CE DONT ON VA PARLER :
Il y a dérive sectaire car au-delà de la sociologie du groupe se met en place au niveau de l’individus un phénomène psychologique nommé emprise mentale. Par ce phénomène, le sujet introjecte le groupe dans sa psyché et entre totalement dans sa sphère d’influence et ne parvient plus à déterminer le vrai du faux en dehors du système de vérité sectaire.
SYNTHESE :
L’emprise mentale a fait l’objet de tout un travail de psychologues afin d’en cerner les contours. Dans les dossiers d’abus de faiblesse, des expertises psychologiques doivent être demandées afin d’en déterminer les contours, généralement selon la proposition du Professeur Parquet qui liste 10 critères (dont la réunion de 5 suffit pour prouver l’emprise). Il convient d’analyser les critères (I) avant d’étudier les mécanismes mis en place pour assurer l’émergence d’une telle emprise (II).
I. LES CRITERES DE L’EMPRISE MENTALE
La jurisprudence et les experts judiciaire articulent leur raisonnement sur une série de critère (a) qui correspond à la mise en place d’un rapport de pouvoir interpersonnel (b).
a. Les critères de l’emprise mentale
Les dix critères du professeur Parquet :
1. Rupture avec les modalités antérieures des comportements, des conduites, des jugements, des valeurs, des sociabilités individuelles, familiales et collectives.
2. Occultation des repères antérieurs et rupture dans la cohérence avec la vie antérieure.
3. Acceptation par une personne que sa personnalité, sa vie affective, cognitive, relationnelle, morale et sociale soient modelées par les suggestions, les injonctions, les ordres, les idées, les concepts, les valeurs, les doctrines imposés par un tiers ou une institution : ceci conduisant à une délégation générale et permanente à un modèle imposé.
4. Adhésion et allégeance inconditionnelle, affective, comportementale, intellectuelle, morale et sociale à une personne ou à un groupe ou à une institution, ceci conduisant à :
Une loyauté exigeante et complète,
une obéissance absolue,
une crainte et une acceptation des sanctions,
une impossibilité de croire possible de revenir à un mode de vie antérieur, ou de choisir d’autres alternatives étant donné la certitude imposée que le nouveau mode de vie est le seul légitime.
5. Une mise à disposition complète, progressive et extensive de sa vie à une personne ou à une institution.
6. Une sensibilité accrue dans le temps, aux idées, aux concepts, aux prescriptions, aux injonctions et ordres, à un « corpus doctrinal », avec éventuellement une mise au service de ceux-ci dans une démarche prosélyte.
7. Dépossession des compétences d’une personne avec anesthésie affective, altération du jugement, perte des repères, des valeurs et du sens critique.
8. Altération de la liberté de choix.
9. Imperméabilité aux avis, attitudes, valeurs de l’environnement avec impossibilité de se remettre en cause et de promouvoir un changement.
10. Induction et réalisation d’actes gravement préjudiciables à la personne, actes qui antérieurement ne faisaient pas partie de la vie du sujet. Ces actes ne sont plus perçus comme dommageables ou contraires aux valeurs et aux modes de vie habituellement admis dans notre société.
b. La soumission librement consentie
L’emprise mentale est un phénomène auquel tout le monde peut sombrer. L’entrée dans cet état de subjugation est généralement le résultat d’un parcours de recrutement par des agents experts et formés pour manipuler et mettre en œuvre un conditionnement psychologique dont il est difficile de sortir.
La construction totalitaire de la dérive sectaire se construit toujours sur un chef charismatique, ou un groupement charismatique, qui fonde le groupe sur la base d’un pouvoir personnel. Le charisme n’est pas une particularité physique du chef, mais bien plus une relation sociale, un lien de pouvoir et une dynamique interpersonnelle entre le sujet et le chef. Il y a charisme quand un ou des gourous ont le pouvoir de dire le vrai, d’ordonner, d’être institué dans la position de celui qui est seul supposé savoir.
