CE DONT ON VA PARLER :

Quels sont les points communs des groupements sectaires ? Existe-il des critères permettant à coup sûr de les distinguer d’autres groupements inoffensifs. Le droit positif français, sans donner une définition formelle du groupement sectaire, a tout de même fait émerger une série de critères d’identification.

SOURCES :

– Circulaire du Premier ministre du 27 mai 2005 relative à la lutte contre les dérives sectaires.

– Circulaire du Ministre Délégué en charge de la Citoyenneté en date du 2 mars 2021 (INTK2106626)- Robert Jay LIFTON, Thought reform and the psychology of totalism — a study of “brainwashing” in China, Martino Publishing, Mansfield Centre, CT, 2014, 510 pages.

SYNTHESE :

On ne parle pas de secte en France, cela résulte du principe de laïcité (F. 1-1), l’État ne prend pas partie sur la valeur des croyances ; cependant, certains groupements ou mouvements peuvent présenter un caractère déviant, on parle alors de dérives sectaires. 

La Miviludes liste 10 critères : 

(1.) la déstabilisation mentale, 

(2.) le caractère exorbitant des exigences financières, 

(3.) la rupture avec l’environnement d’origine, 

(4.) l’existence d’atteintes à l’intégrité physique, 

(5.) l’embrigadement des enfants, 

(6.) le discours antisocial, 

(7.) les troubles à l’ordre public, 

(8) l’importance des démêlés judiciaires, 

(9.) l’éventuel détournement des circuits économiques traditionnels, 

(10.) les tentatives d’infiltration des pouvoirs publics. 

Les critères s’articulent autour de deux concepts, un embrigadement sur un discours anti-social conduisant à des abus.

I. LES CARACTERISTIQUES DU DISCOURS SECTAIRE

La dérive sectaire se construit d’abord sur un discours totalisant (a) sans pour autant être religieux par essence (b).

a. Un discours absolu et irréductible au général

L’envers de la dérive sectaire, d’un point de vue psychologique est l’emprise mentale. Autrement dit l’asservissement psychologique à un régime de vérité. Cet effet psychologique rejaillit d’un point de vue plus social sur l’organisation du groupe qui pour assurer cet assujettissement doit mettre en place des conduites et des comportements qui se répètent. Le premier est l’établissement d’un discours antisocial.

Par discours antisocial, il faut entendre un discours qui est en marge du discours normal socialement admis. Il est par définition minoritaire, secret, généralement réprouvé par le pouvoir en place. Que cela soit un discours du bien-être, une métapsychologique, des explications économiques, ces discours sont ce que l’on ne vous apprendra jamais en dehors du groupement. Ils finissent par rejeter le commun. L’enferment sectaire et la sortie du régime commun de vérité du groupement le fait dévier vers une conception globalisante de la réalité prise dans un discours capable de tout expliquer. Il prend la dimension d’une vérité absolue qui est réservée à un groupe. 

Le discours sectaire devient rapidement irréductible au général. Il comprend tout et doit être accepté comme un système qui sort du cadre commun. C’est justement par son côté systématique, qui sait tout, que l’emprise commence à se mettre en place, car il peut répondre à toutes les questions. Tous les mouvements sectaires ne parviennent pas à ce niveau de raffinement mais le caractère totalisant de la croyance est un des facteurs remarquables.

Il y a une vérité qui est inaltérable et sacrée. Les éléments du crédo du groupe ont une vérité scientifique, politique, philosophique et morale absolue. Il s’agit de purs articles de foi dont tout doute est refusé. A partir du moment où le dogme du groupe ne peut être mis en question et que le débat n’est pas permis on est en présence d’une « science sacrée » qui fonctionne par argument d’autorité et non par la mise en place d’un débat et d’un consensus scientifique. On retrouve la science sacrée évidement dans les groupes religieux, mais aussi dans des groupes sectaires qui prétendent qu’une certaine forme de yoga ou de méditation permet d’atteindre tout un tas de bienfaits. Ces deux pratiques peuvent avoir leurs avantages, il y a sciences sacrées quand ces avantages deviennent trop universels et n’ont pour seule preuve la parole du groupement. 

