– Bravo. Tu nous as eu un temps magnifique !
– La météo, ce n’est pas le plus facile.
– D’autres sorciers faisaient peut-être des demandes contradictoires.

La conversation semble tout droit sortie d’un roman de Joanne K. Rowling. Elle a pourtant lieu en plein centre de Paris, entre trois enthousiastes wiccans. En ce samedi de début février, ils se sont donnés rendez-vous place du Châtelet pour une balade à la découverte de la nature dans la ville. Le départ est donné. Direction la cathédrale Notre-Dame. L’arrêt peut sembler surprenant, s’agissant d’un parcours païen, mais les sorciers ne viennent pas devant l’édifice pour prier ou admirer l’architecture gothique. Pierre* montre au groupe les médaillons du portail central : ces bas-reliefs représenteraient les différentes étapes d’une ancestrale opération réalisée par des alchimistes, sorciers d’une autre époque. Aujourd’hui, ils sont nombreux à se désigner comme des « wiccans », c’est-à-dire adeptes de la wicca. Le mot vient du verbe wiccian, qui signifie « ensorceler » en vieil anglais.

Une origine ancestrale ?

Pour les wiccans, on ne devient pas païen : on naît ainsi. Ils se rappellent tous avoir ressenti dès leur plus jeune âge « quelque chose » : une connexion avec la nature, une certaine affinité avec la lune ou l’un des quatre éléments, ou plus confusément un « manque ». De manière très similaire, le mythe de la wicca voudrait qu’elle n’ait jamais été créée mais s’inscrive dans une continuité remontant aux origines de l’humanité ou, plus modestement, au Moyen Âge.

C’est toutefois au milieu du XXe siècle qu’apparaît la Wicca contemporaine. À cette époque, un ancien fonctionnaire britannique passionné d’occultisme, Gerald Brousseau Gardner (1884-1964), organise le premier rassemblement d’adeptes de la wicca qu’il nomme coven. Il rédige par ailleurs des traités de sorcellerie tels que le fameux Livre des Ombres. Dans les années 1960, la wicca gagne en notoriété, en particulier aux États-Unis. En France, depuis une quinzaine d’années, la wicca dite « éclectique » serait majoritaire au sein de la wicca. Elle ne nécessite aucune initiation et regroupe des croyances extrêmement diverses allant des traditions celtes au chamanisme, en passant par la vénération des dieux égyptiens.

Refus du dogmatisme, rejet du conformisme

Sur l’île de la Cité, les wiccans parisiens poursuivent leur visite. Au square René Viviani – Montebello, ils se recueillent devant le plus vieil arbre de Paris. « Notre ancêtre… », s’attendrit Xavier. La nature se trouve au coeur de la spiritualité néo-païenne. Ses différentes facettes sont célébrées par l’intermédiaire de dieux divers et variés, représentant des médiateurs. De même que Grecs ne s’adressaient pas aux divinités supérieures telles que Zeus ou Poséidon, leur préférant des intermédiaires considérés comme plus accessibles, les païens ne vénèrent pas la nature mais des divinités avec lesquelles ils entretiennent une certaine familiarité. « Il manque une chose essentielle dans les autres religions,avance Pierre, c’est ce contact direct avec la divinité. Dans le paganisme, humains et dieux sont sur un plan d’égalité. »

Contrairement aux païens identitaires, les wiccans ne s’inscrivent pas dans un rejet du christianisme.« Nous éprouvons, tout au plus, une forme de nostalgie de l’époque pré-chrétienne », explique Xavier. De fait, il est très rare que ces néo-païens manifestent une hostilité pour les religions monothéistes. Il serait davantage question d’incompatibilité. « Je trouve les religions classiques bien trop dogmatiques », explique ainsi Élodie*. « Quand j’accompagnais mes parents à la messe, je ne pouvais pas adhérer au credo, par exemple. »Certains wiccans se revendiquent même d’un certain monothéisme, vénérant une « source divine » ou une « déesse mère ».

Une étudiante éduquée dans le plus grand respect des traditions catholiques, un informaticien anticlérical, une toute jeune descendante d’une lignée de sorcières, un trentenaire de tradition animiste africaine : tous les profils se rencontrent au sein de la ligue wiccanne éclectique. Au fil des conversations, un rare point commun s’esquisse : « Un païen est d’abord un individualiste », fait valoir Vanessa*. En réalité, les néo-païens rejettent avant tout le conformisme sous toutes ses formes. L’absence de hiérarchie, la structure très souple, le caractère non dogmatique : la wicca éclectique séduit ces amoureux de liberté. La seule règle qu’ils se fixent est celle du Rede Wicca : « Fais ce que tu veux si tu ne blesses personne » (« An it harm none, do what ye will »). Homosexuels et féministes s’y retrouvent : le néo-paganisme est de fait une des rares religions à être exempte de soupçons de misogynie et dénuée de réticence vis-à-vis du mariage homosexuel.