Le gourou est réputé savoir et est porteur d’une vérité auto-suffisante et totalisante : elle peut répondre à tous et par des principes généraux et peut offrir un viatique philosophique et thérapeutique. La vérité régit de nombreuses questions propres à la conditions humaines : ce qu’il faut faire, comment être, elle contient des valeurs et des jugements. Cette vérité ne peut pas être l’objet d’un contredit, tout ce qui est hors d’elle est réputé négatif. Le seul interprète est le gourou, seul sachant. La vérité complète n’est que rarement transmise en entier au disciple, il y a souvent une initiation et des niveaux. D’abord des principes généralement acceptables, des généralités, et au fur et à mesure que le disciple se rapproche du gourou, plus les éléments des principes et de croyances sont forts. Cette vérité repose sur des articles de fois dont le gardien est le gourou. Il ne s’agit pas que de vérités religieuses, elles peuvent être superstitieuses, politiques, économique, de bien-être. La source première de cette vérité est souvent inspirée, secrète, transmise par du divin ou de grands génies, elle est dotée d’un certain secret.
Il s’agit là du point le plus important et sans doute le plus dur à comprendre. L’adepte doit se soumettre volontairement à cette vérité totalisante. Cette soumission volontaire, c’est-à-dire qui part d’un consentement de l’adepte, est bien évidement biaisé car le consentement, n’est ni libre ni éclairé, mais il y a toujours une demande du chef, que l’adepte adhère à la vérité totalisante de son plein gré. L’adhésion est en réalité simple dans la mesure où elle fonctionne comme un plébiscite « moi ou rien », le savoir ou l’ignorance. La vérité étant totalisante, le fait pour le futur converti de l’accepter, fait qu’il entre dans l’univers du gourou, gardien, chef et interprète de cette vérité, qui n’accepte aucune contradiction ou alternative. L’adepte modifie alors son cadre de valeurs et de références pour un autre, pris comme un article de foi, sous le contrôle du gourou. La dynamique psychologique est que cette vérité abstraite et totalisante est librement choisie par l’adepte, qui doit tout considérer par son prisme. Le caractère charismatique du chef ne vient pas seulement de caractéristiques physiques, mais dans la croyance qu’il incarne et est réputé savoir l’entier de la vérité, que l’adepte décide de placer au centre de sa vie, comme source origine de ses décisions et de ses jugements de valeur des différents éléments composant sa réalité. Il y a dès lors une dynamique de pouvoir et une soumission librement consentie de l’adepte au gourou par le biais de la vérité. C’est par la vérité que l’adepte organise sa vie psychique et qu’il attribue tout pouvoir au gourou.
Cette approche juridique de la dérive sectaire doit être complétée d’une approche psychologique de cette réalité : l’emprise mentale.
II. LA MISE EN PLACE DE L’EMPRISE MENTALE
L’emprise mentale résulte d’un processus d’endoctrinement (a.) reposant sur des techniques psychologiques bien établies (b.)
a. Le processus d’embrigadement
L’emprise mentale est généralement décrite comme mise en place selon 4 étapes successives : Séduction, la déstabilisation (unfreeze), le changement et la restabilisation (refreeze).
La séduction. La première étape est dite de séduction. Elle est l’objet d’un recruteur. Elle peut être faite en personne ou aujourd’hui souvent par des réseaux sociaux. La procédure de séduction peut être longue. Il s’agit pour le recruteur de créer un lien d’amitié et de confiance avec la personne recrutée principalement en utilisant des stratégies psychologiques de bombardement d’affection (love bombing). Il s’agit pour le recruteur de montrer que la victime est unique, qu’elle est élue, particulièrement sensible, belle, intelligente et que le monde extérieur contrairement à lui le comprend et le voit. La participation à des premiers ateliers ou activité de groupe ou cette affection est exprimée par tous les membres du groupe comme un accueil complet est un des outils les plus puissants et couramment utilisés. Il s’agit de montrer au futur converti l’amour et le soutien qu’il réservera s’il intègre le groupe. Le séducteur a tendance à valider et soutenir toutes les positions de la victime à lui montrer à quel point elle est parfaite. Plus cet affect est fort plus la seconde étape sera capable d’avoir un effet sur la victime.
La déstabilisation. Une fois le rapport établi la deuxième étape est de déstabilisation. Il s’agit de critiquer la personne, de lui faire sentir qu’elle n’a pas tout fait, de lui faire critiquer ses points faibles. Elle est parfaite mais en a-t-elle tiré toutes les conséquences. ? n’est-elle pas encore sous le coup de sa famille ? La déstabilisation a pour objet de faire remettre en cause la victime ses modes de vie et lui donner envie d’accéder à un changement. Après l’amour inconditionnel, il y a une frustration artificielle ayant pour objet que la victime commence à vouloir rejeter et décrier sa vie ou son mode de vie antérieure.
