Alors qu’une solution était attendue pour les sœurs contemplatives de Saint Jean, en crise depuis quelques années, Mgr Brincard, l’actuel délégué pontifical, a fait connaître la décision du Saint-Siège par une lettre envoyée le mardi 1er juillet aux sœurs contemplatives.

La décision du Saint Siège est ferme et tient en quatre points : un commissaire pontifical va être nommé pour accompagner l’ensemble de la Famille et ses prieurs généraux en remplacement de Mgr Brincard, délégué pontifical pour les sœurs contemplatives mais aussi assistant religieux pour les frères et les sœurs apostoliques, qui avait fait savoir qu’il était malade il y a quelques mois. Par ailleurs, «la congrégation des sœurs contemplatives de Saint Jean tiendra dès que possible son Chapitre général pour choisir son gouvernement propre».

Et, décision sans doute la plus attendue, «les ex-sœurs qui ont canoniquement quitté la congrégation des sœurs contemplatives de Saint Jean et les laïques qui voudront s’unir «pourront librement constituer une association publique de fidèles en vue de devenir un institut religieux. » » Cependant, précise la lettre «dans l’éventualité où une association ferait d’une quelconque manière référence au Père Marie-Dominique Philippe, l’Evêque diocésain, avant d’ériger une telle Association publique ou d’en approuver les normes internes, devra demander l’avis de la Congrégation pour les instituts de vie consacrée et s’en tenir aux instructions que le dicastère lui donnera, compte tenu du fait que les contenus de ce charisme sont actuellement objet de discernement.» Enfin, les sœurs qui avaient été éloignées des charges du gouvernement sont «définitivement exclues de la vie religieuse».

Une histoire compliquée
Revenons sur cette histoire compliquée. Depuis quelques temps déjà, la branche des contemplatives est fortement divisée. «La dissidence est assez majoritaire à l’intérieur de la communauté, expliquait le père Michel Cacaud, vicaire épiscopal à Lyon et assistant Délégué pontifical, il y a quelques mois. On met en avant quatre personnes mais il n’y a pas qu’elles. Tout un groupe de sœurs s’est formé autour d’elles et sont en désaccord avec le Délégué pontifical.» D’autres décrivaient une situation alarmante : «Certaines sœurs contemplatives sont profondément blessées par des années de dysfonctionnements. A une sœur qui était en désaccord avec elle, par exemple, une prieure a expliqué qu’elle était « tentée »… Dans un des prieurés, les dépenses en neuroleptiques et anxiolytiques s’élevaient à plus de 1000 euros par mois. »

Les problèmes chez les contemplatives ne datent pas d’hier. En 2003, alors que les frères de Saint Jean sont en pleine tourmente, le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon nomme un évêque émérite puis deux anciennes abbesses à la demande de la Congrégation des religieux afin de se pencher sur la branche contemplative. En 2009, devant les éléments récoltés, il demande à Soeur Alix, la Prieure générale de l’époque alors âgée de 85 ans, de démissionner avec son conseil, en accord avec le Cardinal Franc Rhodé, Préfet de la Congrégation pour les instituts de Vie Consacrée.

Que se passe-t-il alors chez les contemplatives ? Les motifs d’éviction de sœur Alix restent secrets. Mais des proches du dossier et des familles d’anciennes contemplatives évoquent «un style de gouvernance trop affectif suscitant des situations de dépendance affective», une trop grande «personnalisation du pouvoir», des entrées trop rapides dans la communauté, sans discernement suffisant occasionnant de manière générale «un défaut d’institution». En remplacement de sœur Alix, en 2009, donc, le cardinal Barbarin nomme une autre contemplative, hollandaise, Soeur Johanna, mais, comme l’explique Henri Brincard, évêque du Puy en Velay et actuel commissaire pontifical chargé d’accompagner les Soeurs Contemplatives, dans une lettre publiée en mars 2013 sur le site de la Famille Saint Jean : «Les réactions d’opposition parmi les sœurs à ces dispositions prises par l’archevêque de Lyon ont rendu impossible la tâche de la nouvelle Prieure générale, Soeur Johanna.»

La question du gouvernement
C’est alors l’évêque émérite de Nice, Jean Bonfils, qui, en novembre 2009, se voit confier l’épineuse mission de gouverner la Congrégation des Soeurs Contemplatives tandis que le pape Benoît XVI décide d’écarter quatre anciennes responsables du gouvernement : Soeur Alix, l’ancienne prieure, qui fut pendant 19 ans assistante du père Marie-Dominique Philippe à l’Université de Fribourg, sœur Marthe, sœur Isabelle, la propre jumelle de sœur Marthe, ancienne supérieure d’un couvent de formation à Cenves et sœur Agnès-Marie, ancienne assistante générale. “Soeur Marthe était Maitresse des Novices, Maîtresse des études, Maîtresse de formation, principale enseignante, principale Soeur Aînée (La soeur aînée joue le rôle dévolu normalement au père spirituel ce qui fait que les deux fors externe et interne sont mêlés…), explique un proche du dossier. Un cumul de charges sur un très long temps n’est peut-être pas signalé par le Code mais il est récrié par la pratique. On voit bien le danger de tout confier à la même personne sans qu’il y ait des moyens de régulation.”

