« Ça te dit de gagner plusieurs fois ta mise sans travailler ? ». Depuis quelques mois, les chaînes d’argent se multiplient à Morlaix, Vannes Quimper, Lorient ou encore Nantes. Outre son illégalité, c’est la manipulation mentale qu’implique le système qui inquiète.

« J’ai peur de l’avoir perdue avec cette histoire. Si je fais quelque chose, je serai celui qui lui aura fait perdre 16.000 € ». Hervé (*) est désespéré. Sa mère lui a proposé de rejoindre une chaîne d’argent à Quimper. Droit d’entrée : 2.000 €. Peu convaincu – « J’ai calculé qu’il n’y aurait pas assez d’habitants pour que je touche les 16.000 € » -, il s’est évertué à convaincre sa mère, professionnelle de santé. En vain. « J’ai beau lui dire que c’est une arnaque, elle ne me croit pas. Elle est persuadée que c’est un système d’entraide solidaire et qu’il n’y aura pas de souci car cela se déroule entre amis, avec des avocats, des juristes… » Son cas n’est pas isolé. Dans le Nord-Finistère, François explique que son frère et sa femme ont tenté d’enrôler ses parents il y a peu. « Cela m’a surpris car il a plutôt la tête sur les épaules, il a fait des études de sciences. Mais il a mal réagi face aux remontrances de mes parents. Pour lui, cela n’avait rien de méchant, c’était de la solidarité… »
Six fois la population de Brest pour perdurer
Qui n’a pas dans son entourage un ami ou l’ami d’un ami approché pour intégrer une chaîne d’argent ? Plus subtile que les arnaques par mail en provenance d’Afrique – qui demandent une avance pour récupérer un invisible pactole -, les cercles de dons (appelés aussi chaînes d’argent, randonnées, rondes, roues d’abondance…) ont envahi la Bretagne. Preuve de leur succès, on évoque désormais des entrées à plus de 10.000 €. Le principe est simple : quinze personnes dans un cercle, celui du centre reçoit la mise des huit derniers arrivés. S’en suit la création de deux autres cercles et le jeu se poursuit. Pour qu’il vive, ce système implique le recrutement incessant de deux personnes par arrivant. Un simple calcul permet de réaliser qu’au vingtième palier, plus de 500.000 personnes ont, certes, touché de l’argent mais 500.000 autres vont devoir recruter pour avancer d’un seul rang. Soit plus d’un million de personnes en attente, plus de six fois la population de Brest. Nombreux sont ceux qui ne reverront jamais leur mise de départ. Ne comptez pas sur eux pour porter plainte. Et pour cause. Comment dénoncer l’ami ou le membre de la famille qui vous a entraîné ? Comment s’en prendre à un système auquel vous avez contribué de plein gré et dans lequel vous avez entraîné des proches ? Contactés, d’actuels membres n’ont pas souhaité répondre à nos sollicitations, prétextant ici une activité « légale », là « un système qui ne fait de mal à personne ». Faux dans les deux cas. Mais dans la droite ligne des consignes données lors des réunions organisées au domicile de chacun. Actuellement, on dénombre quasiment deux réunions par soir en Bretagne. Des rencontres frappées du sceau de la confidentialité où les instructions sont rédigées noir sur blanc : « N’utilisez que des prénoms », « discrétion », « ne s’adresser qu’à des personnes de confiance », « ne pas laisser traîner les dossiers ». Étrange pour un système qui affirme ne pas être illégal ni pyramidal. Mais qui l’est bel et bien. Ce type de vente est, en effet, interdit en France depuis 1953. Selon la législation française, « il est interdit de proposer à une personne de collecter des adhésions ou de s’inscrire sur une liste en lui faisant espérer des gains financiers résultant d’une progression géométrique du nombre de personnes recrutées ou inscrites ». Plusieurs condamnations ont déjà eu lieu (lire ci-contre)
Un livre en guise de guide ?
Mais au-delà de l’escroquerie, c’est toute la doctrine qui accompagne ce jeu qui gêne aux entournures. Un discours bien rodé, basé sur l’affectif et la solidarité avec un langage spécifique, desmembres aveuglés qui n’écoutent plus leur entourage : ne serait-ce pas là les prémices d’une dérive sectaire ? Et que penser de ce roman futuriste sur le « jeu de l’abondance », proposé à chacune des réunions et qui assure qu’« une autre conception de l’argent, moteur de la société moderne, est possible » ? Présidente de l’association Bretagne-Sud de défense des victimes de sectes, Annick Le Héritte a été contactée à deux reprises ces derniers mois par des personnes approchées pour entrer dans des cercles. « Des gens fragiles, malades ou en rupture de couple, se souvient-elle. Ils n’avaient pas mordu. Pour moi, il s’agit plus de manipulation mentale car on fait culpabiliser une personne si elle hésite. Maintenant, s’il y a une idéologie, des réunions et un livre de référence, cela se rapproche d’une dérive sectaire ».
* À la demande des intéressés, tous les prénoms ont été modifiés.