Le changement. Une fois la déstabilisation réalisée, le recruteur va pouvoir proposer une solution permettant à la victime de quitter de ce qu’elle décrie et retrouver l’amour universelle de la séduction, il s’agit pour la victime d’accéder de manière volontaire, d’accepter, une vérité supérieure prononcée par le recruteur et qui suppose des changements. Il s’agit de l’adhésion à la vérité charismatique. Ces changements sont ce qui assure l’emprise mentale : le nouveau régime de vie et les nouveaux cadres de référence influés à ce moment et la base sur laquelle l’adepte va devoir reconfigurer sa personnalité et développer son nouveau moi. Il y a à ce moment généralement l’utilisation de techniques psychologiques pour faire des ressenties émotionnelles. On parle de peak experience, il y a tout un conditionnement pour que la modification et le changement soit vécu à un niveau totalement subjectif et émotionnelle : cérémonie d’initiation, moment de joie collective … Le processus de changement peut se faire en groupe pour avoir des leviers de pression sociale avec des moments de joies collectives, des épreuves, des parties d’autocritiques, des procédures d’inductions hypnotiques pour favoriser des états de conscience modifiées.
La restabilisation. La partie de restabilisation est essentielle, il s’agit pour la victime d’acter en public son changement et de participer aux activités du groupe ce qui permet de maintenir la procédure d’emprise mentale, qui suppose un contrôle continu et un suivi de la personne. La restabilisation vient fermer le changement en l’entérinant et en faisant entrer la victime dans le champ d’une idéologie fermée et qui se nourrit sur elle-même : participation à des groupes, suivis d’autres personnes, contrôle des progrès par un superviseur, obligation d’assiduité à des réunions, à des activités de groupe, dépréciation des gens qui sortent du groupe…
b. Quelques techniques psychologiques
L’emprise mentale vient aussi de l’exploitation de biais cognitifs : le cerveaux présentes des mécanismes automatiques qui s’actives automatiquement et inconsciemment dans nos prises de décisions. Ces différents outils ont été extrêmement étudiés et diffusés notamment dans le cadre des études de marketing car ils sont très largement utilisés dans les stratégies de vente. Nous étudierons que les biais les plus connus et les plus utilisés.
Effet Halo. L’effet halo est un biais psychologique par lequel on attribue les effets d’une chose à une autre par association d’idée. Par exemple, si quelqu’un que l’on apprécie nous propose quelque chose on facilement un a priori favorable à cette chose. Pour favoriser l’adhésion le groupe sectaire utilise la séduction et la réalisation de fausse amitié. On peut parler de fausse spontanéité : une personne ou un groupe de personne se montre particulièrement bienveillante et utiliser cette gentillesse pour rendre acceptable des propositions ou faire des demandes. Les groupements sectaires recrutent d’abord par des réseaux d’amitiés ou en utilisant des personnalités particulièrement sociables. Le recours aux compliments et à l’éloge sont courants.
La cohérence/ dissonances cognitives. L’être humain a tendance à préférer ce qui lui est similaire. Ce qui vient contredire l’ensemble de nos croyances et de nos valeurs est généralement rejeté. Il y a un certain besoin de cohérence interne. La conséquence est par exemple que l’on a plus de difficulté à socialiser et à parler avec des gens dont les valeurs et les propos ne correspondent pas à nos croyances. Les groupements sectaires en prenant des positions et en affirmant une vérité généralement contraire à la position générale ou choquante pour la majorité, quand elle n’est pas perçue pour absurde ou amorale, reforme le membre sur lui-même car il doit se défaire des anciennes balisent cognitives et commencent à se socialiser qu’au sein du groupe, dès lors, il y a un biais de confirmation qui peut jouer : tout le monde pense comme nous, c’est donc la vérité. En réalité, on a exclu tous ceux qui ne pensent pas comme nous de nos réseaux de socialisation.
