Oui, il est bien le prêtre exorciste du diocèse deToulouse. Mais «l’anonymat absolu» sera la condition sine qua non de l’entretien. «Sinon, je n’aurais plus qu’à déménager», justifie-t-il, le sourire las… Tant il est déjà demandé et tant les fantasmes entourant son ministère multiplient les sollicitations.

Petit pavillon en banlieue toulousaine… Dans le salon près de la bibliothèque, l’abbé Pierre se tient en photo sur le mur, à droite d’une Vierge à l’Enfant. Laquelle contemple une longue table, couverte de dossiers, de documents et de livres érudits. Pas de traités de démonologie mais plutôt le philosophe Paul Ricoeur parlant du Mal et du Pardon… «Vous savez, le mal est une réalité, nous le voyons tous les jours à la télé. Mais il ne faut pas invoquer le Malin à tort et à travers. Jésus l’a dit : «le mal est ce qui sort du cœur de l’homme», commence alors ce père qui préfère rendre à César ce qu’on prête trop facilement à Satan.

Discret septuagénaire, lui fuit comme la peste le folklore spectaculaire et les souverains poncifs, supposés attachés à sa fonction depuis un certain film… «l’Exorciste et ses dérivés, qui continuent à faire beaucoup de dégâts puisqu’après chaque diffusion, nous sommes assaillis de demandes», résume-t-il, attristé par le «manque d’esprit critique» du temps présent.

Dans une autre vie ? Il a été juriste avant d’être ordonné, voilà quarante ans. Et depuis six ans, il est donc celui que l’archevêque de Toulouse a désigné pour assumer le ministère d’exorciste du diocèse ; prêtre qui a de la bouteille, en général, pour «une pastorale du discernement», rappelle le Service national de pastorale liturgique et sacramentelle qui publie le vade-mecum officiel sur la question.

Bon an mal an, il reçoit ainsi environ 250 personnes, en moyenne, «des hommes, des femmes de tout âge toute condition, dont la demande, le plus souvent, concerne des sorts jetés, ce qui, au passage, ne relève pas de l’exorcisme… Mais, de fait, à partir du moment où ils sont persuadés d’être la victime d’un sort parce qu’ils voient les difficultés, les accidents de la vie s’accumuler, ils vont mal et sont dans une réelle souffrance», constate-t-il. «Je les accueille alors pour les aider à alléger cette souffrance, car mon ministère est un ministère d’écoute, de charité et je ne les laisse jamais repartir sans que nous ayons dit la prière de délivrance», ajoute-t-il soulignant que la pratique du prêtre exorciste est désormais «très encadrée».

Car aujourd’hui, c’est un véritable service qu’anime le prêtre, afin de prendre en charge celles et ceux qui se croient envoûtés ou possédés. «Je travaille avec une religieuse, un psychologue et un médecin et je rends compte à l’évêque», précise-t-il.

Permanence téléphonique permettant de jauger les demandes puis rendez-vous, «en présence du médecin lorsque je le juge nécessaire, sinon je refuse», et ce, afin d’élucider les difficultés et clarifier les symptômes et leur origine…

Parmi les signes d’obsession du démon que la tradition a ainsi retenus et que Le Rituel de l’Exorcisme et Prières de Supplications liste sous sa belle couverture rouge ? Il y a, par exemple, «le fait de parler ou comprendre une langue inconnue, dévoiler des faits lointains ou cachés, faire preuve de forces qui dépassent selon l’âge et la condition des forces naturelles…»

Avec le praticien, ils ont ainsi reçu un homme qui éructait un étrange sabir pouvant laisser penser qu’il était possédé… «Mais il avait surtout besoin d’une écoute et au bout d’une demi-heure, on lui a fait remarquer qu’il s’était remis à parler normalement. Qu’il fallait donc peut-être chercher une autre piste…»