Liens utiles : www.anticercles.blogspot.com, www.nopyramide.com

Yves Madec

« On se retrouve vite pieds et poings liés… »
Durant quatre mois, Michèle, Morbihannaise d’une quarantaine d’années, s’est prêtée au jeu. Avant, il y a quelques semaines, de tout lâcher. « C’est une amie qui m’a parlé d’un truc extra pour gagner de l’argent, une belle aventure basée sur la confiance, la solidarité et l’entraide. Nous nous sommes rendues un soir dans une maison du Finistère-Sud. Il y avait une trentaine de personnes, de tous les âges, de toutes les professions. Le couple qui nous recevait nous a raconté une belle histoire à faire partager, un concept créé par un thérapeute suisse ou allemand. Ils auraient été chez les Inuits là où quand un membre a besoin d’aide, tout le monde lui donne quelque chose pour qu’il aille mieux ou mène à bien son projet. La réunion a duré deux heures et quand nous étions prêts, il fallait donner son prénom, les trois premières lettres de son nom, son téléphone et sa ville. J’ai trouvé ça génial, enfin on me parlait de solidarité, d’entraide, de confiance. On nous dit qu’il faut utiliser la pensée positive. Pas question d’argent, on parle de graine. Dans la semaine, le ” centre ” du cercle m’a contactée. La remise de l’argent, 2.000 € en liquide et en petites coupures, s’est faite comme souvent sur un parking, en présence d’un témoin. J’étais sur un petit nuage, j’allais bientôt toucher 16.000 € et aider les copains. Pourquoi je n’y aurais pas cru ? Des gens autour de moi touchaient, mon amie a touché. On ne se pose pas de question rationnelle. J’en ai parlé dans mon entourage mais on m’a envoyée sur les roses. Je me disais qu’ils n’étaient pas prêts. J’ai commencé à avoir des doutes en février après une réunion où les participants étaient surtout des gens en difficulté, en rébellion contre le système. J’ai découvert qu’il existait des prête-noms. Elle est où la confiance tant invoquée ? On recrutait des étudiants qui pouvaient se mettre à quatre pour une place. J’ai été me renseigner sur internet et j’ai compris que l’on s’était fichu de nous. Heureusement que je n’ai fait rentrer personne, j’ai prévenu mes proches que c’était une escroquerie. J’ai quitté le cercle il y a un mois et j’attends d’être remboursée. J’avais honte, c’est dur de dire à son entourage que l’on s’est trompé. Je ne suis pas naïve mais je me dis qu’il est facile de manipuler des gens. Pour moi, cela s’apparente à une secte, c’est évident. Je n’entendais plus mon environnement. On se retrouve vite pieds et poings liés car ceux qui touchent sont fortement incités à réinvestir dans une roue plus importante ».

07 Mai 2008

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