Chacun son panthéon

Après la visite, les wiccans se retrouvent dans un café. Pas de chaudrons ni d’élixirs en vue. Les uns et les autres exposent leurs dernières acquisitions, qu’il s’agisse de littérature ou de minéraux. Toutefois, les conversations tournent davantage autour de détails pratiques sur la réalisation de tel ou tel sortilège que sur des questionnements théologiques de fond. En réalité, rien ne sert de débattre, chacun ayant son propre panthéon, sa spiritualité personnelle. « Certains vénèrent des dieux aztèques, celtiques ou nordiques. D’autres préfèrent encore célébrer la nature, les éléments ou la lune. Il n’y a pas d’unité, c’est la beauté de la chose », déclare, non sans fierté, Xavier. Au moment des rituels collectifs, ce quinquagénaire sorcier apprécie tout particulièrement lorsque la coupe de libation est transmise de main en main : chacun vénère alors la divinité de son choix. Charme d’une cérémonie bigarrée.

Les pratiques sont aussi hétéroclites que les panthéons sont dissemblables. La plupart des wiccans effectuent leur rituel à l’intérieur d’un cercle magique et s’accordent sur la date des principales cérémonies, les sabbats, aux huit grandes dates des solstices et des équinoxes. Certains réalisent également des cérémonies lors des nuits de pleine lune, les ébats. En dehors de ces dates, rites, charmes et sortilèges tiennent, selon Xavier, la place de la prière dans les autres religions. « Il s’agit de s’adresser aux dieux. La différence, c’est que la sorcellerie est bien plus concrète. »

Cyberpaïen à la page

Loin des écussons ou de la svastika (croix gammée utilisée dans divers courants païens), les néo-païens puisent leurs références communes dans les épisodes de Ma Sorcière bien-aimée, Charmed ou Harry Potter. Bien dans leur époque, ils s’adaptent aux exigences des temps modernes. Élodie* trouve ridicule l’obsession de respecter les rituels anciens à la lettre quand la société tout entière a changé. « Aujourd’hui quand je découvre un nouveau rituel, je me demande d’abord : qu’est-ce que je peux modifier ? ».

Tous s’accordent sur le rôle primordial d’Internet pour la communauté païenne. Malgré la multitude de communautés et forums, la toile leur permet de se retrouver. Pour beaucoup, elle met fin à une solitude douloureuse. « Je pensais être le seul à vénérer la nature. Ce fut un immense soulagement de voir que nous étions nombreux à partager ces croyances sur le web païen »,explique ainsi Xavier. Mais les wiccans savent bien que la magie ne vient pas du net, ni la connaissance d’ailleurs. Bien conscients des approximations que l’on peut lire sur les forums, les wiccans préfèrent recommander une érudite « littérature sorcière » : vieux grimoires ou dernières trouvailles au rayon ésotérique.

Deux fois par an paraît également un numéro de la Lune Bleue, « le mag’ des païens d’aujourd’hui ». Publié par la Ligue wiccanne éclectique, la revue disserte des sujets les plus actuels. Dans le dernier numéro, un article traite ainsi des liens entre Internet et paganisme. La plume derrière ces lignes signe d’un pseudonyme. Car si l’élégante rédactrice fait figure de sorcière assumée en longe robe noire, des bagues à chaque doigt ou presque, et une intrigante boucle d’oreille lunaire, elle préfère toutefois garder secrète cette facette de sa personnalité.

Sortie du placard à balai

Rares sont les néo-païens qui exposent publiquement leur spiritualité. Xavier est de ceux qui ont fait, selon l’expression wiccanne, leur « sortie du placard à balai » – en référence aux célèbres moyens de locomotion des sorciers. Il raconte : « Il faut faire face à une ironie amusée ou une certaine incrédulité mais les gens sont très tolérants si on accepte de répondre à leurs questions ».La discrétion des wiccans doit beaucoup à la mauvaise réputation dont ils ont longtemps souffert. Alors que le satanisme, lié par définition à la tradition judéo-chrétienne, est contraire au paganisme, l’amalgame est souvent faite entre cette doctrine religieuse, la magie noire et les wiccans.

Les « sorciers blancs » ne se reconnaissent ni dans la vénération de Satan, ni dans les discours extrémistes des païens identitaires. Et les langues s’échauffent quand le sujet est abordé. « On ne peut qu’espérer qu’ils représentent une infime minorité. Il y a toujours des extrémistes qui salissent la religion. »Les wiccans ne voient pas ce que la pureté du sang, de la race ou l’amour du terroir a de commun avec le paganisme. À l’opposé, dans une vision mondialiste du paganisme, ils tentent de mettre en place des partenariats avec le Canada ou l’Amérique du Sud. Mais avant de penser à l’outre-Atlantique, les wiccans ont hâte de s’éloigner de la capitale. À l’arrivée des beaux jours, ils iront célébrer la nature au bois de Vincennes.

* Les prénoms signalés d’un astérisque ont été changés.

source :
http://www.lemondedesreligions.fr/savoir/les-wiccans-neo-paiens-de-charme-05-03-2014-3758_110.php

par Léa Ducré – publié le 05/03/2014