Cette vérité s’enracine dans un vocabulaire propre au groupe, un jargon, et dont les termes sont particulièrement tranchés. On peut les comparer au point brownien[1] en rhétorique, il s’agit de termes qui arrêtent tout débat et qui empêchent la discussion. Par exemple dans les purges communistes ont parlait « d’ennemi de classe », de « bourgeois », ces termes définitifs n’ouvrent la place à aucun débat possible. Des groupements évangéliques vont pouvoir dire qu’une personne est « possédée », des intégristes parler « d’infidèles ». Les termes peuvent venir des comportements vestimentaires, sexuels et cataloguer les personnes hors du groupe. Il peut aussi s’agir de slogan politique. L’objectif est de créer des phrases toute-faites qui incarnent la vérité du groupe et qui permettent de qualifier de manière définitive une attitude. On retrouve cela dans les médias : « islamo-gauchisme », « facho », « wokisme » … 

La doctrine du groupe vaut toujours plus que les circonstances particulières des individus. On retrouve des exemples frappant dans les pseudo pratiques médicales où le groupement plutôt que de proposer de vrais soins vont avoir recours à des guérisseurs. Il y a aussi le fait qu’il y a un modèle unique qui n’est jamais remis en question et valable pour tout le monde. Quand la psychothérapie suppose un travail sur chaque individu pour lui permettre de développer ses qualités propres et trouver son propre sens à l’existence, selon une quête individuelle et respectueuse de sa personnalité, dans le cas d’une emprise mentale la personne est réifié pour entrer dans les modèles archétypaux du groupe. On retrouve par exemple une distinction sexuée forte « homme/femme » ou un modèle « androgyne », un mode de vie unique, un bonheur unique. On est sur un modèle unique. 

  1. … qui n’est pas pour autant religieux

Si dans le langage courant secte = mouvement religieux minoritaire, tel n’est pas le cas dans le langage juridique. La dérive sectaire n’a rien à voir avec le religieux, la foi, ou les croyances sous tendant les groupements. Il s’agit uniquement de la dérive c’est-à-dire l’abus qui est l’objet d’une contestation. Dès lors, aucun élément religieux n’apparait dans les critères retenus. En pratique, et surtout les évolutions sociologiques récentes, montrent que le phénomène sectaire s’écarte du religieux pour croitre dans le domaine de la santé, du développement personnel, dans la mise en place de système économique pyramidaux.

La dérive sectaire ne frappe pas que le domaine du religieux. On trouve notamment de nombreuses dérives de type sectaire dans le domaine de la santé, avec des pseudo-médecins, shamans ou psychopraticiens qui se proposent de soigner sans aucune qualification que leurs amulettes et théories ésotériques. Le domaine économique, avec les organisations de vente pyramidale, comporte aussi des groupements déviants qui vendent à leurs membres la croyance en une émancipation financière facile, moyennement le suivi de formations, l’achat de droits de franchise, pour commercialiser des produits douteux. Dans ce type de structure les mécanismes de l’emprise mentale sont présents. L’industrie pornographique, mais aussi les réseaux de traite humaine ou criminels, présentent similairement les éléments caractéristiques de contrôle propre de la dérive sectaire. Enfin, de nombreuses organisations de types politiques peuvent tomber sous la coupe d’un gourou, seul porteur de la vérité. Il faut ici bien comprendre que la dérive sectaire ne relève pas exclusivement du domaine du religieux, mais est une réalité bien plus large et découlant d’une réalité anthropologique de l’homme. Derrière la dérive sectaire, c’est toujours l’emprise mentale qui pointe son nez. Enfin, l’emprise peut aussi se jouer dans un cadre familial ou dans des relations à toxiques à deux.

Cette approche juridique de la dérive sectaire doit être complétée d’une approche psychologique de cette réalité : l’emprise mentale.

 GROUPEMENT ALIENANT LA PERSONNALITE DE SES MEMBRES

Si la dérive sectaire est la notion plus juridique, la réalité psychologique est celle de l’emprise mentale, qui est une série de mécanismes psychologiques par lesquels un individu abandonne son libre arbitre à un gourou (a.) généralement à son préjudicie en raison des abus qu’il peut subir (b.)

  1. Le totalitarisme de la pensée…. 

Pour Robert Jay Lifton, le groupe sectaire met en place des techniques de contrôle de l’adepte.

