Depuis ce reportage, rien n’a changé… et la situation a même empiré !D’après les organisations syndicales, 31,8% des personnels des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) se sont mobilisés mardi 30 janvier 2018 pour réclamer davantage de moyens. Un mouvement national inédit et très suivi. Il a été fortement soutenu par des familles de résidents des maisons de retraite. Il traduit le ras-le-bol des aides-soignant(e)s et infirmièr(e)s obligé(e)s de travailler avec un manque de moyens financier, humain et matériel. Un cri d’alarme assourdissant que la société ne semblait pas entendre jusqu’à présent malgré des initiatives ponctuelles.
Pourtant, depuis plusieurs années, la parole se libère. Les travailleurs des Ehpad et maisons de retraite s’avouent « cassés » « usés », « à bout ». Les burn-out se multiplient. Un symptôme qui traduit la dichotomie entre la vocation et la réalité vécue dans ces centres qui riment trop souvent avec manque de temps, absence de soins, bâclage de toilettes ou encore absence de dialogue.
Cette situation aboutit à la disparition de la dignité de nos aînés, présents dans ses établissements pour être soignés, écoutés, dorlotés.
Voici les mots et les maux de ceux qui parfois « maltraitent« , non par manque d’humanité, mais par absence de moyens.
Ces témoignages poignants, voire insoutenables dépeignent une forme de déni du grand âge et de l’identité de ces anciens qui, il y a quelques années encore vivaient, éduquaient des enfants, aimaient et, travaillaient pour cette société, qui semble les oublier dans ces mouroirs.
2001. Une vieille femme dans une chambre délabrée d’un Ehpad se lamente de son sort devant une contrôleuse Conseil général de l’Essonne : « C’est honteux ! Je voudrais mourir. Tous les matins en me réveillant, je me dis : Tiens, je suis encore là. Quel malheur ! »
2004. Dans une maison de retraite d’Auvergne, une infirmière explique que faute de temps, elle ne peut se consacrer autant qu’elle le souhaiterait aux anciens. Elle insiste sur l’importance du dialogue avec les résidents et leur famille : « Plus d’échanges, c’est important pour les résidents […] les familles […] et pour nous car on peut faire des soins de meilleure qualité quand on connait mieux les personnes« . Tandis qu’un aide-soignant avoue impuissant : « Les toilettes, c’est de l’abattage […] on n’a pas le temps de vraiment s’occuper d’eux« .
2005. « Il faut être bien dans notre tête et c’est pas toujours évident… le stress« . Reportage à la maison de retraite de Mamirolle où le personnel vient de suivre une formation pour prévenir la maltraitance. Deux aides-soignantes, s’occupant de personnes âgées, parlent de leur métier, de l’importance des petites intentions, de la bientraitance…
2009. « On est dans une société où l’on ne s’occupe plus de ses vieux« . Témoignage bouleversant de William Rejault, ancien infirmier dans l’une des maisons de retraite les mieux cotées d’île-de-France et auteur du livre Maman, est-ce que ta chambre te plaît? Dans ce témoignage, il explique avoir été dégoûté par la maltraitance de la maison de retraite dans laquelle il travaillait. Il se sentait lui-même maltraitant et a quitté son emploi.
2012. « Les grands groupes voient leurs bénéfices exploser « de 7 à 10% par an. Ces leaders promettent un personnel aux petits soins, des locaux de standing« . Si le personnel et les familles dénoncent le manque de moyens dans les établissements, de leur côté, certains investisseurs font des bénéfices juteux à deux chiffres dans le « business » des maisons de retraite. Ce reportage montre une réalité bien différente des promesses faites sur les sites Internet.
Un constat dénoncé par les salariés de ces groupes. En 2016, reportage sur la grève du personnel d’une maison de retraite à Niort, un établissement privé appartenant au numéro 1 français du secteur. Le personnel dénonce un manque de moyens humains qui se répercute sur les pensionnaires, des personnes âgées dépendantes. Ils sont soutenus par des familles de patients.
Annie, une pensionnaire, arrivée depuis 6 mois, raconte, à visage caché, la vie quotidienne et le surmenage des soignants : « Je me débrouille car je ne peux pas demander de l’aide au personnel qui suffoque sous la somme de travail énorme qu’ils ont« .
Une fille de pensionnaire témoigne : « Maman, c’est la personne qui m’est le plus chère au monde au monde et on s’en occupe pas. Ca me fend le cœur vraiment. J’ai rencontré hier le directeur régional et il ne m’a parlé que de chiffres, que d’activité commerciale. Il n’a pas compris une seule fois qu’il n’était pas avec des boites de conserves mais avec nos parents. C’est vraiment les derniers moments de leur vie. Il faut vraiment les chérir et s’occuper d’eux. Tant qu’il n’aura pas compris ça, le personnel peut continuer à se battre, ils n’y arriveront pas ! »
Quelques mois plus tard, en décembre 2016, à Marseille, des aides-soignantes font une conférence de presse pour dénoncer le manque de temps et de personnel conduisant à une maltraitance des résidents.
« Pendant que vous vous êtes occupée à faire les toilettes, eux (les autres pensionnaires) ils sont là à attendre jusqu’à l’heure du repas […] plus de 4h00. Ils ont l’esprit plongé ailleurs. Ils sont dans leurs souvenirs. Il n’y a personne qui communique avec eux. Ils sont en rang, en silence. Déjà rien que ça, j’appelle cela de la maltraitance« .
Elles démissionneront ou seront renvoyées. Quant à la direction dans un communiqué elle se déclarera « choqué par les accusations portées « . L’ARS (Agence régionale de Santé) diligentera une enquête dans l’établissement.