Peut-on vivre sans manger ni boire ? Voilà la question centrale du documentaire Lumière, sorti au cinéma le 15 décembre

Dans le film documentaire Lumière, le réalisateur autrichien P. A. Straubinger tente de nous faire « avaler » le mythe Respirianiste, ce mouvement new age sectaire, d’inspiration orientale, dont les membres prétendent vivre sans eau et sans nourriture.

Le Prana, une énergie vitale ?

Une fable qui pourrait faire sourire, si ce mouvement n’avait pas déjà causé la mort de plusieurs adeptes. En 1999, dans les montagnes écossaises, Verity Linn, une australienne de 49 ans, avait ainsi été retrouvée morte, affamée, alors qu’elle suivait le processus respirianiste de 21 jours préconisé par Ellen Greve, alias Jasmuheen, pulpeuse gourou australienne.

Ce processus est une sorte de rituel initiatique, un jeûne extrême et dangereux devant être pratiqué dans l’isolement total (pas de visites, pas d’informations, pas de téléphone, pas de travail, ni lecture ou tout autre élément pouvant perturber cette retraite). Son but : accéder à « un état supérieur » permettant de pouvoir vivre de Lumière. Cette Lumière, appelée aussi Prana ou encore Chi, serait une sorte d’énergie vitale omniprésente qu’il suffirait d’apprendre à capter pour se débarrasser de toute contingence alimentaire.

Des expériences sujettes à caution

Un Gloubi-boulga ésotérique que prétend démontrer scientifiquement P. A. Straubinger dans son documentaire. Il s’appuie en particulier sur une pseudo-expérience menée en Inde en avril 2010 sur le yogi Prahlad Jani, qui jure n’avoir rien avalé depuis plus de 60 ans. Une équipe de médecins du Sterling Hospital d’Ahmedabad, dirigée par le docteur Sudhir V. Shah, a donc proposé d’étudier le vieil homme en l’isolant dans une chambre, sous le regard continu d’une caméra de surveillance et bien sûr, sans eau ni nourriture.

Prahlad Jani aurait ainsi tenu dix jours, à la grande surprise de l’équipe médicale. Mais l’examen des enregistrements vidéo montrent qu’à plusieurs reprises, le yogi avait quitté sa chambre, soi-disant pour aller se nourrir de Prana à l’extérieur. Il avait aussi droit de se gargariser avec de l’eau. Il a donc très certainement profité de ces moments pour s’alimenter. Très vite, l’association rationaliste indienne a crié au canular. Ses représentants n’avaient pas été autorisés à assister à l’expérience. Et on peut le comprendre. En 1999, ces infatigables sceptiques avaient déjà démonté le cas similaire de Kumari Neerja qui prétendait être la réincarnation de la déesse hindou Saraswati. Elle aussi disait n’avoir rien avalé depuis des lustres. Mais avec l’aide de la police indienne, de jeunes enquêteurs de l’association rationaliste avaient pulvérisé dans sa chambre, un gaz inoffensif provoquant des vomissements. La déesse régurgita alors des restes de patates et de chapati, le fameux pain indien.

Un médecin adepte du Jaïnisme

Autre élément suspect, le docteur Sudhir V. Shah, qui a dirigé l’expérience sur le yogi, est loin d’être neutre dans cette affaire. C’est un adepte zélé du Jaïnisme, une religion importante en Inde dans laquelle le Prana est une notion centrale. Sur son site internet, il fait du prosélytisme pour sa croyance, expliquant notamment que toute la connaissance scientifique et médicale moderne est déjà inscrite dans les textes jaïnistes vieux de plusieurs milliers d’années (www.sudhirneuro.org/jain.php). Il est par ailleurs membre de la Fédération des docteurs jaïn (www.jaindoctorsfederation.org), dont l’une des vocations est de « promouvoir la recherche scientifique et l’éduction médicale selon les principes du Jaïnisme. » Enfin, le protocole et les résultats de son expérience sur Prahlad Jani, n’ont jamais été publiés dans une revue scientifique.

Même Jasmuheen, la bimbo emblématique du respirianisme, avait participé à une expérience similaire pour l’émission australienne 60 Minutes. Mais au bout de quatre jours, le tournage avait été interrompu car son état de santé avait été jugé inquiétant par le médecin qui la suivait.

Contrairement à de nombreuses croyances, le jeûne ne présente aucune vertu, en particulier purificatrice. « Il n’est absolument pas recommandé et peut s’avérer dangereux. Il provoque des troubles de la glycémie, des convulsions, de l’hypertension, des problèmes cardio-vasculaires, un affaiblissement du système immunitaire, mais aussi un affaiblissement général et dans certains cas un coma. Un jeûne prolongé avec une perte de poids importante conduit à une mort certaine.» explique Véronique Coxam, directrice de recherche à l’INRA de Clermont-Ferrand et spécialiste de nutrition humaine. Un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) dénonçait en novembre dernier les risques des régimes amaigrissants. Alors promouvoir la nourriture pranique est non seulement absurde, mais criminel.

Victor Rodgère

Sciences et Avenir.fr

http://www.sciencesetavenir.fr/actualite/sante/20101215.OBS4742/et-la-lumiere-ne-fut-pas.html