CE DONT ON VA PARLER :

Comment parler à une victime d’emprise mentale ? Si la question peut paraitre simple, la pratique montre que les réflexes sont rarement bons et qu’il convient de se faire violence pour avoir une attitude qui permette de maintenir vivante la communication.

SOURCES : Steven HASSAN, Combatting Mind Control, Freedom of Mind Press, Newton, MA, 1ère edition 1988, 391 pages.

SYNTHESE : En cas de prise avec une dérive sectaire le premier réflexe est souvent de contester et d’argumenter tant il parait évident que la victime va comprendre et rendre les armes. Or, il n’en est rien. Cela ne marche juste pas comme cela. L’effet sera sous doute au contraire l’exact opposé. Il vaut bien mieux rester constructif et curieux (I) pour maintenir le plus de liens possibles (II).

I. LE MESSAGE : RESTER CONSTRUCTIF ET RESPECTUEUX

Le droit français pose le principe absolu de la liberté de conscience (Voir F. 1- 1). La position autoritaire n’est pas acceptable et peut même entrainer des sanctions pénales (a), au contraire il faut chercher à relancer l’esprit critique et à informer (b).

a. La ligne rouge : contraindre, remettre en cause

Outre-Atlantique, certains experts antisectes ont cru pouvoir retourner contre les sectes les armes qu’elles utilisent. Ils n’hésitaient pas à séquestrer contre leur gré des adeptes pour tenter un lavage de cerveau. Le but étant d’assurer un retour forcé à la raison. Si la pratique de l’exiting a compté de nombreuses victoires, son principe autoritaire ne respectait pas la déontologie la plus élémentaire, ni le principe cardinal en droit français de la liberté d’opinion. Les auteurs de tels comportements ont souvent été pénalement condamnés : séquestration, atteintes à la dignité… Ainsi, alors même que la tentation peut être grande, il n’est pas possible de sortir du carcan du droit pour aider une victime, ou quelqu’un perçu comme tel. En effet, le droit consacre la liberté de conscience, et cette liberté doit aussi être respectée dans les efforts pour sortir quelqu’un des griffes d’un groupement déviant. Cela ne signifie pas qu’il n’est pas possible d’aider quelqu’un (voir F 1-6) par une discussion organisée par un professionnel, mais toute approche doit fondamentalement être respectueuse du fait que la seule personne en mesure de décider de rester ou de quitter un groupement, est le croyant lui- même. Personne ne peut imposer son choix sur la conviction intérieure de quelqu’un d’autre.

De manière plus radicale tenter de convaincre quelqu’un de la nécessité de sortir d’un groupe sectaire en en dénonçant les croyances ne fonctionne pas. Il s’agit de réactions bien connues des psychothérapeutes que l’on nomme défenses. Si l’on attaque les croyances de quelqu’un, un mécanisme psychologique se met en place allant dans le sens du renforcement desdites croyances. L’approche est donc à éviter. Il ne faut pas chercher à convaincre ; car lorsque que l’on veut convaincre quelqu’un de quelque chose, in fine, on est toujours en train de vouloir lui imposer nos propres croyances. Il faut donc aussi accepter un travail sur soi par lequel on apprend à se garder de vouloir convaincre l’autre de la véracité de ses paroles. Les recherches en sociologie montrent que le phénomène de la croyance est complexe, il ne repose pas sur une simple incompréhension de la réalité.

Ainsi, la croyance est un bloc identitaire intouchable. La liberté d’opinion interdire de venir directement contrer les croyances. Cela ne serait en réalité d’aucun résultat. Ce n’est pas la croyance l’ennemi, mais le groupement déviant. Ce qui doit être l’objet des discussions est la question concrète de la réalité du groupement, de ses méthodes, de ses contradictions. La question n’est pas de savoir si le gourou est effectivement le frère puiné de Jésus Christ, mais de se demander s’il se comporte comme tel.

b. La ligne verte : Informer, questionner

Ce qui sort quelqu’un d’un état d’emprise est d’abord l’information et la remise en œuvre de son esprit critique. Il s’agit de donner des éléments à une personne pour qu’elle ait envie de se questionner et de repasser la réalité de la communauté à laquelle elle appartient ou fréquente à un autre crible. La pratique montre néanmoins que la capacité de compréhension et d’acceptation de points de vue extérieurs ne se fait pas rapidement et aisément. Il s’agit d’un processus qui doit être pédagogique, c’est-à-dire qui apporte des informations au bon moment et qui fait réfléchir. Donner trop d’information trop tôt ne sert à rien et rend surtout le message inaudible.