Il s’agit de la mise en place de contrôle des adeptes. Cela peut passer par une vie en communauté, une l’obligation de cohabitation, de fréquentation assidue de réunion ou de séminaires, la mise en place de contrôle par l’existence de chaperon, la réalisation de vérification, la diffusion de guide de conduites, le suivi des relations personnelles et professionnelles, la réalisation de procédures d’enquête ou de tests. Le contrôle peut être réel ou une croyance construite. Il s’agit de tous les éléments mis en place pour assurer une surveillance et un contrôle physique ou psychologique de l’individu. Il s’agit donc de dispositifs ou de pratiques permettant aux cadres du groupement de contrôler les membres. Le contrôle peut être insidieux : réalisation d’un séminaire à l’étranger ou dans un lieu reculé pour que l’adepte ne puisse pas partir pendant la durée du séminaire, la suppression des moyens de communication (pour que le monde intérieur ne vienne pas bloquer par leurs mauvaises odes la croissance en cours…). 

Il s’agit de la création artificielle d’événements, ou de sensations, utilisés par le groupe comme validation du discours. En créant des ascenseurs émotionnels, en donnant des interprétations à des événements fortuits, le groupe manipule les croyances. Les illustrations ne manquent pas : la pratique de groupes de cri primal, l’organisation de séminaires ayant pour objet de la mise en place de trances collectives, la réalisation d’exercices psychologiques, de méditation, les pratiques du bombardement d’affections (tous les membres du groupe sont particulièrement accueillant et affectueux avec l’entrant pour lui donner une sensation de protection maternelle qui est en réalité commanditée par la volonté de recruter). Quand un adepte a une émotion ou réussi quelque chose tout est ramené à une preuve de la vérité des croyances. Un exemple presque comique est rapporté par Margaret Singer qui expose une secte imposant un végétarisme sévère, le passage d’un régime alimentaire carné à un régime végétarien entraînent de manière physiologique des maux de vente, la manipulation consiste pour le groupe à dire que l’existence des maux de ventre est la preuve de l’existence de toxine, ou de mauvaises pensées, ou de mauvais karma à extirper. La réalité physiologique est réinterprétée comme preuve intime de la réalisation de la vérité du groupe. Une joie, une tristesse deviennent un marqueur d’un progrès ou d’un travail à faire. 

Mettre en place un idéal inatteignable pour pousser les adeptes à vouloir aller toujours plus loin. Il s’agit de mettre en place une discipline sévère que les adeptes doivent suivre pour se purifier : par exemple, régime végétarien, abstinence sexuelle, pratiques religieuses importantes. Si le perfectionnisme est une donnée naturelle de l’homme, les auteurs d’emprises mentales l’utilisent pour montrer en permanence les insuffisances des membres et d’aller plus loin de leur pratique. Il s’agit d’exploiter la tendance humaine naturelle à vouloir aller plus loin, un sens compétitif, pour les pousser à pratiquer encore plus la vérité du groupe. C’est la reprise à leur compte par le groupe de l’expression sur surmoi naturel des individus. La pression sociale et de socialisation se refait selon les normes inatteignables du groupe. Une technique fréquente est l’existence de pallier ou de niveau initiatique dont l’obtention est de plus en complexe. La pureté est toujours à renouveler par un nouveau niveau de connaissance.

Obligation de raconter ses expériences et surtout ses tentations aux membres du groupe. Plus généralement, il s’agit d’une volonté de détruire les frontières personnelles des membres du groupe et de faire naître l’idée que toutes les pensées doivent être partagées. Les confessions peuvent porter sur les éléments passés mais aussi sur les mauvaises pensées. Il ne s’agit pas forcément de raconter des choses interdites mais cela peut simplement être de présenter ses défauts, les éléments qui nous empêchaient de progresser. Dans les groupes à tendance thérapeutiques, cela peut par exemple prendre la forme de demander pardon à toutes les personnes que l’on a pu blesser, faire la liste de mauvaises attitudes qui nous empêchaient de réussir. Ce qui est un élément d’emprise mentale est la répétition de ces confessions qui deviennent une part de l’hygiène de vie du groupe. Il y a en permanence une exigence de l’adepte de se livrer. Le culte de la confession est particulièrement efficace car il engage l’adepte dans la reconstruction et la réinterprétation de son propre passé selon l’idéologie du groupe. La réalisation de cette reconstruction en public entraîne des mécanismes psychologiques de soumission particulièrement efficace. 

b. …conduisant à des abus

Les abus conséquences de l’emprise mentale sont nombreux et généralement sont de l’ordre financier, personnel et familial.