Alors, le torchon brûle entre les sœurs attachées à l’ancien gouvernement et les autres. A l’époque, une partie des sœurs qui soutiennent l’ancien gouvernement et se trouvent en désaccord avec le commissaire pontifical demandent de pouvoir quitter la communauté pour partir au Mexique mais le Vatican met le holà au projet. La scission se creuse fin 2011 lorsqu’Henri Brincard, qui a succédé à Jean Bonfils comme commissaire pontifical en février de cette même année, décide d’organiser un temps de formation et de discernement à Saint Jodard, maison-mère des Soeurs contemplatives de Saint-Jean et lieu de formation des frères. «Certaines sœurs ont accepté de participer à cette formation. D’autres sœurs s’y sont opposées au nom d’une intégrité du charisme dont elles se croyaient dépositaires», poursuit Henri Brincard dans sa lettre.

L’intervention du Vatican
Signe de la gravité de la situation, le dossier Sœurs contemplatives de Saint-Jean passe de la Congrégation pour les instituts de vie consacrée qui relève de Joaõ Braz de Aviz à la Secrétairie d’Etat et Henri Brincard, désormais délégué pontifical, qui doit directement rendre compte au Pape dont il dépend. Dès lors, la situation va de mal en pis au sein de la branche des contemplatives. C’est l’hémorragie. Des 380 sœurs de Saint-Jean présentes en 2009, 70 seraient parties entre 2009 et 2013. Sur les 300 sœurs qui restaient, près de la moitié qui se trouvent en désaccord avec Henri Brincard, partent dans le diocèse de Cordoue en Espagne où elles créent en juin 2012 une association publique de fidèles nommée «Sœurs de Saint-Jean et de Saint-Dominique», en accord avec l’évêque local, Demetrio Fernandez. Cela leur est possible car ce sont des novices ou des sœurs qui n’avaient pas prononcé de vœux définitifs.

Le Vatican ne tarde pas à réagir contre cette association et elle est dissoute en janvier 2013 par rescrit de Benoît XVI. Les sœurs se retrouvent sans statut car ce sont d’anciennes novices ou des professes simples c’est à dire qui n’ont pas prononcé leurs voeux. «Espérance et dialogue», une association d’amis et de familles de «frères et sœurs de Saint Jean», créée le jour de la dissolution des Sœurs de Saint-Jean et de Saint-Dominique pour venir en aide à ces soeurs, dans une lettre en réponse à Henri Brincard, réfute l’accusation de désobéissance d’une partie des sœurs formulée dans le rescrit de Benoît XVI. Par ailleurs, cette association défend activement la mémoire de Marie-Dominique Philippe, fondateur de la «Famille Saint-Jean» qui avait fait l’objet d’un scandale posthume en mai dernier lorsque l’actuel prieur, le Père Thomas avait révélé l’existence des témoignages « convergents et crédibles » sur des manquements à la chasteté auprès de femmes dont il était l’accompagnateur spirituel.

Anna, qui préfère rester anonyme, est oblate de Saint-Jean et fait partie de cette association. Interrogée il y a quelques mois, elle expliquait que selon, elle, Marie-Dominique Philippe était victime de «diffamation scandaleuse». Quand on évoquait les accusations formulées à l’encontre de sœur Marthe et mère Alix, elle répondait : «Ce n’est pas l’expérience que j’en ai. Soeur Marthe est très libre et c’est ce qui fait peur.» Anna décrivait la situation de la façon suivante : «Les sœurs contemplatives de Saint Jean sont en deux branches : celles qui obéissent à Mgr Brincard et les autres, qui reconnaissent Soeur Alix comme leur fondatrice.»

Autant dire que la décision du Saint-Siège d’exclure de la vie religieuse les sœurs qui avaient été éloignées des charges du gouvernement risque de provoquer un certain nombre de remous, même si la possibilité laissée aux sœurs qui le souhaitent de fonder un nouvel institut sera sans doute accueillie comme un soulagement.

source:
http://www.lavie.fr/religion/catholicisme/famille-saint-jean-nouveau-rebondissement-dans-l-affaire-des-contemplatives-03-07-2014-54580_16.php
Marie-Lucile Kubacki