CE DONT ON VA PARLER

Quel est le rôle de l’Etat dans la lutte contre les dérives sectaires ? Le concept pilier en droit français est celui de la laïcité. L’Etat doit maintenir une neutralité complète envers les religieux et ne prendre aucune position, ni pour, ni contre. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il ne peut pas lutter contre les abus.

SOURCES : La loi concernant la séparation de l’Église et de l’État du 9 décembre 1905 La loi encadrant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics du 15 mars 2004
Le décret n° 2021-1802 relatif au référent laïcité dans la fonction publique

SYNTHESE : Le principe fondamental est la liberté de culte. L’État est aveugle à la religion de ses citoyens. Il s’agit d’un principe socle de la démocratie, car il nourrit la liberté de conviction des individus et le droit de se regrouper ; il construit une sphère personnelle inviolable au cœur de l’intimité. La conviction intérieure est du ressort de chacun. Ces éléments ont conduit au développement de la liberté de culte et d’opinion (I) et au concept de la laïcité à la française (II).

I. La reconnaissance de la liberté de culte

La liberté de culte puise sa source dans le droit fondamental de chacun de croire en ce qu’il veut (a), dans la mesure où il n’impose pas aux autres son système de valeurs comme seule vérité (b).

a. Les fondements de la liberté de croyance

« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ( Art.10 DDHC ). Ce principe est fondamental dans notre organisation politique. En proclamant que chacun est libre de développer ses propres croyances, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen met fin à une religion d’Etat et au possible contrôle gouvernemental du contenu des croyances admises. On peut croire autre chose que son souverain. Dans la mesure où il est impossible d’interdire de croire – car il s’agit là d’un fait fondamental de la condition humaine, les seules options ouvertes sont, d’une part, régimenter les croyances individuelles, d’autres part, laisser libre court à une liberté de croyance absolue. C’est le second choix, le seul possible en démocratie, qui a prévalu. Autrement dit, il ne peut y avoir de jugement moral porté sur les croyances d’une autre personne, pour absurdes qu’elles puissent paraître. Cette suspension du jugement individuel, quand il en vient à la croyance des autres est à la fois l’unique possibilité et un parti pris radical.

De ce principe de liberté de croyance découle nécessairement une série de libertés fondamentales complémentaires telles que la liberté d’association, la liberté d’expression, etc.
Des communautés doivent pouvoir s’assembler pour échanger sur leurs croyances. En outre, si l’État ne peut contrôler les croyances, cet intime au cœur de l’esprit humain, il doit protéger la liberté d’expression et assurer la diversité des médias.

Cette liberté de croyance s’oppose au contrôle de l’État, mais aussi à l’accaparement privé des croyances. Car si chacun est libre de croire en ce qu’il veut, s’ouvre un marché du culte, où tout prédicateur peut créer son Église et prêcher ce que dicte son propre intérêt.

b. Les limites : le prosélytisme, l’atteinte aux droits

La conjugaison, d’une liberté de croyance absolue et du fait anthropologique que la foi est d’abord quelque chose que l’on ne maîtrise pas, a permis la floraison de nouveaux mouvements religieux. Des entrepreneurs en religion, aux intentions plus ou moins nobles, s’enrichissent sur des charlatanismes assumés. Il s’agit de piratage privatif de la capacité de l’homme à se donner totalement à une croyance. Ces différentes dérives peuvent tomber sous le coup d’incriminations pénales, non pas en raison de la teneur de la croyance, mais en raison d’abus préjudiciant des individus ou l’ordre public. Les différentes infractions seront étudiées tout au long du présent ouvrage. Il s’agit de toute la problématique de la dérive sectaire, qui ne vise jamais un réseau de croyances particulier, mais le fait que par la privatisation d’articles de foi, certains individus nourrissent d’abord et avant tout leurs intérêts privés. Le fait religieux est la brèche ouverte à de nombreux abus et manipulations, car il saisit les individus dans les recoins d’un intime indisponible à la raison ordinaire.

Face à ce principe de la liberté de croyance, l’État, au centre de la construction sociale, a dû se positionner en construisant la théorie de la laïcité.

