CE DONT ON VA PARLER :
Je me demande s’il est raisonnable de donner la moitié de mes revenus à mon Eglise. Est-ce que je peux demande l’avis d’un service administratif?
Existe-t-il des infractions spécifiques à la dérive sectaire ? Un centre de médiation a fait l’objet de plusieurs condamnations pour escroquerie. Peut-on demander à un juge de dissoudre l’association ?
SOURCES :
La loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales.
Décret n° 2020-867 du 15 juillet 2020 modifiant le décret n° 2002-1392 du 28 novembre 2002 instituant une mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.
Décret n°2002-1392 du 28 novembre 2002 instituant une mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.
SYNTHESE :
La loi About-Picard, votée à l’unanimité par l’assemblée, est la résultante d’une commission d’enquête parlementaire déclenchée par les suicides de masse d’origine sectaire qui ont violement ébranlé l’opinion publique. La loi About-Picard modifie le droit français pour y intégrer des dispositions de lutte contre les dérives sectaires (I), dispositif législatif complété par la Mission Interministérielle de Vigilance et de lutte contre les Dérives Sectaires (la MIVILUDES) qui intervient auprès d’autres organes administratifs pour lutter contre des groupes déviants (II).
I. La Loi ABOUT-PICARD : Le cadre juridique de la lutte contre les dérives sectaires
La loi About-Picard, obtenue de haute lutte, est le marqueur d’une prise en compte de la dérive sectaire dans le dispositif juridique français, notamment en ouvrant l’infraction d’abus de faiblesse à des cas d’emprise mentale (a) offrant aux praticiens des outils de lutte contre les groupements sectaires (b).
a. L’ouverture de l’abus de faiblesse à l’emprise mentale
La loi About-Picard est le premier jalon dans la lutte contre les dérives sectaires, car elle vient mettre fin à un vide juridique en donnant leurs premiers outils aux praticiens. L’apport principal de la loi About-Picard est la révision de l’article L 223-15-2 du code pénal, créant une incrimination de l’abus de faiblesse par l’emploi de techniques psychologiques. L’abus de faiblesse existaient antérieurement à la loi About-Picard, mais ne prévoyait que des cas de faiblesses en lien avec une fragilité déjà existante : âge, handicap, situation de précarité, maladie. Il n’y avait pas d’appréhension de la manipulation psychologique comme constitutive de l’abus de faiblesse. La loi dit maintenant : « Est puni […] l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse […] d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables ». L’expression de techniques psychologiques renvoie sans le dire à la notion psychologique d’emprise mentale.
A l’origine le projet de loi prévoyait une définition de la manipulation mentale et la création d’une infraction la concernant de manière autonomie. Cet article n’a pas été retenu dans la loi finalement votée, ainsi la loi ne crée pas une infraction autonome d’emprise mentale. L’article L 225-15-2 est aujourd’hui critiqué par les praticiens, car souvent mal compris par les autorités en raison de la lourdeur de sa rédaction. Beaucoup de juridictions refusent de caractériser l’abus de faiblesse sans la preuve d’une condition préalable (infirmité, troubles mentales) quand le texte n’en dit rien. Il y a la démonstration que l’idée de techniques psychologiques suffisantes pour saper les bases mêmes du libre arbitre n’est pas encore pleinement acceptée.
En effet, dans le cadre d’une emprise mentale, c’est bel est bien l’état de sujétion psychologique de l’adepte à l’idéologie du culte, qui constitue la « situation de faiblesse ». A partir du moment où une personne est prise dans un culte, sa capacité à agir selon son libre arbitre est intrinsèquement obérée. La personne opère selon le référentiel délirant en vigueur dans l’organisation. D’un point de vue sociologique, les sectes s’intéressent à des jeunes souvent éduqués ; pareillement, les mouvances de radicalisation islamiste veulent des soldats vigoureux et capables. C’est l’adhésion progressive de la victime à la vérité fournie par un recruteur, formé à endoctriner, qui génère l’état de sujétion et la faiblesse. En réalité, à partir du moment où un individu a débuté son adhésion à une mouvance sectaire : changement de comportements, du cercle de sociabilité, de croyances – il est dans une situation de faiblesse. Car, alors, son système de décision interne se fonde presque exclusivement sur le cadre de référence proposé par le groupe, pris en la personne du recruteur ou du gourou.