En outre, une information passe mieux quand un bon rapport existe entre l’émetteur et le récepteur ou que l’émetteur est perçu comme fiable. Il faut alors se demander si l’on est la bonne personne pour communiquer ou si quelqu’un d’autre est mieux placé. Enfin, il faut d’abord s’assurer que le canal de communication existe et fonctionne avant de pouvoir discuter. Autrement dit, les premiers messages doivent d’abord être d’acceptation et de réconfort et d’affirmation du respect de l’autre.

De manière pratique, le meilleur moyen est de s’intéresser et de questionner. En effet, de cette manière-là on reste respectueux des croyances de l’autre et on peut effectivement comprendre la vision qu’énonce le croyant. Sur cette base, il est possible de poser des questions ou de transmettre de petits éléments qui remettent l’esprit critique en marche. La stratégie de communication est nettement plus importante que le contenu du message. De petits éléments de doute peuvent avoir plus d’impact que beaucoup de mots.

Enfin, il est essentiel de ne pas critiquer le contenu des croyances, qui d’ailleurs n’est pas le socle d’une emprise mentale (F. 1-2), même s’il s’agit de l’élément apparent ; le socle est la relation au gourou ou à la gourelle et les abus. Ce qu’il faut questionner et remettre en question est la réalité du vécu : Est-elle soignée ? Que fait le gourou de toutes les donations ? N’est-il pas étranger que le gourou ne respecte pas dans sa vie les principes qu’il énonce ? etc. Il faut fournir au croyant une compréhension des mécanismes de l’emprise mentale pour qu’il puisse envisager le rapport toxique qu’il entretient avec le gourou, peu importe le contenu de ses croyances. Il faut rester le plus objectif possible et factuel sans que le débat ne devienne personnel et positionnel (j’ai raison, tu as tort) et en aucun ne chercher à imposer une solution ou une directive à l’autre personne.

Parler est une chose, être audible en est une autre. Ce qui rendra le message utile pour la personne qui le reçoit, c’est d’être transmis par quelqu’un avec qui on a un lien. Ce rapport est essentiel et doit être maintenu, malgré la difficulté que cela peut représenter dans un contexte sectaire.

II. LE CANAL DE DIFFUSION : LE LIEN AFFECTIF

Il est essentiel de maintenir un lien avec la victime, car ce lien sera essentiel pour aider le croyant s’il décide de vouloir sortir du mouvement (a), et ce lien affectif doit aussi s’exprimer dans tout ce que l’on ne dit pas : le para-verbal (b).

a. Maintenir le lien

Maintenir le lien est l’élément le plus important dans la gestion des relations avec une victime de dérive sectaire. Cela n’est pas évident pour deux raisons : certains groupements vivent en communauté et tentent pas tout moyen de rompre les liens avec les membres des familles. Par ailleurs, la présentation de croyances perçues comme insensées rend la communication compliquée. Néanmoins réussir à trouver une voie de communication pour parler des tous et des riens sans se focaliser sur l’objet du conflit permet de sauvegarder le lien affectif, qui est particulièrement essentiel pour aider et apporter son aide. En effet, c’est ce lien qui permettra à une personne de reprendre contact, de demander de l’aide en période de difficultés, c’est aussi lui qui permet d’être audible.

Si le lien est rompu, il faut tenter de le reconstruire ; par exemple, en envoyant régulièrement des courriers ou des emails pour donner des nouvelles. L’importance n’est pas tant le contenu (qui doit néanmoins respecter les règles de communication ci-dessus évoquée) que la fréquence des messages. En cas de sensation que la communication est compliquée, il vaut bien mieux éviter des sujets qui fâchent que d’arrêter la communication ou de la rendre impossible. En dernière analyse, la seule chose qui compte vraiment est que la victime sache qu’elle peut être écoutée et aidée, afin que le moment venu, elle ait le courage de tendre la main.

