Pas facile d’échapper à un pervers narcissique. « Faites une thérapie », recommande un psy. « Surtout pas de divan », répond un autre. « Plutôt un expert en victimologie », enjoint un troisième. Au-delà des querelles de chapelle, tous évoquent néanmoins un « sentiment de malaise », mélange de fascination et de répulsion devant un tel personnage.

Tous notent aussi que les victimes n’ont, le plus souvent, pas pu ou pas voulu entendre ces signaux d’alerte. Et lorsqu’elles en prennent conscience, il est déjà souvent trop tard. Comment l’éviter « avant » ou s’en remettre « après » ? Regards croisés de quatre spécialistes.

{{Comment le repérer?}}
Charmeur, séduisant, intelligent… Au premier abord, un pervers narcissique présente de nombreuses qualités – et c’est bien là le danger ! « Il nous comprend, nous protège du monde extérieur. Avec lui, rien ne peut nous arriver. C’est le prince charmant qui, comme chacun sait, n’existe pas dans la réalité », note Chantal Paoli-Texier, présidente de l’association AJC contre la violence morale dans la vie privée. Pour autant, le premier moment d’enchantement passé, il va immanquablement révéler sa vraie nature : intrusif, manipulateur, parfois violent dans ses propos, mais aussi « doucereux, presque hypnotique », détaille Dominique Barbier, psychiatre et psychanalyste.

Son secret? « L’identification projective: il attribue à l’autre un trait de caractère de façon abusive », explique le psychanalyste Jean-Charles Bouchoux. Exemple: Monsieur monte dans sa voiture, entame une marche arrière, emboutit par mégarde le véhicule de Madame… et reproche à sa femme de s’être mal garée!

{{Comment s’en protéger?}}
Alternant agression et douceur, démonstration de force et (fausse) soumission, le pervers narcissique réduit l’autre à l’état d’objet, niant la notion même d’altérité. La solution? « Oser! », propose Isabelle Nazare-Aga, thérapeute comportementaliste : oser dire stop, préserver son intégrité, renvoyer l’autre dans ses cordes. Quitte à paraître agressif. Comme cette femme, surnommée « pupute » (sic) par son mari, et qui ne fit cesser les choses que le jour où elle le traita de « sale pédé » en public. Encore faut-il avoir assez d’esprit critique et de confiance en soi. Ce qui, concède la thérapeute, « n’est pas si fréquent, surtout quand on a été détruit à petit feu ».

A défaut, la seule solution réside dans la fuite -à tout le moins, la mise à distance. En couple, cela suppose de sortir de la fusion; au travail, de trouver des alliés car, déplore Isabelle Nazare-Aga, « si vous n’avez pas au moins deux collègues pour vous épauler, vous risquez d’être sous pression permanente ». Quel que soit le contexte, il importe donc de sortir de l’isolement, insistent les psys : faire du sport, aller au cinéma, renouer des liens sociaux (famille, proches, amis perdus de vue…) distendus par la capacité du pervers narcissique à vous couper du reste du monde. « Il faut du temps pour sortir de cette violence insidieuse et invisible. Seule une prise de conscience intérieure peut rompre l’engrenage », note Chantal Paoli-Texier.

{{Comment se reconstruire « après »?}}
Cette question divise profondément les thérapeutes. « Trop souvent, les psychanalystes induisent l’idée que la victime est coresponsable de son sort », lance Isabelle Nazare-Aga. Or, selon elle, l’important n’est pas de s’interroger sur « Pourquoi? » (je me suis fait avoir), mais plutôt de réfléchir à « Comment? » (en sortir). Pour ce faire, « il faut déculpabiliser, ajoute Chantal Paoli-Texier, car il ne s’agit pas d’un simple conflit entre deux personnes. Grâce à son emprise, le pervers grignote le cerveau de l’autre jusqu’à le faire douter de lui-même. »

« Il faut mettre des mots sur les maux. »
Et la spécialiste de proposer des thérapies brèves, à base de mouvements oculaires automatiques (EMDR) ou d’acupression digitale, pour « déconditionner la victime de ses réactions émotionnelles. Ainsi, le souvenir persiste, mais il n’est plus actif, ce qui permet de sortir de la honte, de la peur et de la culpabilité ».

Il est pourtant essentiel, objecte Dominique Barbier, de « mettre des mots sur des maux » et, même si l’opération semble douloureuse, de décortiquer avec un professionnel les mécanismes de manipulation. Ne serait-ce que pour les identifier et éviter de les reproduire. Mais, au final, chacun en convient : quelle que soit sa forme, le « travail » consiste aussi, et sans doute avant tout, à sortir des relations d’interdépendance. Il importe de se « dé-idéaliser » et de renoncer à l’attente, si valorisante, d’être aimé de tout le monde. Victime ou pas, ce n’est simple pour personne.

À lire: La Fabrique de l’homme pervers, par Dominique Barbier. Odile Jacob, 199 p., 21,90 euros.

Les Pervers narcissiques, par Jean-Charles Bouchoux. Eyrolles, 184 p., 18 euros.

Les manipulateurs sont parmi nous, par Isabelle Nazare-Aga. Editions de l’Homme, 283 p., 22 euros.

La Violence morale au quotidien, par Chantal Paoli-Texier. Ed. J. Lyon.

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