Déjouer” l’enfer du décor” pour orienter alors le patient vers un médecin, un psychologue, un psychiatre sans le brusquer ni le braquer, le mot “psychiatrie” l’effrayant souvent plus que ses propres démons… Une part non négligeable de l’art de l’exorciste, confie en substance ce prêtre qui prend donc le temps de «leur expliquer que le psychiatre est d’abord un médecin et que ça ne veut pas dire qu’ils sont fous»

Pédagogie qu’appliquent également lorsqu’ils l’estiment nécessaire ses collègues de Tarbes et Lourdes, les pères Lucat et Villeneuve. «Les gens qui se disent envoûtés ? C’est souvent une espèce d’alibi humain qui permet de rejeter sa propre responsabilité dans le mal et moi je les mets en garde contre le fait de penser Satan aussi puissant que Dieu et contre les marabouts qui fleurissent en prétendant les libérer en une séance. Ils sont d’abord une souffrance sur laquelle je les invite à mettre des mots», confie ce dernier, voyant lui aussi «progresser la superstition qui dispense du retour sur soi-même et n’épargne personne. Car il n’y a pas que les chrétiens qui me sollicitent, les non croyants aussi… Lorsque je les invite à prier, certains ne connaissent même pas le Notre Père… Et puis il m’arrive aussi de répondre à des musulmans», poursuit-il.

Âgé de 89 ans, le père Lucat, lui, a repris son activité il y a 15 jours depuis la chambre de sa maison de retraite, «pour rendre service» et «j’ai déjà une quarantaine de demandes», pointe-t-il. «La première chose que je fais, c’est de leur apprendre à prier, le sens de la prière lorsqu’on dit «ne nous laisse pas tomber dans la tentation, délivre-nous du mal», ce mal qu’on laisse pénétrer en soi, qu’il faut éradiquer et qui se résume parfois à la mauvaise influence d’un proche, d’un collègue, d’un parent qui vous veut du mal», explique-t-il. Quant à Satan, l’esprit du mal justifiant un exorcisme ? «Les vrais cas de possession sont rarissimes» s’accordent-ils tous.

Cette maison «hantée» où le frigo s’arrête et repart ? «Mieux vaut appeler l’électricien… C’est comme les cas de lévitation dont on me parle en me disant «vous avez vu ! ?». Oui mais justement… je n’ai pas vu…», hoche de la tête notre prêtre toulousain. «En six ans je n’ai été confronté à aucun cas de possession au sens où nous l’entendons mais j’ai fait quelques exorcismes, car ça pouvait aider à débloquer une situation, entamer un cheminement», précise-t-il.

«Oui, rarissime à notre niveau», confirme le père Marc Prigent, ancien exorciste du diocèse de Pamiers, aujourd’hui en Bretagne. «Personnellement, en un peu plus de dix ans, je n’ai été confronté à des manifestations hors du commun que deux fois. La plus spectaculaire était une dame d’une quarantaine d’années au physique fragile qui venait volontairement. Elle a eu beaucoup de mal à entrer dans la chapelle et lorsqu’on a commencé à prier, elle s’est mise à transpirer avant de perdre le contrôle en une sorte de transe, soulevant comme des fétus de paille des bancs très lourds. La violence qu’elle exprimait était animale, avec changement de voix, d’attitude. Je lui ai demandé de se faire accompagner par un psychologue ou un psychiatre, mais elle a refusé car pour elle, elle n’était pas «folle». Comme elle ne voulait pas de cet accompagnement, je lui ai dit que dans ces conditions, je ne pouvais pas continuer non plus à l’accompagner spirituellement… Cela a été très difficile pour moi car je voyais bien qu’elle souffrait énormément…», confie-t-il. «L’ignorance, mère de tous les maux», disait le moine Rabelais. «Mais en l’état, tout n’est pas explicable par la science…» conclut le père Prigent.

«Les vrais cas de possession sont rarissimes »

source : Publié le 02/02/2014 à 07:44

http://www.ladepeche.fr/article/2014/02/02/1808820-exorciste-diocese-toulouse-vrais-cas-possession-sont-rarissimes.html
par Pierre Challier