 jours (3 mois) la durée des enquêtes sur les cas d’abus dans l’Église (art 14 § 1), sauf motifs de prorogation valable.

De leur côté, les autorités diocésaines concernées ne souhaitent pas s’exprimer sur le sujet avant la fin de l’enquête. « L’on aurait certes beaucoup de choses à dire mais chaque évêque gère souverainement les affaires qui concernent son diocèse, soupire un évêque ivoirien qui souhaite plus de fermeté. Il n’y a presque pas de communautés nouvelles dans les diocèses pauvres, l’essentiel se passe dans les diocèses des grandes villes, car l’argent est le nerf de la guerre ».

Omerta

Une omerta règne manifestement sur la question des dérives dans les apostolats laïcs en Côte d’Ivoire dont les abus sexuels ne sont qu’une facette. En témoigne cette situation ubuesque, en 2018, quand un haut responsable d’Église, sollicité pour une interview sur ces groupes – dont il est le principal responsable hiérarchique — a, en pleine célébration eucharistique, mis en garde les responsables de communautés non contre d’éventuelles dérives mais contre « une journaliste qui mène une enquête sur elles ».

Pourquoi donc cette omerta ? « Pour l’argent évidemment », déplore un religieux ivoirien qui a requis l’anonymat. « Ces communautés sont immensément riches et elles financent l’Église. »

D’où viennent ces richesses

Les apostolats laïcs vivent des dons de leurs membres et sympathisants qui se comptent par milliers.

Dans la communauté en cause, les membres sont tenus de verser la dîme qui représente un dixième du salaire brut. À cela, s’ajoutent les quêtes lors des rassemblements de prières et les cotisations des membres des différentes commissions. Des offrandes occasionnelles comme les prémices sont versées au début de l’année pour « attirer la bénédiction ». De plus, les membres doivent aussi faire une offrande baptisée « Gabaon » et destinée « aux parents spirituels ». Cette offrande est ainsi définie dans un message envoyé en 2019, aux membres parisiens de cette communauté. « C’est la fin de l’année et tout enfant en alliance avec Dieu, sait que fin d’année rime avec Gabaon, ce moment où tu prends le temps d’aller voir ton père avec une offrande d’action de grâce en le remerciement pour sa présence dans ta vie et pour tout ce qu’il a pu être pour toi ».

Emprise et isolement

Cynthia* a travaillé avec le fondateur dont elle a joué le rôle d’assistante. « C’est un véritable lavage de cerveau qui est opéré », explicite-t-elle. « Dès ton arrivée, le chef te reçoit pour une écoute. Ensuite, tu acquiers des CD de ses enseignements que tu dois écouter à la maison et il te donne des exercices de piété à faire. Suivent ensuite 4 séances de délivrance pour chasser les mauvais esprits qui te hantent. »

Lucille*, qui analyse, avec du recul, l’emprise de cet abuseur présumé estime qu’il « tenait » chacune de ses victimes par une faiblesse. Il asservissait de jeunes étudiantes éloignées de leurs parents par l’argent qu’il leur donnait et certains jeunes hommes, en difficulté avec leur famille, par le rôle de « père » qu’il prétendait jouer. « Je suis encore traumatisé par ce que cet homme a pu me faire faire, avoue Luc*, une victime parisienne. Il a profité de mon affection filiale et de mon admiration pour faire de moi son esclave. Je devais faire toute sorte de tâches avilissantes pour son épouse et son enfant quand ils étaient en visite à Paris ».

Isolement

De plus, était mis en place, tout un système d’isolement des membres qui, de fait, s’éloignaient de leurs proches. « Il nous disait qu’on était une race choisie, différente des autres », explique Cynthia. « L’on avait de nombreuses activités qui nous poussaient plutôt à rester entre nous », renchérit Laurent * qui a été pendant de longues années, membre du protocole de la communauté – chargé de la logistique et de l’ordre lors des manifestations. « L’un des enseignements de prédilection dispensés aux membres de la communauté était d’ailleurs que les parents spirituels – le modérateur et son épouse – ont la primeur sur les parents biologiques », ajoute Luc. « L’on nous menaçait de malédiction si l’on quittait cette communauté ». Enfin, ce modérateur semblait avoir un contrôle sur la vie affective des membres de la communauté. « C’est lui qui faisait et défaisait les couples », explique Laurent.

Qu’attendent les victimes de l’Église ?

« La justice ! » s’exclame Laurent qui estime ne pas pouvoir tourner la page avant que justice ne soit rendue. Bien que vivant hors de la Côte d’Ivoire depuis quelques années, sa révolte reste intacte. « Mais j’aime profondément l’Église et je ne compte pas la quitter. Je refuse juste que d’autres jeunes soient trompés et abusés. Il faut que l’Église réagisse et très fermement ». « L’enquête s’éternise » s’impatiente, pour sa part, Lucille. Depuis ce qu’elle dit avoir subi, elle n’admet plus d’intermédiaire entre Dieu et elle. « Je suis ma propre voie, je ne veux plus qu’on me mente », explique-t-elle.

Jessica, elle n’attend pas grand-chose de l’Église, elle a juste décidé de vivre sa vie en s’épanouissant dans sa vie professionnelle et affective.

Lucie Sarr

(*) Les prénoms ont été changés

source : https://africa.la-croix.com/enquete-sur-des-abus-spirituels-et-sexuels-dans-une-communaute-nouvelle-en-cote-divoire/