L’engagement et la persévérance. L’être humain est persévérant. Une fois qu’il commence quelque chose, il a dû mal à changer de cap. Il persévère dans ce qui est cohérent dans son parcours. Ce biais est utilisé de nombreuses façons. Notamment par la stratégie de la soumission volontaire consentie : une fois qu’une personne a pris en engagement oral et en public, il a beaucoup de mal à s’en dédire. Psychologiquement l’engagement a plus de portée. Par exemple, une personne qui après avoir suivi un séminaire par un groupe sectaire accepte d’en parler devant une assemblée ou sur réseau social, augmente psychologiquement son engagement sans son rendre compte. Le fait de faire de prosélytisme, de recruter, de demander de l’argent participent à ce mécanisme. La deuxième mécanique généralement utilisée est celle dite du pied dans la porte : en demande quelque chose de petit à quelqu’un au départ, on a plus de chance qu’il accepte quelque chose de plus grand après. Il s’agit du commercial qui demande d’abord d’ouvrir la porte pour répondre à une question. Il ouvre ainsi la possibilité à présenter un produit puis à obtenir un acte de vente. Les groupes sectaires proposent généralement des premières présentations, puis des séminaires.
La réciprocité. Si on reçoit quelque chose de quelqu’un à titre gratuit on est enclin à vouloir rendre la pareille. Il s’agit des petits cadeaux dans les demandes de dons. Les groupes sectaires exploitent ce biais en offrant des séminaires gratuits et des offres de thérapie. Il s’agit de donner des choses, qui peuvent être au départ que de l’attention à la future recrue pour que celle-ci se sente en dette et accepte en conséquence de participer un peu plus aux activités du groupement. Cela permet d’ouvrir un engrenage d’investissement.
La preuve sociale. L’être humain est spontanément presqu’incapable de savoir le vrai, du faux. La terre est-elle plate ou sphérique ? On ne peut répondre à cette question que par le biais d’informations de tiers, sauf à aller dans l’espace. Il y a donc dans nos croyances un mécanisme très fort d’étayage social : on prend pour juste et bon, ce qui est confirmé par les tiers. C’est tout le mécanisme de la mode. La preuve sociale est utilisée dans les groupements sectaires par des témoignages d’autres membres : les différents éléments de la doctrine sectaire font l’objet de confirmation au sein du groupe par des membres plus avancés. La confirmation d’une contrevérité par un tiers la rend plus valable. Avec le développement des réseaux sociaux, il est facile de trouver des confirmations des différents propos des sectes. Par la pratique de l’entre-trisme, qui consiste à placer des membres de secte dans des éléments de décisions politiques, médiatiques ou scientifiques, il est même possible pour les plus grosses sectes d’avoir des stars de cinéma ou des scientifiques confirmant leurs positions.
Autorité. L’être humain est très sensible à la hiérarchie et accepte facilement les ordres. Le fait qu’une personne soit perçue comme ayant un rang supérieur entraîne que le subordonné a tendance à suivre et exécuter l’ordre. Les groupements sectaires utilisent fréquemment des mécanismes de hiérarchie, de rangs au sein des membres, de degrés d’avancement, pour que les nouveaux entrant agissent par obéissance une fois pris dans une structure hiérarchique.
La rareté. Principe essentiel du marketing de luxe, ce qui est rare est perçue comme précieux, idem pour ce qui est perçu comme peut accessible. Le principe est exploité par les groupements sectaires quand ils promettent détenir une vérité particulièrement importante qui ne sera livrée qu’aux initiés et cela selon des grades.
Conclusion :
La mise en place d’une emprise mentale n’est pas la résultante d’une personne faible et qui subit l’exploitation de sa vulnérabilité. Ce n’est pas le cas. L’emprise mentale repose sur l’activation de mécanismes psychologiques et relèvent de la réalité anthropologique dans laquelle tout individus peut sombrer.
Infos pratiques :
L’emprise mentale peut commencer à deux personnes et existe dans des relations de couple ou de travail très délétères. Le discours sur la dérive sectaire est souvent mal compris et trompeur car donne l’idée qu’il ne s’agirait que de groupements religieux ou para-religieux. Ce n’est pas le cas. Le cœur du sujet est l’emprise mentale. Il s’agit de l’instauration d’une sujétion psychologique. Les droits anglosaxon parlent de Undue Influence ou de Coercive Control. La notion est bien celle d’une influence non désirée et contrôlante. Il serait bon en droit français de sortir l’emprise mentale tant du giron de l’abus de faiblesse que de la question fermée des dérives sectaires qui ne rendent pas compte de la réalité anthropologique.