Les écoliers espagnols seront-ils bientôt obligés d’apprendre les théories créationnistes ? Accouchée dans la douleur, très critiquée avant son approbation, la nouvelle réforme des cours de religion refait parler d’elle alors qu’elle doit bientôt être appliquée dans les lycées. Le quotidien de centre-gauche El Pais révèle l’existence d’une directive qui précise les modalités d’examen de ce nouveau cours pour passer l’équivalent du baccalauréat. Les critères d’évaluation ont été validés par le ministère de l’éducation mais émanent directement de la Conférence épiscopale. L’élève doit être en mesure de « reconnaître » et de « comprendre l’origine divine du cosmos », dit le texte. Il doit aussi admettre que la création du monde ne provient « ni du chaos ni du hasard » et être conscient de « l’incapacité de la personne à atteindre le bonheur par elle-même »… Un peu plus loin, on peut encore lire que « l’être humain prétend s’approprier le don de Dieu [la création de l’univers] indépendamment de Lui. Voilà en quoi consiste le péché. Ce rejet de Dieu a pour conséquence l’impossibilité de l’être humain à atteindre le bonheur par lui-même ».

{{Science et foi catholique}}

Il est également demandé aux étudiants de disserter sur les nombreux moments historiques où la science est entrée en conflit avec la foi catholique et de « justifier les causes et les conséquences de ces conflits », notamment sur les cas de Galilée et de Miguel Serveto (1511-1553) – Michel Servet dans sa version francisée. L’astronome italien avait été contraint de renoncer à la théorie de l’héliocentrisme sous la menace de la torture. Moins connu du public francophone, Michel Servet était un médecin et théologien espagnol célèbre notamment pour avoir découvert comment le sang passe dans les poumons pour s’oxygéner. Il développa une théologie radicale pour l’époque dans laquelle il rejetait le concept de Trinité au motif qu’il n’apparaissait nulle part de façon formelle dans les Écritures. Considéré comme hérétique, chassé d’Espagne puis de France, il fut brûlé vif à Genève en raison de son désaccord avec le réformateur Jean Calvin.

Ces préconisations ont fait bondir la puissante association de défense des consommateurs espagnole, Facua, qui a réagi en publiant un communiqué de presse. « Ainsi, écrit Facua, les étudiants devront accepter et justifier les nombreuses aberrations commises par l’Eglise catholique au cours de l’histoire dans ses conflits avec la science, parmi lesquels de nombreuses condamnations de scientifiques, et les crimes de l’Inquisition espagnole ». Facua considère par ailleurs « inouï » que toutes ces propositions aient été validées par l’actuel ministre de l’éducation José Ignacio Wert (PP, Parti populaire, droite), lequel a supprimé des programmes le cours d’éducation civique au motif qu’il constituait un « endoctrinement idéologique » et présentait un « sérieux risque de division dans la société ».

De son côté, El Pais est allé demander leur avis à d’éminents scientifiques, historiens et philosophes espagnols, quasi-unanimes sur le sujet. « L’Eglise est partie prenante et certainement pas le meilleur juge pour expliquer la vie de Serveto parce qu’elle ne peut pas en donner un traitement indépendant dans un cours confessionnel », estime ainsi José Manuel Sánchez Ron, qui enseigne l’histoire de la science à l’Université autonome de Madrid. Le philosophe espagnol Fernando Savater, auteur de Éthique à l’usage de mon fils (1991), situe, lui, la source du problème dans « l’existence même d’un cours confessionnel organisé par l’épiscopat, avec des professeurs désignés par les évêques mais payés par l’Etat ».

{{Retour au franquisme ?}}

Depuis les débuts de la démocratie espagnole, les élèves qui ne souhaitaient pas choisir les cours de religion – facultatifs – étaient obligés de prendre en contrepartie une matière alternative. Entre temps, l’intérêt des élèves pour cette matière a globalement décru. À la rentrée 2000, 83 % des élèves de l’école primaire et 64 % des collégiens s’inscrivaient aux cours de religion. En 2009, ils n’étaient plus, respectivement, que 74 % et 54 %. Depuis l’adoption de la nouvelle réforme, en février dernier, les élèves doivent désormais choisir entre religion et un cours intitulé « Valeurs culturelles et sociales » ou étudier les deux.

En Espagne, depuis les accords de 1979 (le Concordat) avec le Saint-Siège, les professeurs de religion sont choisis parmi les prêtres par le diocèse, sur approbation des gouvernements régionaux, qui les rémunèrent. Ce qui cristallise les critiques, en ces temps de crise et de coupes budgétaires. Dès avant l’adoption du projet de loi, en 2012, dans la région de l’Aragon, la coalition communiste-écologique Izquierda Unida (IU – Gauche unie) avait critiqué très vivement l’initiative, en rappelant que la région consacrait sept millions d’euros dans son budget annuel au paiement des salaires des professeurs de religion. Une somme inchangée d’une année sur l’autre, alors que les coupes dans le budget alloué à l’école primaire se montent à 4,6 millions d’euros, et que les crédits attribués aux remplacements ont baissé de 1,82 million d’euros. IU, qui milite pour un enseignement entièrement laïque, s’en était aussi pris à José Ignacio Wert, accusé de vouloir « rétablir le modèle d’enseignement catholique du franquisme ».

source : laicite-revue-de-presse.fr