Il est essentiel de comprendre qu’un des éléments qui retient une victime dans un groupement sectaire est la diabolisation du monde extérieur par le groupement, qui donne à la victime l’impression qu’à l’extérieur elle n’a aucune marge de manœuvres et de possibilités. Maintenir une connexion donne la possibilité de vaincre cette peur phobique et d’être joignable. Les mécanismes anxieux sont particulièrement forts. Il ne sert à rien de les rationaliser ou de tenter de convaincre. Le régime de l’adepte est émotif ; il faut donc maintenir un lien et une communication à ce niveau-là.

b. L’importance du para-verbal

Le revers du lien affectif, que l’on peut nommer techniquement contre- transfert, est qu’il y a une réponse souvent inconsciente de celui qui veut parler. Ce contre discours n’apparait pas forcément dans la parole que l’on peut maîtriser, mais dans l’attitude, les gestes, le ton, le choix des mots. Ces éléments sont cruciaux pour convaincre, mais sont aussi le plus grand des dangers. C’est pour cela qu’il ne faut pas être trop ambitieux sur sa capacité à communiquer et rester prudent, car l’on est bien souvent notre meilleur ennemi.

La communication passe autant par les mots que le para-verbal. Il s’agit d’accompagner par sa gestuelle, par son silence, le message crucial que l’on veut communiquer : on t’aime malgré tout et on sera toujours là pour toi. Le para-verbal qui compte pour 80% du message est d’évidence le plus complexe à maitriser car il s’agit d’abord de la réponse émotionnelle qui peut trahir : le geste réflexe, la voix mal assurée… Il faut faire attention à avoir des gestes lents, à regarder les personnes en face, à se montrer ouvert, à parler avec assurance et chaleur. Un geste peut dire beaucoup de choses.

L’importance du para-verbal fait aussi qu’il est important de savoir se retirer d’une conversation, dire que l’on a besoin de temps, faire intervenir des tiers quand on sent qu’il ne sera pas possible de maîtriser assez nos émotions. L’intervention d’un tiers formé permet de créer le filtre et d’organiser la distance nécessaire au bon déroulement des discussions. En effet, le tiers, formé, c’est maitriser ses émotions et par le fait même qu’il n’est pas directement impliqué dans l’affaire peut prendre le recul nécessaire pour assurer que le para-verbal et les émotions ne viennent pas parasiter le message. Car c’est bien l’ambiguë du lienaffectif: lui seul permet au message de passer, mais il est aussi le cœur de la communication non maîtrisée en raison de la puissance des émotions qu’il peut entraîner.

Conclusion :

Il ne sert à rien de vouloir convaincre un croyant de la fausseté de ses croyances. L’objectif est d’abord d’apporter du réconfort et l’assurance d’un lien plus fort que le conflit en raison de la perception du groupement comme sectaire. Les croyances ne sont pas un terrain de débat, il faut les accepter. Une fois le lien assez fort, il peut être opportun, sans critiquer le fond des croyances, de s’intéresser et de poser des questions sur la réalité pratique de la communauté et sur ce qui pourrait paraître être des incohérences. Donc cela ne sert à rien de montrer de la lecture scientifique ou traiter de fou un croyant, il faut s’inquiéter du bien-être de la personne et questionner la réalité. Enfin, il ne faut pas hésiter à se faire aider par des professionnels.

Infos pratiques :

Quand on a quelqu’un de sa famille qui est pris dans une dérive sectaire on imagine qu’il faut l’aider. En réalité le trauma est tout aussi important pour la famille que pour la victime, souvent inconsciente à ce qui lui arrive. Il est dès lors essentiel aussi pour la famille de se faire conseiller et de prendre du soutien psychologique, car le poids de l’impact est d’abord sur eux. C’est souvent la souffrance de la famille qui rend la communication si compliquée. Par ailleurs, il ne faut pas hésiter à avoir recours à des médiateurs professionnels pour faciliter une communication devenue trop compliquée. Le rôle du médiateur est alors d’organiser l’espace de discussion pour le plus souple et sécurisant pour les deux parties. Le médiateur s’assure que les règles de la bonne communication sont en place. Il convient de s’adresser à un médiateur ayant une bonne connaissance des mécanismes de la dérive sectaire.