II. De la liberté de culte à la laïcité

La laïcité en droit français est un héritage majeur des Lumières et de la Révolution française. Il a fallu néanmoins attendre la troisième république et la loi de 1905 pour que soit consacrée une loi à la laïcité. La loi de 1905 entérine la séparation de l’Église et de l’État. La question de la laïcité se pose au sein des administrations (a) et plus généralement dans les lieux ou espaces publics (b).

a. La notion de laïcité en droit français: la neutralité de l’administration

« La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun
culte 
(Art. 2 Loi 1905». Le principe est donc que la République est aveugle au culte : elle n’en subventionne ni n’en soutient aucun. Elle ne prend pas position. Ce premier aspect est fondateur de la laïcité : le refus de l’État de choisir. De ce principe émerge une série de prescriptions : l’administration comme lieu et comme collectif humain doit maintenir la plus stricte impartialité. Ainsi, le personnel administratif et les lieux administratifs n’arborent aucun signe ostentatoire d’un culte. Il s’agit d’une obligation de neutralité ; ce concept est donc un concept très différent d’une volonté étatique de suppression du fait religieux. Au contraire, il s’agit pour l’État de dire que cette question n’est pas de son ressort et qu’il s’en détourne.

Évidemment, cette très stricte neutralité ne peut pas toujours être appliquée. Par exemple, dans les lieux de privation de liberté, un service public du culte est nécessaire pour assurer le respect de la liberté de croyance. En outre, l’État possède un patrimoine historique religieux, qu’il lui faut entretenir ; à ce titre, l’État participe à la rénovation de la cathédrale de Notre Dame de Paris, établissement de culte catholique. Des lycées à caractère religieux peuvent être sous contrat avec l’État… Toutefois, toutes ces mesures étant des exceptions au principe, il convient que l’État ou les collectivités territoriales, n’y participent que dans la stricte nécessité de l’intérêt commun.

La question de la radicalisation oblige aussi l’État à intervenir pour fermer, sur le fondement de la sécurité nationale, certains lieux de culte. Similairement, une association peut être dissoute en conseil des ministres, par décret, si par exemple elle provoque à la haine ou à la discrimination raciale.

b. Laïcité et espace public

La question est plus complexe en dehors de l’administration, lieu clos, pour atteindre l’espace public en lui-même : peut-on interdire les manifestations religieuses dans l’espace public de manière générale ? Le principe selon lequel la République ne reconnaît aucun culte, conjugué à la liberté de culte, s’oppose à une telle interdiction généralisée. Le principe de neutralité ne peut être rompu que pour assurer d’autres impératifs. D’un point de vue méthodologique, le législateur doit mettre en balance les droits et libertés en jeu pour assurer un équilibre. Par exemple, l’interdiction du voile intégral dans l’espace public se justifie pour des raisons de sécurité.

« Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit Art L141-5-1 du code de l’éducation ». Le port du voile à l’école, disposition plus contentieuse, est généralement justifiée par l’importance de la neutralité religieuse des élèves, pour permettre le bon déroulement de la scolarité. Il s’agit d’éviter de faire entrer dans la salle de classe des tabous religieux. Toutefois, force est de constater que la question de la pratique religieuse, généralement dans ses versions minoritaires, est loin de faire l’objet d’unanimité dans le débat public. Ces questions sont particulièrement complexes, car les domaines de la croyance et de la foi ne peuvent être réformés sans toucher à l’intime le plus absolu du sujet. Elles tendent à créer des réactions fortes et un clivage de la population. D’un côté la crainte de voir se développer des comportements prosélytes abusifs sont légitimes ; mais en vis-vis, le risque de communautarisation des individus, mis au ban en raison de pratiques religieuses, est bien réel.

Conclusions :

Le domaine de la conviction intérieure n’est pas discutable : sa logique est celle de l’adhésion. Il s’agit d’un lieu où chacun est libre de former ses articles de foi. D’un point de vue psychologique, la croyance ne se conteste pas, son régime de vérité est celui de la certitude et du doute, car elles échappent à la scientificité. Ce fait anthropologique recèle une faiblesse intrinsèque qu’exploitent des groupements déviants et prosélytes.

Il est dès lors impossible de faire retirer un article sur les mœurs extra- terrestres ou d’empêcher un membre de sa famille de fréquenter une communauté réprouvée. En revanche, nul employeur ne peut prescrire un culte à ses salariés.

Infos pratiques :

Plusieurs acteurs publics vous accompagnent dans le cadre des questions sur la laïcité, notamment :

  • Au niveau national, l’observatoire de la laïcité travaille sur le fait religieux et coordonne la mise en place de référents laïcité dans les différentes administrations,
  • Un Conseil des Sages de la Laïcité officie dans l’Education Nationale,
  • Le juge administratif et les préfectures peuvent être saisies en casd’atteintes à la laïcité,
  • L’inspection du travail est compétente pour contrôler les lieuxprofessionnels.Au niveau judiciaire, le Conseil constitutionnel veille au respect du principe de la liberté de culte par un contrôle des lois. Par ailleurs, la Cour Européenne des Droits de l’Homme peut juger et condamner les pays signataires de la CEDH (dont la France). Ces juridictions peuvent être saisies par des particuliers contestant des dispositions législatives ou administratives.