Latifa Hachmi, 23 ans, a dû se sentir terriblement seule pendant ses longues séances d’exorcisme avant de pousser son dernier souffle le 5 août 2004 à Schaerbeek dans l’appartement qu’elle partageait avec son mari. Surtout quand l’on sait que ce traitement de choc lui a été administré par des proches : son mari qu’elle supportait de moins en moins, trois amies et Xavier Meert, un prétendu guérisseur qui avait été plus loin que son maître, Abdelkrim Aznagui, “Cheikh” autoproclamé. Ces six personnes répondent de leurs actes devant les assises de Bruxelles-Capitale où les faits sont qualifiés de tortures, ayant causé la mort sans l’intention de la donner.

Latifa Hachmi a vécu un enfer : compression de la gorge sous couvert de massages, doigt dans le larynx pour la faire vomir, plongée répétée dans une baignoire avec la tête immergée de force pendant de longues secondes à intervalles réguliers, coups assénés sur tout le corps. Elle avait aussi avalé des quantités astronomiques d’eau qui avait lavé un set de table sur lequel des versets du Coran avaient été inscrits avec du safran. L’autopsie révélera une quasi-noyade et une centaine d’ecchymoses et hématomes sur tout le corps.

Abdelkrim Aznagui, le “gourou” n’était plus là quand son disciple Xavier Meert a dirigé cet exorcisme, connu au Maroc sous le nom de “Roqya”. Un mois plus tôt, il en avait pratiqué un premier sur Latifa. Mais dans un mode mineur. En août 2004, il était au Maroc. Et il l’a répété mardi : “Il n’a aucune responsabilité, ni de près ni de loin” dans la mort. Il s’est remémoré qu’il avait été “horrifié” par les photos d’autopsie.

Cette Roqya, a-t-il dit, n’a pas été menée car Latifa ne pouvait avoir d’enfant. Si l’on emploie un bâton lors d’une Roqya, ce n’est pas pour frapper : simplement pour localiser les Djinns qui réagiraient quand on approche l’ustensile de la partie où ils sont cachés. Il n’a eu aucune formation en Roqya : c’est par ses lectures qu’il a appris cette pratique qui mêle magie, sorcellerie et religion. Avant la mort de Latifa, il avait pratiqué à une centaine de reprises. Et cela ne l’a pas dissuadé de poursuivre ses activités. Il est persuadé qu’il n’y a pas de lien entre la Roqya et la mort de Latifa. Il l’a répété en lissant sa longue barbe blanche qui lui tombe sous la poitrine.

Pour Xavier Meert, l’idée de plonger Latifa dans une baignoire d’eau “chaude mais supportable” vient d’Aznagui : “Il m’avait dit qu’il avait obtenu des résultats avec cette méthode”, a-t-il dit. Et il reconnaît que, pour ces longues, Latifa était “parfois hésitante”. Son mari, Mourad Mazouj et ses acolytes féminines devaient la porter, habillée, dans le bain. Elle s’est débattue avec l’énergie du désespoir lors de la dernière séance menée avec le seul mari. Elle a agrippé vigoureusement sa barbe. Pour se dégager, il a – tout comme Mourad – frappé Latifa : “du plat de la main, pas avec le poing”. Le mari a été jusque s’asseoir sur elle pour immerger la tête dans l’eau.

Aujourd’hui, il reconnaît des erreurs. Quand Latifa hurlait sous ce traitement de choc, il pensait que c’était les Djinns, qui possédaient le corps de Latifa, qui souffraient. Pas elle. Cette immersion forcée était pourtant son idée, reconnaît-il avant d’ajouter qu’il “regrette tous les jours”. Mais il ne s’explique pas les 100 bleus sur le corps de Latifa. Ils seraient la conséquence des coups assénés par son bâton sacré, en fait un manche de déboucheur de toilettes recouvert des 99 noms d’Allah. Il est formel : il n’a jamais frappé Latifa avec ce bâton. Et ne sait qui, des cinq autres accusés, a porté les coups qui les ont dissuadé, lui et le mari de Latifa, de prévenir les secours quand la victime était à l’agonie et aurait pu être ranimée.

Source : Lalibre.be

Jacques Laruelle

le 16/05/2012

http://www.lalibre.be/actu/belgique/article/738204/exorcisme-une-croyance-qui-aveugle-et-qui-tue.html