b. La lutte contre les groupements
La loi About-Picard permet au-delà de l’abus de faiblesse d’obtenir la fermeture administrative de groupement déviant. La loi prévoit que « peut être prononcée, selon les modalités prévues par le présent article, la dissolution de toute personne morale [..] qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer ou d’exploiter la dépendance psychologique ou physique des personnes (…) ». Malheureusement, cette condamnation est restée pour le moment lettre morte et n’a pas fait, à notre connaissance, l’objet d’application, quand bien même plusieurs mouvements ou groupements répondent à tous les critères pour leur dissolution. Un travail des associations et des praticiens doit être mené sur ce front, car la loi prévoie que « la procédure de dissolution est portée devant le tribunal judiciaire à la demande du ministère public agissant d’office ou à la requête de tout intéressé ».
Par ailleurs, la loi About-Picard limite les possibilités des groupements déjà condamnés de faire de la publicité et de diffuser des informations auprès de la jeunesse. Similairement à la dissolution de groupements sectaires, ces dispositions n’ont fait que l’objet de peu de mise en oeuvre pratique.
Les dispositions légales font l’objet d’une mise en oeuvre par des organes administratifs spécialisés.
- Les organes administratifs de la lutte contre la dérive sectaire
La Miviludes est un organe administratif sous l’autorité du secrétaire général du comité interministériel pour la prévention de la délinquance et de la radicalisation. Elle a une mission de conseil et doctrinale (a.) auprès de nombreux acteurs administratifs participant à la réponse étatique à la dérive sectaire.
a. La Miviludes
La Miviludes est un organe administratif sous l’autorité du secrétaire général du comité interministériel pour la prévention La Miviludes est un organe administratif sous l’autorité du secrétaire général du comité interministériel pour la prévention de la délinquance et de la radicalisation. Elle a une mission de conseil et doctrinale qui résulte en l’émission de rapports d’activités et la réception de signalements. La Miviludes est une équipe d’agents administratifs dédiés à l’observation et à la surveillance des mouvements à caractère sectaire. Elle est généralement dirigée par un magistrat du siège. La Miviludes travaille avec les administrations et leur propose des formations. Elle coordonne aussi des projets avec l’aide des associations.
La Miviludes peut recevoir sur son site Internet des signalements. La Miviludes n’a pas de pouvoir d’enquête, elle peut néanmoins transmettre aux services compétents la demande d’enquête. Enfin, la Miviludes produit des rapports d’activités qui permettent de comprendre ce qu’elle fait et de mesurer l’importance de son activité.
b. Les autres organes administratifs et d’enquête
La France s’est dotée de services d’enquêtes spécialisés sur la question des dérives sectaires et notamment la CAIMADES au sein de la gendarmerie qui est un ensemble d’enquêteurs spécialement formés aux dérives sectaires. Au niveau des préfectures sont aussi mis en place des référents qui peuvent intervenir en cas de problématiques sectaires. Enfin, au niveau local, les services de police et de gendarmerie, sous la direction du ministère public, peuvent ouvrir des enquêtes et mettre en œuvre l’action publique pour poursuivre au pénal des auteurs d’infractions.
Enfin, au niveau médical, les ARS (agences régionales de santé) ainsi que les ordres des médecins peuvent être saisis en cas de pratique illégale de la médecine et d’usurpation de titres médicaux. Cela arrive fréquemment dans le cadre de mouvements sectaires qui développent leur propre thérapeutique et tendent à se méfier de la médecine.
Conclusion :
La création de la MIVILUDES et la loi ABOUT-PICARD expriment bien la prise en compte du sérieux des risques liés à la dérive sectaire par les services publics. La présence d’un organe administratif dédié permet de maintenir une connaissance de la dérive sectaire au sein des services de l’administration et d’assurer la formation dans les préfectures d’agents formés et compétents pour comprendre et repérer des abus liés à l’emprise mentale.
Infos pratiques (www.miviludes.interieur.gouv.fr/) :
En cas de doute ou de difficulté avec un groupement présentant une déviance sectaire, il est possible de saisir la MIVILUDES d’une demande par le formulaire en ligne sur leur site Internet. La MIVILUDES peut alors apporter son opinion et saisir le procureur compétent d’une demande d’enquête.
Il est conseillé lors de la saisine de la MIVILUDES d’être le plus précis et le plus complet possible sur les faits et les événements en apportant des éléments précis sur les éléments de la dérive : pratiques illégales de la médecine, montants financiers réclamés… En effet, la MIVILUDES aura besoin de ces éléments précis et objectif pour saisir avec succès un procureur de la République.