Afin de pouvoir maintenir l’emprise les groupes présentant des déviances sectaires s’attachent à briser les liens avec la famille et l’entourage présentés comme un danger. Il s’agit d’ailleurs généralement d’un des signes caractéristiques d’un début d’emprise mentale : éloignement de l’individus de son cercle de sociabilité

La dérive sectaire contient souvent la promesse de changement ou l’exigence d’un changement pour se conformer aux demandes du groupe, cela va dans des modes alimentaires, dans l’activité professionnelle, dans le lieu de vie, ou l’intégration d’une communauté, un déménagement, la pratique d’exercices spirituelles, une modification du caractère et des émotions … Il s’agit là d’une mise en œuvre de la vérité totalisante : toute comportement doit être adaptée à ses prescriptions, incluant des pratiques sportives, méditatives, des prières, des positions politiques, des questions d’ordre vestimentaire ou comportemental. La vérité devient le prisme par laquelle toute décision est prise et à laquelle tout comportement doit se conformer. 

Le fait de payer une cotisation n’est pas constitutif d’une dérive sectaire. C’est l’importance répétée et la disproportion de la demande, son caractère déraisonnable : donner mensuellement une part importante de ses revenus, payer des formations ou des stages pour un prix clairement démesuré par rapport au bénéfice escompté, ou par rapport au prix de marcher, le fait qu’il y ait plusieurs niveaux d’instructions avec la promesse pour chaque niveau d’avoir accès à de nouvelles connaissances plus puissantes et donc coûtant plus chers.

L’utilisation d’un contexte cultuel pour exiger des relations sexuelles, sur la base de théories d’union mystique ou de prostitution des adeptes, est tristement fréquent. L’impact d’un mouvement présentant des dérives sectaires sur la vie sexuelle de ses participants prend aussi aspect négatif : des interdictions, le refus d’une sexualité non validée par le gourou. 

Les groupes à dérive sectaire ont souvent tendance à se méfier de la médicine et à proposer leurs propres thérapeutiques et cela notamment pour tout ce qui traitent des problèmes psychologiques. Les conséquences peuvent être dramatiques car conduire à écarter une personne ayant une grave maladie de la médecine conventionnelle. 

Conclusion :

La dérive sectaire n’est donc pas la condamnation d’une série de croyances, mais vise au contraire l’utilisation abusive de croyances par un gourou au détriment des membres de son groupe. Le ressort psychologique est l’emprise mentale qui peut exister en dehors du fait religieux.

Le fait d’assister à la messe dans une Église non reconnue n’est donc pas constitutif d’une dérive sectaire. Cependant, le changement d’attitude d’un ami dans le cadre de formation au développement personnel est inquiétant et peut être le révélateur d’une dérive sectaire ou d’une radicalisation.

Infos pratiques :

De nombreuses associations peuvent vous conseiller et vous accompagner pour sortir d’un groupement sectaire ou assister les membres de la famille d’une victime.

Les associations suivantes sont les principales associations spécialisées sur la question : 

Le CCMM Roger IKOR (le Centre Contre les Manipulations Mentales) : le CCMM a été fondé 1981 par l’écrivain Roger Ikor pour lutter contre les dérives sectaires. L’association a une permanence téléphonique permettant de recevoir les appels de détresse et accompagne de nombreuses familles. Elle possède des relais sur tout le territoire métropolitain et dans les régions d’outre-mer. (www.ccmm.asso.fr)

Le FECRIS (Fédération Européenne des Centres de Recherche et d’Information sur le Sectarisme) est une association européenne dont est membres de nombreuses associations de lutte contre les sectes. La FECRIS est référente auprès de l’ONU et du Conseil de l’Europe sur les questions des dérives sectaires.(www.fecris.org)

Le GEMPPI est une association basée à Marseille (membre du réseau CCMM) qui lutte contre les dérives sectaires depuis 1988. Le GEMPPI a une permanence pour recueillir les demandes de victimes d’abus sectaires. (www.gemppi.org)

L’UNADFI est une association de dimension nationale fondée en 1974 et participant à la lutte contre les dérives sectaires. Elle offre des consultations aux victimes sur rendez-vous et possède une vaste documentation sur le domaine sectaire. (www.unadfi.org).